Document de discussion No 6 : Rivalité sur les marchés internationaux et nouveaux enjeux pour l'Organisation mondiale du commerce

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par Edward M. Graham, Institute for International Economics, Washington (D.C.), février 1998


Resumé

Lors de la première rencontre à l'échelon ministériel de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), tenue à Singapour en décembre 1996, les ministres des pays membres ont donné leur aval à la création de groupes de travail chargés de déterminer s'il faudrait ajouter de nouvelles règles ou apporter des modifications aux règles existantes, dans le recueil des lois portant sur les échanges multilatéraux, afin de tenir compte des questions de commerce et d'investissement et des questions de commerce et de politique de concurrence. L'initiative découle d'une reconnaissance grandissante du fait que, même si des séries successives de négociations commerciales ont permis de réduire considérablement ou même d'éliminer les tarifs douaniers et d'autres barrières non tarifaires au commerce, de nombreux obstacles qui continuent d'entraver l'accès au marché ne font pas partie de la catégorie des obstacles traditionnels au commerce. En fait, certains analystes soutiennent que la multiplication des obstacles non traditionnels au commerce fait suite à la disparition des entraves traditionnelles au commerce.

Les nouveaux obstacles se retrouvent pour la plupart à l'intérieur des frontières des pays. Ils ne font pas suite à l'imposition délibérée de mesures à la frontière des pays pour bloquer l'accès aux importations; on les retrouve plutôt au sein même de l'économie des nations commerçantes. Elles englobent les politiques de réglementation intérieures qui favorisent souvent les entreprises déjà établies en retardant ou en empêchant l'arrivée de nouveaux concurrents sur les marchés réglementés. De telles mesures réglementaires sont une source de préoccupations pour la politique commerciale si elles compromettent l'accès au marché d'entreprises étrangères en entravant ou en bloquant les importations ou l'investissement direct. L'accès au marché peut aussi être gêné par l'adoption de politiques industrielles qui visent à accorder des subventions et des avantages s'apparentant à des subventions à des entreprises choisies.

Outre les mesures gouvernementales, certaines pratiques commerciales privées peuvent aussi créer des obstacles à l'entrée de nouvelles entreprises. Ces pratiques comprennent les « entraves verticales » comme les ententes d'exclusivité entre des entreprises, qui ont pour effet d'interdire les ventes possibles par d'autres entreprises. Il est difficile de recourir aux politiques publiques pour influer sur ces pratiques car elles peuvent être économiquement justifiées en raison des éléments d'efficience qu'elles permettent d'engendrer. Néanmoins, elles peuvent entraver l'accès au marché et il est donc justifié pour les responsables des politiques de se demander si les atteintes à la concurrence l'emportent sur les éléments d'efficience éventuels.

Les mesures publiques et privées peuvent se juxtaposer et contribuer à renforcer les effets restrictifs sur le marché. Même si ces interventions ne constituent pas des mesures appliquées à la frontière, on peut faire valoir que, dans certains cas, elles ont été adoptées dans le but de favoriser des entreprises appartenant à des intérêts locaux au détriment d'entreprises étrangères ou sous contrôle étranger.

Ces obstacles peuvent contribuer à réduire l'accessibilité internationale aux marchés. Un marché est accessible si les obstacles à l'entrée sont suffisamment modestes pour que les entreprises déjà établies soient forcées de se comporter de façon concurrentielle pour prévenir l'arrivée d'entreprises rivales. Entre autres, l'établissement des prix sur un marché accessible se fait de façon concurrentielle; en d'autres termes, les prix sont établis aux niveaux qui prévaudraient si un grand nombre de vendeurs étaient présents sur ce marché. Si les prix demeurent à des niveaux concurrentiels, les consommateurs profiteront des avantages de la concurrence même lorsque le nombre de vendeurs est limité. Les entreprises établies sur des marchés accessibles de produits et de services technologiquement avancés doivent aussi s'employer à améliorer constamment les produits et services qu'elles offrent (et à lancer de nouveaux produits à un rythme satisfaisant) et/ou à réduire leurs coûts d'exploitation; dans le cas contraire, elles seront déclassées par de nouvelles rivales.

Par conséquent, la répartition des ressources est très efficiente sur les marchés accessibles parce que les prix sont concurrentiels et que les quantités vendues sont proportionnelles à la demande, aux prix existants. Dans ces circonstances, des ressources suffisantes sont affectées à la production des biens et services en cause, de sorte qu'il n'y a ni surcapacité ni sous-capacité de production. Étant donné que les rythmes d'innovation y sont élevés, les marchés accessibles ont aussi tendance à être efficients dans une perspective dynamique.

Mais tous les marchés ne peuvent être totalement accessibles. Des coûts fixes élevés représentent parfois une condition préalable à l'accès à certains marchés, de sorte qu'un seul producteur du bien ou du service en question est en mesure de fonctionner de façon efficiente. Ainsi, les coûts fixes de mise en place d'un réseau de câbles et d'installations de commutation nécessaire à la prestation de services de télécommunications de base sont très élevés et, dans la plupart des régions, un seul réseau est économiquement viable. Dans ces cas de « monopole naturel », des coûts fixes élevés contribuent à bloquer l'accès de nouvelles entreprises au marché : un deuxième fournisseur ne serait pas en mesure de mobiliser des recettes suffisantes dans ses efforts visant à concurrencer le fournisseur déjà établi pour pouvoir amortir ces coûts. Néanmoins, même dans les cas de monopole naturel, la politique devrait viser à maintenir une accessibilité aussi grande que possible. Ainsi, même si le marché des services de télécommunications de base ne se prête pas à une concurrence directe, celui des services à valeur ajoutée vendus dans le réseau le peut. Afin de maintenir l'accessibilité, les politiques gouvernementales peuvent obliger le fournisseur de services de base à donner à tous les vendeurs de services à valeur ajoutée l'accès au réseau, pourvu évidemment que ces vendeurs paient des redevances au fournisseur de services de base pour couvrir ses frais.

Certains analystes soutiennent que le principal objectif de la politique commerciale devrait être d'améliorer l'accessibilité ou la rivalité sur les marchés internationaux (voir, par exemple, Feketekuty et Rogowsky, 1996; Graham et Lawrence, 1996; et Zampetti et Sauvé, 1996). Toutefois, la portée de cet objectif devrait s'étendre bien au delà de la politique commerciale. La recherche et le maintien d'un niveau tout aussi élevé d'accessibilité sur les marchés intérieurs devraient être un objectif prioritaire de tout gouvernement. Il s'agit, en fait, de l'objectif premier de la politique de concurrence sur le marché intérieur. Il existe donc une complémentarité naturelle entre la politique commerciale et la politique de concurrence : si un marché est accessible à l'échelon international (c'est-à-dire que des entreprises étrangères peuvent y avoir accès), il sera aussi probablement accessible sur le plan intérieur.

En outre, une complémentarité naturelle peut exister entre les objectifs de la politique de concurrence et ceux de la politique relative à l'investissement étranger direct (IED). L'IED permet à une entreprise établie dans un pays d'étendre ses activités commerciales au marché d'un autre pays. La société mère est l'investisseur et l'établissement qu'elle contrôle à l'étranger est l'investissement. L'IED se distingue d'un investissement de portefeuille à long terme : dans ce dernier cas, un investisseur d'un pays détient un investissement passif dans un autre pays, sans tenter de gérer les activités engendrées par l'investissement, sauf peut-être en sa capacité d'actionnaire. Par définition, un marché accessible sur le plan international est un marché ouvert aux entreprises étrangères. Celles qui choisissent de s'implanter dans un tel marché le font parce qu'elles croient qu'elles peuvent offrir de meilleurs produits ou des prix moins élevés que ceux de leurs rivales déjà présentes sur le marché local. Il s'ensuit que les consommateurs en retireront des avantages et que les entreprises locales seront vraisemblablement incitées à améliorer leurs produits et à accroître leur efficience. Par conséquent, les politiques d'ouverture à l'IED — des politiques qui n'exercent pas de discrimination à l'égard des entreprises étrangères en leur imposant des obstacles que les entreprises locales n'ont pas à surmonter — sont compatibles avec un plus grand accès des marchés locaux aux acteurs internationaux. Il convient tout naturellement de se demander si les règles de l'OMC devraient obliger les pays à maintenir des politiques d'ouverture à l'investissement étranger direct.

Les aspects complémentaires que nous venons de décrire représentent le fondement logique sur lequel reposent les travaux que doivent entreprendre les nouveaux groupes de travail créés par l'OMC. Notre exposé vise à examiner les orientations possibles que ces études pourraient prendre. Nous commençons par considérer les raisons pour lesquelles les marchés ne sont pas toujours accessibles.