Document de travail No 25 : Une évaluation structuraliste des politiques technologiques - pertinence du modèle schumpétérien

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par Richard G. Lipsey et Kenneth Carlaw, Université Simon-Fraser, avec la collaboration de Davit D. Akman, novembre 1998


Sommaire

Dans cette monographie, nous évaluons un échantillon de politiques gouvernementales visant à influer sur le changement technologique. La politique publique peut viser à accélérer ou à retarder le changement technologique, en ayant recours à des stimulants ou à des mesures de désincitation qui sont soit d'application générale soit ciblées de façon étroite. La politique peut également viser à exercer son influence indirectement en modifiant des variables structurelles telles que la concentration d'une industrie, le niveau de l'investissement étranger, l'emplacement des entreprises et le système d'enseignement.

Au niveau d'abstraction auquel fonctionnent habituellement les économistes, la distinction entre les politiques, les programmes et les projets n'intervient pas et le terme général politiques est employé. Notre analyse nous oblige à faire une telle distinction en prenant la mesure des politiques et en évaluant les programmes. En outre, dans l'univers des politiques, nous reconnaissons trois catégories. Il y a les politiques cadres, pare exemple les crédits d'impôt à la recherche-développement (R-D), qui fournissent un appui général à des activités particulières dans l'ensemble de l'économie; ce sont habituellement des politiques fondées sur un seul instrument qui n'exercent aucune discrimination entre les entreprises, les secteurs ou les technologies. Il y a aussi les politiques ciblées, qui visent à encourager le développement de technologies particulières, par exemple l'énergie nucléaire, et qui sont habituellement définies de façon si étroite que l'identification avec la cible en question est à la fois une condition nécessaire et suffisante pour obtenir les avantages offerts en vertu de la politique. Enfin, il y a les politiques d'application générale, par exemple le Programme de développement industriel et régional (PDIR), qui intègrent des éléments provenant à la fois des politiques cadres et des politiques ciblées; à l'instar des premières, elles ont des objectifs de vaste portée et, comme les secondes, elles utilisent de multiples instruments et comportent un mécanisme d'évaluation pour permettre aux responsables de leur administration d'adapter l'aide offerte selon les circonstances.

Nous étudions les avis de politique qui découlent de deux paradigmes théoriques distincts. La théorie néoclassique fournit un ensemble explicite d'objectifs aux fins des politiques et des programmes, ainsi qu'un moyen d'évaluer s'ils ont contribué ou non à faire des gains. Ce que nous appelons la théorie structuraliste-évolutionnaire part d'hypothèses très différentes au sujet du comportement de l'économie et parvient à des conclusions différentes au sujet tant du rôle de la politique que du contenu de l'évaluation des politiques et des programmes. Nous considérons que ces différences sont à l'origine des divergences profondes qui séparent les opinions au sujet de l'efficacité des divers programmes et politiques.

Les deux courants théoriques font également intervenir des critères différents pour évaluer l'incrémentalité. Parce qu'elle traite la structure et les institutions comme des « boîtes noires », la théorie néoclassique envisage l'incrémentalité uniquement en fonction des effets sur le changement technologique, habituellement mesurés par les changements observés dans les dépenses de R-D. Parce que la décomposition structuraliste met l'accent sur le rapport existant entre la technologie et la structure sous-jacente par laquelle elle se manifeste, le critère de l'incrémentalité donne lieu à des politiques visant à modifier les relations structurelles sans nécessairement influer sur le niveau des dépenses de R-D ou d'induire des changements technologiques particuliers.

La théorie néoclassique préconise des politiques offrant un soutien généralisé à toutes les formes de R-D de préférence aux politiques plus sélectives, tandis que la théorie structuraliste s'accommode à la fois des politiques d'application générale et des politiques plus sélectives.

La théorie néoclassique fournit des critères de politique optimale, tandis que le modèle structuraliste part du postulat que des éléments irréductibles de jugement sont requis pour toute décision en matière de politiques — des jugements que des gens raisonnables peuvent tout simplement devoir accepter ou rejeter.

Il est rarement facile et parfois impossible de mesurer directement les résultats des politiques d'application générale. En guise de procédure d'évaluation, nous nous tournons vers les critères élaborés dans l'étude de Lipsey et Carlaw (1996) au sujet des conditions qui favorisent le succès ou l'échec des programmes ciblés et nous utilisons ces critères dans notre évaluation actuelle de la conception et du fonctionnement des politiques et des programmes d'application générale. Premièrement, nous examinons les évaluations produites par d'autres. Celles-ci se concentrent principalement, mais non exclusivement, sur les produits. Deuxièmement, nous comparons la conception de la politique ou du programme étudié avec les critères conceptuels et opérationnels de Lipsey et Carlaw en nous appuyant sur ces critères pour juger de leur succès ou de leur échec éventuel. Troisièmement, lorsqu'il y a concordance entre les jugements qui découlent des deux démarches précitées, nous en concluons que les chances de succès ou d'échec sont très élevées. Quatrièmement, si les jugements découlant de ces deux approches divergent, nous tentons de rapprocher les différences en comparant les points de vue théoriques adoptés par nous et par les autres évaluateurs. Des jugements différents découlent souvent des hypothèses différentes qui sont propres aux théories employées.

Dans le cas du Programme de productivité de l'industrie de la défense (PPID), examiné au chapitre 2, et du Programme d'aide à la recherche industrielle (PARI), examiné au chapitre 4, nos évaluations sont favorables. Lorsque les conclusions des autres évaluateurs diffèrent des nôtres, nous observons deux grandes causes à l'oeuvre. La première est que des critères d'incrémentalité différents ont été employés, nos évaluations faisant place à un ensemble plus vaste d'objectifs. La seconde est que les théoriciens néoclassiques préfèrent les politiques cadres et rejettent les politiques comportant des éléments ciblés, privilégiées par la théorie structuraliste.

Au chapitre 3, nous nous joignons aux autres évaluateurs pour conclure que le PDIR et les programmes précédents ont constitué des échecs. Nos critères nous permettent toutefois de centrer l'attention sur des interactions structurelles particulières et des caractéristiques conceptuelles qui sont à l'origine de ces échecs. Ces causes sont soient ignorées soit sous-estimées par ceux qui adoptent une autre perspective théorique.

Nous concluons que, à l'opposé des recommandations énergiques et exclusives en faveur des politiques cadres qui découlent de la théorie néoclassique, la politique structuraliste idéale doit avoir pour seul objectif d'encourager le progrès technologique, mais en faisant appel à de multiples programmes et politiques pour parvenir à cette fin. Les politiques d'encadrement donnent l'allure générale. Les politiques ciblées visent des aspects particuliers où les déficiences du marché sont à la fois importantes et spécifiques. Un nombre limité de politiques d'application générale peut être utilisé avec prudence lorsqu'un besoin de portée relativement étendue est identifié et qu'il est clairement communiqué aux responsables des politiques. Mais avant que de telles politiques de moyenne portée soient appliquées, il importe d'en étudier attentivement les tenants et aboutissants — un examen plus complet et plus attentif que celui qui a habituellement précédé la conception des anciens programmes et politiques assemblés à la hâte en réponse à des pressions politiques. Avant de consacrer des millions de dollars à une nouvelle politique générale, il serait avisé de consacrer quelques dizaines de milliers de dollars pour en définir clairement les buts, les critères de sélection et la structure administrative. En principe, cet avis est plus facile à suivre que l'avis découlant de la théorie néoclassique qui consiste à rechercher le niveau optimal de R-D pour ensuite appliquer des politiques neutres en vue d'atteindre ce niveau. Toutefois, leur mise en oeuvre pourrait se révéler tout aussi difficile.