Mémoire à la table ronde de l’OCDE sur la disqualification de directeurs et l’exclusion de soumissionnaires

Le 1 décembre 2022

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1. Introduction

Ce mémoire donne un aperçu des mécanismes de radiation et de disqualification de directeurs qui sont mis en place au Canada. Ceux-ci peuvent être demandés par le Service des poursuites pénales du Canada (« SPPC »), sur la recommandation du Bureau de la concurrence (le « Bureau »), ou être appliqués par d'autres entités.

Certaines professions autoréglementées et règles concernant les marchés publics offrent aussi des mécanismes de radiation et de disqualification de directeurs. La Loi sur la concurrence (la « Loi ») pourrait également offrir une option de disqualification de directeurs par l'entremise d'ordonnances d'interdiction. Cette avenue a toutefois rarement été utilisée jusqu'à maintenant. Nous envisageons actuellement de publier des lignes directrices à cet égard.

Nous sommes conscients que la radiation peut s'avérer un moyen de dissuasion efficace pour les gens qui sont susceptibles de participer à un complot ou à un truquage d'offres. Toutefois, la façon dont les politiques de radiation sont conçues peut réduire l'efficacité des Programmes d'immunité et de clémence. Nous recommandons fortement que les particuliers ou les entreprises qui collaborent par l'entremise des programmes d'immunité et de clémence soient exemptés de l'imposition d'une radiation.

2. Contexte

Au Canada, le truquage d'offres et les accords qui sont conclus entre concurrents pour fixer des prix, attribuer des marchés ou restreindre la production (complots) constituent des infractions criminelles. Ils sont décrits aux articles 45 et 47 de la Loi. Les lois et les politiques qui régissent les mécanismes de disqualification des directeurs et de radiation mis en place au Canada se rattachent à ces infractions en matière de concurrence, ainsi qu'à celles qui se trouvent dans d'autres lois.

Le Bureau mène des enquêtes sur les présumées infractions en vertu de la Loi. Nous pouvons transmettre des affaires au SPPC aux fins de poursuite.

Parmi les peines imposées au truquage d'offres, on retrouve les sanctions suivantes :

  • une amende dont le montant sera laissé à la discrétion du tribunal; 
  • un emprisonnement maximal de quatorze ans;
  • ou les deux peines.

Les peines actuelles applicables au complot sont :

  • une amende maximale de 25 000 000 $;
  • un emprisonnement maximal de 14 ans;
  • ou les deux peines.

En juin 2023, une nouvelle infraction liée aux accords de fixation des salaires et de non-débauchage entrera en vigueur. Aussi, les amendes imposées pour des infractions de complot ne seront plus limitées par un montant maximal établi dans la Loi. Elles seront plutôt laissées à la discrétion du tribunal.

Dans les affaires de complot et de truquage d'offres, nous pouvons également recommander que le SPPC demande au tribunal de rendre une « ordonnance d'interdiction ». En vertu du paragraphe 34(1) de la Loi, une ordonnance d'interdiction interdit à une personne qui est déclarée coupable d'une infraction de continuer de perpétrer ou de répéter l'infraction. Elle interdit également « l'accomplissement d'un acte ou d'une chose » qui tend à la continuation ou à la répétition de l'infraction. Le terme « personne » englobe les personnes morales et physiques.

En vertu du paragraphe 34(2) de la Loi, un tribunal peut rendre une ordonnance d'interdiction sans que la personne soit reconnue coupable. Une telle situation survient lorsque le tribunal trouve qu'une personne a accompli, est sur le point d'accomplir ou accomplira vraisemblablement un acte ou une chose constituant une infraction. 

Les ordonnances d'interdiction peuvent également comprendre des conditions selon lesquelles une personne doit prendre certaines mesures qui, selon le tribunal, sont nécessaires pour prévenir la perpétration, la continuation ou la répétition de l'infraction. Elles peuvent également comprendre des mesures convenues par la personne et la poursuite. De telles exigences pourraient comprendre, par exemple, les éléments suivants :

  • Mettre en œuvre un programme de conformité d'entreprise;
  • Aviser les clients de l'imposition d'une ordonnance d'interdiction;
  • Démettre de leurs fonctions les personnes qui ont participé à la perpétration de l'infraction et qui occupent des postes d'influence au sein de l'organisation. 

De plus, le gouvernement fédéral peut radier des fournisseurs qui sont reconnus coupables d'infractions en matière de complot ou de truquage d'offres. Cela signifie que ces fournisseurs n'ont plus le droit de participer à des processus d'approvisionnement. Certains gouvernements provinciaux et municipaux ont des lois ou des politiques similaires.

3. Disqualification de directeurs

Une ordonnance d'interdiction peut servir à interdire à des personnes d'agir en tant que dirigeants ou administrateurs de sociétés pour une période maximale de dix ans. La disqualification de directeurs pourrait également faire partie d'un règlement négocié ou d'une sentence dans le cadre d'une procédure contestée.

Les avocats du SPPC sont responsables d'effectuer toutes les négociations de plaidoyers. Il élabore également des recommandations à l'égard de la détermination d'une peine, tout en suivant les règles et les lignes directrices énoncées dans le Guide du SPPC. Les avocats du SPPC accordent une grande importance aux recommandations du Bureau. Le tribunal prend la décision finale quant à la détermination d'une peine (en anglais seulement).

Jusqu'à présent, nous n'avons jamais recommandé d'interdire éternellement à des personnes de travailler à titre de directeur. Nous avons plutôt recommandé que les principaux dirigeants impliqués dans des infractions soient démis de leurs fonctions au sein d'une entreprise donnée.

Par exemple, en 2006, trois entreprises ont plaidé coupables et ont été condamnées à payer 37,5 millions de dollars canadiens pour un complot national sur les feuilles de papier autocopiant. Le tribunal a rendu une ordonnance d'interdiction. Celle-ci exigeait que les principaux dirigeants impliqués soient démis de leurs fonctions à titre de négociants en papiers. Les employés n'étaient pas censés exercer une quelconque influence ou des fonctions à titre de négociants en papiers. Ils pouvaient travailler dans d'autres secteurs d'activité, mais seulement dans des postes de gestionnaire de niveau inférieur à leurs anciens postes.

Nous avons rarement demandé la disqualification de directeurs dans des affaires de cartel et de truquage d'offres. Nous ne disposons d'aucune politique officielle à cet égard. Nous croyons toutefois que les conséquences personnelles supplémentaires qui découleraient d'une telle mesure sur les administrateurs de sociétés contribueraient à les dissuader de commettre de tels crimes, surtout en ce qui concerne les personnes qui considèrent que les amendes qui sont imposées aux sociétés sont le « prix à payer pour faire des affaires ». Par conséquent, nous envisageons d'élaborer une politique sur la disqualification de directeurs. Elle pourrait être intégrée au Programme de clémence et aux recommandations à l'égard de la détermination de la peine que formule le Bureau au SPPC.  

Le Bureau et le SPPC administrent conjointement les Programmes d'immunité et de clémence. Une immunité totale contre des poursuites pénales peut être accordée aux personnes qui :

  • sont les premières à divulguer une infraction à la Loi sur la concurrence qui n'a pas encore été détectée par le Bureau;
  • fournissent des éléments de preuve qui mènent à un renvoi de la plainte au SPPC.

Le terme « clémence » désigne un traitement clément conféré lors du prononcé de la sentence aux requérants qui y seront admissibles plus tard. Ils seront tenus de plaider coupables en vertu du Programme de clémence. Ce programme décrit les facteurs que le Bureau prendra en considération lorsqu'il élaborera des recommandations à l'égard de la détermination d'une peine. En ce qui concerne les particuliers, parmi ces facteurs à prendre en considération, on retrouve les éléments suivants :

  • le rôle et l'étendue de l'implication de la personne dans l'infraction;
  • la mesure dans laquelle l'individu a tiré personnellement avantage de l'infraction (p. ex., une promotion, des augmentations salariales, des primes de rendement);
  • la détermination selon laquelle la personne a déjà été sanctionnée pour des infractions au Canada ou sur un autre territoire.

Les ordres professionnels peuvent sanctionner leurs membres pour une conduite ou des allégations qui font l'objet d'une enquête que nous réalisons. À la suite d'une enquête que nous avons menée sur des infrastructures, cinq personnes ont plaidé coupables pour avoir truqué des offres pour des contrats d'infrastructure de la Ville de Gatineau. Elles ont été condamnées à subir une peine d'emprisonnement avec sursis d'une durée variant de 12 à 22 mois, ou à payer une amende.

Ces personnes étaient des ingénieurs et des membres de l'Ordre des ingénieurs du Québec (l'« OIQ »). L'OIQ a pour mission d'encadrer la profession d'ingénieur au Québec. Il dispose de son propre tribunal administratif (le Conseil de discipline de l'OIQ) qui intervient lorsqu'il reçoit une plainte contre une ou un membre de l'OIQ. Ce tribunal peut infliger des sanctions disciplinaires, dont les peines suivantes :

  • une radiation temporaire ou permanente;
  • une suspension du droit d'exercer sa profession.

Dans le dossier des infrastructures, le Conseil de discipline de l'OIQ a retiré quatre des personnes du tableau de ses membres pour une période de 10 à 20 mois pour avoir contrevenu au Code de déontologie des ingénieursNote de bas de page 1.

De plus, à la suite d'une décision qui a été rendue par l'Autorité des marchés financiers du Québec (l'« AMF »), l'un des individus a dû démissionner de ses postes de directeur, de partenaire et de vice-président. Il a dû également céder ses parts dans son entrepriseNote de bas de page 2.

4. Exclusion de soumissionnaires

Les gouvernements fédéral, provinciaux ou municipaux peuvent interdire à des fournisseurs de soumettre des offres sur de futurs contrats lorsqu'ils ont contrevenu à des dispositions relatives au complot ou au truquage d'offres de la Loi (radiation). Ce processus se déroule de façon indépendante du Bureau.

4.1 Gouvernement fédéral

Les politiques de radiation au niveau du gouvernement fédéral sont énoncées dans le Régime d'intégrité. Le Régime est régi par le principal organisme de passation de marchés du gouvernement fédéral, soit Services publics et Approvisionnement Canada (« SPAC »). Il comprend les éléments suivants :

Le Régime d'intégrité s'applique :

  • à toutes les organisations fédérales qui sont énumérées dans les annexes I, I.1 et II de la Loi sur la gestion des finances publiques;
  • aux contrats ou aux accords immobiliers d'une valeur de plus de 10 000 $ CA, sauf pour quelques exceptions.

En vertu de la Politique, les parties qui ont été reconnues coupables d'infractions de complot ou de truquage d'offres au cours des trois dernières années (ou d'autres infractions énumérées dans la Politique) ne seront pas admissibles à conclure des contrats ou des accords immobiliers avec le gouvernement fédéral pendant dix ans. Le fournisseur peut demander que cette période soit réduite jusqu'à cinq ans dans le cadre d'une entente administrative. Le fournisseur doit faire preuve de coopération avec les autorités chargées de l'application des lois ou prendre les mesures correctives pour éliminer les actes répréhensibles.

La Politique de radiation ne semble pas s'appliquer aux demandeurs d'immunité. C'est parce ce qu'ils n'ont pas été reconnus coupables d'une infraction, puisqu'ils n'ont pas plaidé coupables devant un tribunal. De plus, le protocole d'entente de 2013 entre le Bureau et le prédécesseur de SPAC (Travaux publics et Services gouvernementaux Canada [« TPSGC »]) exclut les demandeurs d'immunité de l'imposition d'une radiation.

Il subsiste toutefois des incertitudes sur le fait que les demandeurs d'immunité pourraient être suspendus et ainsi exclus de la passation de marchés publics. L'ambiguïté découle du libellé qui est utilisé dans la Politique d'inadmissibilité et de suspension. La Politique précise que les fournisseurs qui ont reconnu leur culpabilité à des inculpations de complot ou de truquage d'offres pourraient être suspendus, les empêchant ainsi de conclure un contrat ou un accord immobilier avec le Canada pendant 18 mois (ou pour une plus longue période en cas de prolongation). Il est possible que la décision de suspendre une partie soit suspendue dans le cadre d'une entente administrative.

Les demandeurs d'immunité doivent démontrer qu'ils ont perpétré une infraction aux termes de la Loi dans leur demande d'immunité. Ils doivent également admettre le rôle qu'ils ont joué dans l'infraction s'ils doivent témoigner devant un tribunal contre d'autres comploteurs. Il n'est pas certain que SPAC tiendrait compte de cette « reconnaissance de culpabilité » et userait de son pouvoir discrétionnaire pour imposer une suspension. De notre point de vue, il semble que la Politique de suspension vise les fournisseurs qui ont été accusés ou qui ont plaidé coupables pour une infraction devant le tribunal, ce qui n'est pas le cas pour les demandeurs d'immunité.

4.2 Gouvernements provinciaux

Certains gouvernements provinciaux disposent également de lois ou de politiques sur la radiation. Par exemple, le Règlement général - Loi sur la passation des marchés publics du Nouveau-Brunswick énumère un certain nombre d'infractions qui rendraient un fournisseur inapte à offrir des biens et des services à certaines entités provinciales pour un certain temps. Si un fournisseur est reconnu coupable de complot ou de truquage d'offres, il est disqualifié pendant cinq ans.

Un autre exemple est la Loi sur les contrats des organismes publics du Québec. En vertu de cette loi, une entreprise qui est reconnue coupable de complot ou de truquage d'offres (ou d'autres infractions précises) n'est pas admissible à conclure des contrats publics dans la province de Québec pendant cinq ans. L'entreprise est également ajoutée au Registre des entreprises non admissibles aux contrats publics, qui est accessible au public. L'Autorité des marchés publics (« AMP ») surveille des marchés publics et l'application des lois et des règlements encadrant les contrats publics au Québec, sauf pour la ville de Montréal. (Auparavant, il s'agissait de la responsabilité de l'AMP.)

5. Recommandations du Bureau

L'exclusion de fournisseurs qui ont été reconnus coupables de complot ou de truquage d'offres du processus de soumission d'offres sur de futurs appels d'offres peut se révéler un moyen de dissuasion efficace. Nous croyons toutefois fermement que toute politique ou loi sur la radiation devrait exempter les soumissionnaires qui se sont vu accorder une immunité ou une clémence, conformément aux Programmes d'immunité et de clémence. Ces programmes figurent parmi les outils les plus efficaces du Bureau pour dévoiler et faire cesser des comportements illicites. C'est le caractère secret des cartels qui les rendent difficiles à détecter et à prouver.

La menace de la radiation peut empêcher les parties de participer aux Programmes d'immunité et de clémence du Bureau. D'ailleurs, des avocats qui exercent dans le domaine du droit de la concurrence ont affirmé que l'une des raisons de la diminution des demandes de clémence est le risque de radiation par les organismes d'approvisionnement gouvernementaux.

Nous recommandons que, dans certains cas, les responsables des achats permettent aux entreprises de continuer de présenter des offres sur les contrats gouvernementaux après avoir été reconnues coupables de complot ou de truquage d'offres. Ils devraient déterminer si l'entreprise :

  • a fait preuve pleinement et entièrement de coopération en temps opportun avec les organismes canadiens d'application de la loi et la poursuite. Cela pourrait se faire par l'entremise de Programmes d'immunité ou de clémence ou toute autre forme de coopération;
  • a plaidé coupable aux infractions tôt dans le processus;
  • dispose d'une confirmation écrite de l'organisme d'exécution de sa coopération et de son plaidoyer de culpabilité, laquelle peut être fournie à l'autorité adjudicatrice;
  • a mis en place, ou a amélioré, un programme de conformité crédible et efficace;
  • a fourni des éléments de preuve démontrant qu'elle a sanctionné de façon appropriée les personnes qui étaient impliquées dans la conduite criminelle;
  • n'a jamais précédemment été reconnue coupable pour toute infraction décrite dans la législation relative à l'exclusion.

Éliminer la menace de l'exclusion qui pèse sur les demandeurs d'immunité et de clémence permettrait de :

  • contribuer à encourager les comportements responsables parmi les entreprises;
  • favoriser l'application de la loi afin de faire avancer et de résoudre des enquêtes judiciaires difficiles;
  • garantir au public que l'entreprise concernée a pris les mesures requises pour se réformer.