Outils canadiens de filtrage des données dans les enquêtes relatives à la concurrence

Le 1 décembre 2022

Jordon Tomblin et Stephanie Assad

Sur cette page

  1. Résumé
  2. Introduction
  3. Contexte et mise au point des filtres
  4. Filtres de données statistiques
  5. Avantages des filtres
  6. Défis liés aux filtres
  7. Conclusion

1. Résumé

Le Bureau de la concurrence (le « Bureau ») utilise divers outils et différentes approches pour détecter l’existence de cartels. Il emploie notamment des algorithmes de filtrage de données, lesquels peuvent servir à repérer des activités s’apparentant à celles de cartels à partir de données relatives aux soumissions. Les algorithmes de filtrage de données peuvent s’avérer une méthode proactive de détection et d’élimination de cartels. Le principal défi auquel est confronté le Bureau dans l’élaboration d’algorithmes de filtrage de données est l’accès aux données relatives aux soumissions. Les algorithmes de filtrage de données bénéficieront des progrès technologiques et des améliorations qui seront apportées dans les domaines de l’accès aux données et de la portabilité de celles-ci.

2. Introduction

Le Bureau utilise un large éventail d’outils pour détecter et enrayer les cartels. Parmi ces outils, on retrouve de nouvelles techniques et technologies permettant de repérer, d’évaluer et d’éliminer des cartels, tels que le truquage d’offres. Pour détecter le truquage d’offres, des algorithmes de filtrage de données (c.-à-d., les « filtres ») peuvent passer au crible les données relatives aux soumissions, à la recherche d’éventuels signes de collusion. Ces filtres sont conçus pour trouver les industries au sein desquelles il pourrait y avoir des problèmes de concurrence, et les entreprises qui pourraient être impliquées dans des activités potentiellement illégales. À cet égard, les filtres peuvent compléter les techniques d’application de la loi existantes, telles que les Programmes d’immunité et de clémence du Bureau, afin de détecter et d’enrayer le truquage d’offres.

Dans le présent document, nous discuterons des points suivants :

  • Le contexte et la mise au point des filtres au sein du Bureau;
  • Les outils qui ont été conçus à l’interne pour aider les spécialistes de la passation des marchés à créer des appels d’offres qui favorisent la concurrence;
  • Les avantages et les difficultés liés à l’utilisation de filtres dans les enquêtes relatives à la concurrence qui sont menées au Canada.

3. Contexte et mise au point des filtres

Le Bureau a commencé en 2018 à mettre à l’essai des filtres de truquage d’offres. Nous avons utilisé des filtres sur un petit nombre d’ensembles de données liés à des membres (allégués) de cartels qui avaient été détectés afin de mieux comprendre les forces et les faiblesses des outils de filtrage. Nous avons également travaillé avec un expert externe qui est chevronné dans le domaine des outils de filtrage de données empiriques afin de détecter des activités s’apparentant à celles d’un cartel à l’aide des données relatives aux soumissions. L’expert a produit un rapport dans lequel il cernait des problèmes concernant les données relatives aux soumissions qui avaient été recueillies, et exposait des difficultés dans l’exécution de certaines analyses empiriques. Le rapport offrait un résumé des analyses qui avaient été conduites, ainsi que des recommandations pour la collecte future de données.

Outre les travaux liés aux filtres, nous avons entrepris un certain nombre d’initiatives proactives afin de détecter les éventuelles activités de truquage d’offres ou le risque lié à celles-ci. Par exemple, nous avons travaillé avec les services nationaux de police du Canada (la Gendarmerie royale du Canada) et le ministère responsable de l’approvisionnement (Services publics et Approvisionnement Canada) afin de lancer une ligne de dénonciation consacrée au signalement de cas potentiels de fraude, de corruption et de truquage d’offres liés aux marchés du gouvernement fédéral qui sont conclus au Canada. Les renseignements qui sont fournis par l’entremise de la ligne de dénonciation sont partagés et utilisés dans la conduite d’enquêtes.

En juin 2022, nous avons également lancé l’Outil d’évaluation du degré de risque de collusion (l’« Outil »). L’Outil est une ressource en ligne gratuite et interactive mise à la disposition du secteur public et du secteur privé. Il est conçu pour aider les organismes d’approvisionnement à évaluer et à atténuer le risque de collusion lorsqu’ils organisent et gèrent un appel d’offres. L’Outil habilite les spécialistes de la passation des marchés dans leurs fonctions en leur permettant d’obtenir rapidement de l’information sur les risques de truquage des offres.

L’Outil fournit aux spécialistes de la passation des marchés une note « faible », « moyen » ou « élevé » quant au risque de collusion. Il offre également des pratiques exemplaires et des stratégies d’atténuation personnalisées que les organismes peuvent adopter afin de réduire ces risques et de garantir un processus de passation de marchés qui favorise la concurrence. Les spécialistes de la passation des marchés peuvent appliquer les pratiques exemplaires qui sont fournies par l’Outil avant de lancer des invitations à soumissionner. Cette étape proactive peut amoindrir les conditions favorisant la collusion avant qu’un appel d’offres ne soit lancé.

Bien que les gens qui utilisent l’Outil aient l’option de fournir leurs coordonnées, celui-ci peut être utilisé de façon anonyme. Le Bureau ne partage aucun renseignement qui y est fourni. Les informations que nous recueillons à partir de l’Outil nous procurent d’autres avantages. Par exemple, nous pouvons les utiliser afin de nous aider plus tard à améliorer l’Outil. Nous pouvons également utiliser les renseignements pour identifier les régions d’intérêt où présenter des séances de sensibilisation sur le truquage d’offres menées par le Bureau.

Nous avons fait un certain nombre de démonstrations de l’Outil à des organismes d’approvisionnement nationaux, ainsi qu’à des homologues internationaux. Les démonstrations nationales constituent une occasion d’enseigner aux organismes comment utiliser l’Outil, ainsi que les avantages qu’ils peuvent en tirer. Les démonstrations internationales donnent la possibilité de partager notre expérience en matière de création d’un outil proactif de détection des risques de truquage d’offres.

L’Outil s’ajoute aux travaux liés aux filtres qui sont menés par le Bureau. Les filtres sont conçus pour détecter des comportements de collusion qui sont survenus ou qui surviennent actuellement. D’un côté, l’Outil aide les organismes d’approvisionnement à cerner de façon proactive le risque de truquage d’offres dans leurs processus d’appel d’offres. D’un autre côté, les filtres tirent profit des données associées aux processus qui sont terminés, et ciblent les comportements qui se sont produits. Les filtres peuvent être utilisés de façon rétroactive et proactive, selon un nombre de facteurs, tels que la disponibilité, la structure et l’accès aux données. En adoptant une approche à volets multiples, le Bureau utilise des moyens novateurs pour enrayer les actes criminels sur le marché canadien grâce à la sensibilisation, à l’éducation et à ses travaux d’application de la loi.

4. Filtres de données statistiques

Un filtre de données statistiques ne peut pas, à lui seul, prouver qu’il y a bel et bien existence d’un cartel. Si un filtre met en lumière des activités qui s’apparentent à celles d’un cartel, il peut servir de point de départ à des enquêtes approfondies. Les résultats du filtrage peuvent nous aider à évaluer des cibles d’enquête sur des cartels et mettre en lumière les activités de truquage d’offres. Ils peuvent également nous éclairer sur les autres étapes à suivre à l’égard des enquêtes. Toutefois, les filtres ne peuvent à eux seuls prouver l’existence d’un truquage d’offres.

De même, si les filtres ne détectent pas d’activités s’apparentant à celles d’un cartel, cela ne signifie pas qu’il n’y en a pas. Les filtres servent à cibler les activités précises qui peuvent indiquer la présence d’un cartel. Ils peuvent toutefois rater d’autres indicateurs de truquage d’offres qu’ils n’ont pas saisis. Aussi, les membres d’un cartel peuvent modifier leurs comportements afin de passer sous le radar des filtres, surtout s’ils connaissent ceux qui sont utilisés. Il est important que les autorités antitrust en tiennent compte lorsqu’elles partagent des renseignements au sujet des filtres avec le public.

Les équipes du Bureau doivent faire preuve de collaboration au moment de mettre en œuvre des filtres. La participation de tierces parties est possible dans les cas où les données relatives à des soumissions sont fournies au Bureau. Par exemple, des tiers peuvent numériser et envoyer des versions papier ou numérique de renseignements ou de données au Bureau. Selon le format de document choisi, l’équipe du Bureau peut traiter les documents de façon à les rendre consultables en format numérique.

Le Bureau peut également recueillir des données à partir de sources publiques aux fins de filtrage et d’analyse en les téléchargeant, en explorant des textes et en ratissant le Web. Une fois que le Bureau a obtenu les renseignements, et qu’il est possible de consulter ceux-ci dans un format numérique, il utilise l’exploration de textes afin d’extraire les données nécessaires au filtrage. Une fois les données préparées, l’analyse de filtrage est effectuée par du personnel qualifié. Les résultats de l’analyse de filtrage seront transmis aux enquêteurs, qui pourraient mener des enquêtes plus approfondies.

5. Avantages des filtres

Par le passé, le Bureau se fiait aux renseignements provenant de sources externes pour mener des enquêtes sur les cartels et les truquages d’offres. Il pouvait s’agir par exemple d’informations venant d’un plaignant ou d’un demandeur d’immunité. La communication de renseignements au Bureau dépend toutefois de la bonne volonté des sources externes de bien vouloir communiquer avec lui. Les filtres et l’Outil s’inscrivent dans une approche proactive. Ils peuvent nous permettre de détecter des comportements problématiques, et d’entamer les premières étapes d’une enquête, sans devoir attendre que des sources externes nous fournissent de l’information.

Les filtres peuvent également permettre au Bureau d’analyser les tendances dans les soumissions d’offres au fil du temps. Cela peut se faire en appliquant des techniques d’analyse à de grands ensembles de données afin d’obtenir une meilleure compréhension des données relatives aux soumissions. Il serait également possible d’employer des modèles d’apprentissage automatique aux données liées aux soumissions d’offres, tels que les appels d’offres d’organismes d’approvisionnement, afin de tirer des connaissances de cas de cartel connus et de cas qui ont été détectés par le passé. Contrairement à l’analyse humaine manuelle, les filtres et l’apprentissage automatique peuvent permettre d’analyser différentes sources de données à la fois. Enfin, la communication narrative pourrait être améliorée grâce à la visualisation de données, ce qui se prête bien au stade contentieux lorsque les tribunaux sont saisis.

6. Défis liés aux filtres

L’un des plus grands défis liés à l’utilisation de filtres est l’accès aux données relatives aux soumissions. Cette situation n’est pas particulière à notre pays. Au Canada, les marchés publics sont fragmentés, ce qui signifie que l’accès aux données relatives aux soumissions est décentralisé. Cette situation contraste avec d’autres pays, tels que la Corée du Sud, où tous les appels d’offres sont annoncés publiquement, et accompagnés de services électroniques de soumission d’offres et de paiement. KONEPS, le système d’approvisionnement en ligne du gouvernement sud-coréen, offre une plateforme unique pour les marchés publics, ce qui permet de numériser tout le processus d’approvisionnement.

Le fait que les données sur l’approvisionnement se trouvent en grande partie sur papier constitue un autre défi que nous avons rencontré. Nous devons en effet transformer les documents papier en des formats numériques consultables avant de pouvoir utiliser des filtres. Toutefois, depuis le début de la pandémie de COVID-19, certaines autorités chargées de l’approvisionnement au Canada ont pris le virage et ont fait du numérique l’option par défaut en ce qui concerne la soumission d’offres. Une telle situation ouvrira des possibilités pour les analyses de filtrage qui seront menées à l’avenir.

7. Conclusion

Le Bureau mène actuellement des travaux sur les filtres et continuera de les améliorer avec les progrès qui seront réalisés dans les domaines de l’accès aux données, de la portabilité et de la technologie. Le Bureau continue de mener des recherches et d’investir dans des outils, des technologies et des techniques statistiques utilisées pour la détection de truquage d’offres. Les organismes d’approvisionnement au Canada ont commencé à passer de la soumission d’offres papier à un processus électronique. Cette tendance s’accélérera vraisemblablement à l’avenir. Compte tenu de cette transition vers la soumission d’offres électroniques, et de l’avancement continu des outils et des capacités du Bureau, les avantages et les solutions aux défis liés aux filtres s’amélioreront certainement au fil du temps.