Épisode 19 : Protection des obtentions végétales au Canada

Maya Urbanowicz (Maya) : Vous écoutez « Voix de la PI canadienne », un balado où nous discutons de propriété intellectuelle avec des professionnels et des intervenants du Canada et d'ailleurs. Vous êtes entrepreneur, artiste, inventeur ou simplement curieux? Vous allez découvrir des problèmes concrets – et des solutions concrètes – ayant trait au fonctionnement des marques de commerce, des brevets, du droit d'auteur, des dessins industriels et des secrets commerciaux dans la vie de tous les jours. Je m'appelle Maya Urbanowicz et je suis votre animatrice d'aujourd'hui.

Les points de vue et les opinions exprimés dans les balados sur ce site Web sont ceux des baladodiffuseurs et ne reflètent pas nécessairement la politique ou la position officielle de l'OPIC.

L'enregistrement original de l'entrevue avec Anthony Parker a été fait en anglais. Vous écoutez la version française dans la voix hors champ réalisée par Nicolas Déziel au nom d'Anthony Parker.

Le secteur agroalimentaire canadien a pour objectif de devenir l'un des 5 principaux concurrents sur la scène mondiale. Pour ce faire, nos agriculteurs auront besoin de plantes qui résistent mieux à la sécheresse et aux ravageurs, qui sont moins gourmandes en eau et qui peuvent composer avec les effets des changements climatiques. Les sélectionneurs de végétaux du monde entier travaillent très fort. Le système réglementaire est également là pour les soutenir en leur offrant un droit de propriété intellectuelle appelé la « protection des obtentions végétales » ou POV. Il s'agit d'un droit de propriété intellectuelle bien peu connu. Environ 300 demandes seulement sont déposées au Canada chaque année, et la plupart proviennent de l'étranger. Mais quels sont ces droits et pourquoi sont-ils importants?

Je suis accompagnée aujourd'hui d'Anthony Parker, commissaire du Bureau de la protection des obtentions végétales du Canada, rattaché à l'Agence canadienne d'inspection des aliments. Le groupe d'Anthony garantit les droits des sélectionneurs de végétaux en accordant une protection pour leurs nouvelles variétés, une tâche plutôt inhabituelle effectuée par un petit et très intéressant groupe de personnes. Anthony a également une très bonne connaissance d'autres types de droits de propriété intellectuelle, notamment les brevets, puisqu'il termine actuellement une maîtrise en droit de la propriété intellectuelle au Osgoode Hall, à l'Université de York.

Anthony, je suis très heureuse de vous accueillir à notre balado d'aujourd'hui. Bienvenue!

Anthony Parker (Anthony) : Merci Maya. Je suis ravi d'être ici aujourd'hui. C'est vraiment un honneur de participer à ce balado de la Voix de la PI canadienne. J'en suis un fervent adepte, alors c'est merveilleux pour moi.

Maya : Formidable! Nous allons parler des droits des sélectionneurs de végétaux dans un instant, mais d'abord, pouvez-vous nous parler un peu de vous et du type de travail que vous faites à l'Agence canadienne d'inspection des aliments?

Anthony : Oui, eh bien, c'est toujours difficile de se décrire. Je dirais essentiellement que je suis un enfant de la ferme dans l'âme. J'ai grandi dans une ferme située juste à l'extérieur d'Ottawa; ma passion pour les plantes et l'agriculture m'a amené à ce monde obscur de la sélection végétale. Je pense qu'aucun enfant ne rêve de devenir un jour directeur du Bureau de la protection des obtentions végétales, alors j'ai l'impression que ce travail m'a trouvé. Je n'ai pas nécessairement recherché cet emploi.

Nous œuvrons dans un très grand organisme gouvernemental : l'Agence canadienne d'inspection des aliments. Elle compte environ 6 000 employés, mais seulement 8 d'entre eux, dont moi-même, 5 examinateurs et 2 employés de soutien assurent la responsabilité de gérer en quelque sorte un régime de propriété intellectuelle, ce qu'on appelle la protection des obtentions végétales.

La meilleure façon de comprendre notre travail est donc de nous comparer à une version réduite de l'Office de la propriété intellectuelle du Canada. En principe, nous faisons tous les mêmes choses. Nous acceptons les demandes et procédons à des examens tous les trimestres. Nous publions une revue intitulée « Bulletin des variétés végétales ».

Si vous pensez à d'autres formes de propriété intellectuelle que vous connaissez, ce bulletin se compare au journal TMS que beaucoup de vos auditeurs reconnaîtront. Il s'agit donc du mécanisme d'examen public et d'objection si certaines personnes estiment que la variété végétale n'a peut-être pas droit de bénéficier d'une protection.

Nous menons également beaucoup de nos activités un peu partout dans le monde. Nous établissons des politiques et des normes, ce qui fait que chaque membre de mon équipe est responsable d'un dossier à l'échelle internationale. Nous aimons aussi aider les autres, ce qui nous amène à participer au renforcement des capacités. À cet égard, nous avons récemment aidé le Sénégal à mettre en œuvre un système de protection des obtentions végétales et on nous a aussi invités à aider des pays comme Trinité-et-Tobago à améliorer leurs lois et à adopter une forme plus modernisée de la protection des obtentions végétales.

Je dois vous mentionner toutefois que le gros de notre travail se fait entre les mois d'avril et octobre, ce qui correspond à la saison de croissance au Canada. Afin de se prévaloir de la protection des obtentions végétales, les sélectionneurs doivent démontrer que leurs variétés sont nouvelles, distinctes, uniformes et stables. Trois de ces critères, le caractère distinct, l'uniformité et la stabilité, sont évalués sur place, dans les locaux des sélectionneurs, par moi-même et mon équipe. Nous passons ces merveilleux mois du printemps à l'automne à voyager à la grandeur du pays pour faire ces évaluations. À tout moment, nous pouvons nous trouver à Saskatoon en train d'examiner du blé ou du canola, à Grand Falls, au Nouveau-Brunswick, pour examiner des pommes de terre, dans le Sud de l'Ontario pour examiner des pétunias et une serre, ou même à Agassiz, en Colombie-Britannique, pour examiner des bleuets. Ça fait partie de notre vie. Et, juste pour vous donner une idée de notre volume de travail... L'année dernière, nous avons organisé 300 examens dans 7 provinces et 41 sites. Il faut donc aimer les végétaux pour vouloir faire ce genre de travail et je dois dire que nous les adorons tous, ce qui est parfait pour nous.

Maya : En effet, cela semble être dans vos cordes; vous serez très occupé au cours des prochains mois. Nous allons parler dans un instant de l'importance de la protection des obtentions végétales. Mais avant cela, j'ai pensé que vous pourriez peut-être expliquer à ceux qui ne sont pas familiers avec le sujet ce qu'est exactement cette protection et parler de la durée de sa validité.

Anthony : Oui, bonne question. D'un point de vue conceptuel, la protection des obtentions végétales ressemble sans doute le plus à la protection des brevets; il y a donc des critères fondamentaux à respecter pour l'obtenir. Beaucoup de vos auditeurs connaissent les brevets. Le produit doit être nouveau ou démontrer un certain élément de nouveauté, et il doit être reconnu et évident tout en étant utile. Les critères, comme je l'ai mentionné, sont légèrement différents dans notre cas. Le produit doit être distinct, uniforme et stable, mais aussi, ce qui est vraiment intéressant, la portée de la protection n'est pas aussi étendue que celle des brevets. Le monde des brevets est accompagné d'une exclusivité en matière d'utilisation, et la définition est très large. Dans celui de la protection des obtentions végétales, il s'agit davantage d'une énumération. Il y a certains actes pour lesquels des droits exclusifs sont accordés en ce qui a trait au matériel de multiplication. Le matériel de multiplication est la partie d'un végétal qui sert à reproduire une variété. Il peut s'agir d'une semence, d'un bourgeon ou d'une bouture de plante. La durée de protection est de 20 ans, tout comme pour les brevets, sauf dans le cas de certains types de cultures qui nécessitent une période de reproduction plus longue. Comme dans le cas des vignes et des arbres, la protection est en fait de 25 ans puisqu'il faut facilement 20 ans pour créer une nouvelle variété de pommier. Et aussi beaucoup plus de temps au marché pour s'y adapter, donc la période de protection est beaucoup plus longue.

Tout comme pour la protection par brevet, un sélectionneur peut conclure des ententes de licence afin de permettre aux entreprises de semences de vendre leur variété et aux pépinières de vendre leurs produits, et également, en général, pour percevoir des redevances. Ainsi, chaque fois qu'un sac de semences est vendu pour la culture sur une terre agricole, le sélectionneur pourrait percevoir une redevance, ou ce serait aussi le cas s'il crée de nouvelles variétés, par exemple une plante ornementale, comme une rose. Chaque vente dans une pépinière rapportera des revenus pour financer ses activités.

Maya : Il s'agit d'une protection réservée principalement aux activités commerciales. Je ne vais pas m'attirer des ennuis si j'ai planté un avocat dans mon pot de cuisine.

Anthony : Absolument pas. L'une des choses intéressantes à propos de la protection des obtentions végétales est qu'elle a tendance à être plus ouverte que les formes plus restrictives de propriété intellectuelle, et il y a donc des exceptions très efficaces qui sont générales dans la protection des obtentions végétales, et l'une d'elles est celle de l'utilisation privée non commerciale. Alors, si vous prenez une variété protégée par cette protection, et décidez de la cultiver chez vous, par exemple un avocat. S'il est protégé, vous n'avez rien à craindre. Mais dès que vous commercialisez cet avocat et commencez à le vendre à profit, vous avez un petit problème.

Maya : OK, OK. C'est bon à savoir. J'ai jeté un coup d'œil sur la base de données et, comme la plupart des droits de propriété intellectuelle, il s'agit d'une base de données accessible au public qui renferme une quantité étonnante de végétaux variés, et je me demandais quels types de ces variétés étaient sous la protection des Canadiens puisque les demandes de protection ne proviennent pas toutes du Canada.

Anthony : En effet, non, c'est une excellente observation, Maya. Et la meilleure façon de décrire ce qui se passe au Canada est que les sélectionneurs canadiens se spécialisent dans certaines semences. Il y a donc certaines choses que nous faisons très bien au Canada, souvent mieux que d'autres, mais nous ne faisons pas tout. Et on dépend beaucoup d'autres variétés provenant de divers pays. Ainsi, il y a les variétés de l'étranger qui sont importées au Canada ou des investissements étrangers directs dans les activités de création d'une nouvelle variété au Canada.

Pour vous donner une petite idée, environ 85 % des demandes de protection des obtentions végétales sont pour des variétés qui appartiennent à un détenteur de titre de propriété hors du Canada. Ainsi, seulement 15 % de ces variétés proviennent vraiment de demandes canadiennes, et principalement du secteur public. Aussi, parmi les entités qui déposent des demandes, le principal acteur au Canada est le ministère canadien de l'Agriculture, donc le ministère du gouvernement fédéral connu sous le nom d'Agriculture et Agroalimentaire Canada.

Et les demandes que l'on reçoit sont pour des variétés de blé qui prédominent dans ce domaine. AAC détient environ 50 % des parts de marché des variétés d'orge. Il produit aussi d'autres céréales comme l'avoine. Et il a des cultures intéressantes comme des variétés de cerises douces. Il s'agit du plus important programme de sélection international pour les cerises douces. Les produits sont exportés partout dans le monde. C'est un programme très fructueux, bien que nous n'ayons qu'environ 2 000 hectares de production de cerises douces ici au Canada, toutefois, elles dominent très largement le marché.

D'autres entités qui profitent de la protection des obtentions végétales et de nos entités nationales sont les universités, c'est-à-dire les universités canadiennes qui ont un programme d'agriculture et de sélection, la plus importante étant l'Université de la Saskatchewan. Leurs activités, en plus des céréales, sont un peu comme celles d'Agriculture et Agroalimentaire Canada. On y compte le blé, l'orge et l'avoine.

Elles ont un programme très intense de sélection végétale que les gens appellent souvent des légumineuses, comme les pois de grande culture. Le programme est consacré aux haricots secs, et aussi aux pois chiches, aux lentilles, et plus récemment aux fèveroles. Nous recevons de leur part probablement entre 20 et 30 dépôts de demandes chaque année. D'autres universités agricoles, comme l'Université de Guelph, ont présenté quelques demandes et nous en avons reçu d'autres du gouvernement de l'Alberta, qui offre également un programme de sélection végétale. Il y a donc en fait très peu de sélectionneurs au Canada qui œuvrent sur la scène nationale, qui appartiennent à des intérêts canadiens et qui ne relèvent pas de ces entités du secteur public.

En revanche, pour ce qui est d'autres types de cultures qui ne font pas nécessairement partie de nos spécialités, cette dépendance vient certainement de l'étranger, et je vais en parler brièvement. Nous cultivons presque toutes les variétés de pommes de terre, et les nouvelles cultures viennent d'Europe ou des États-Unis. La variété ornementale pour vos jardiniers – la saison des plantations approche, et les gens se tournent vers les pépinières pour s'approvisionner – eh bien, la plupart des plantes annuelles et vivaces et des arbustes à fleurs proviennent d'Europe ou des États-Unis. On voit ça sur le marché dans lequel les sélections canadiennes se sont spécialisées. Et bien sûr, je me dois de mentionner le cannabis. La production du cannabis va bon train ici au Canada. Nous nous sommes spécialisés dans certaines cultures; toutefois afin de combler l'écart et de nous assurer que les agriculteurs, les pépinières et les vergers ont accès à toutes les innovations, nous accueillons également beaucoup de variétés de l'étranger.

Maya : Vous avez mentionné qu'une variété végétale devrait être stable. Comment évaluez-vous ça? Je ne suis pas certaine de comprendre puisqu'une plante prend du temps à pousser, alors revenez-vous pour évaluer la stabilité?

Anthony : Oui, c'est une excellente question. Alors en effet, la stabilité est très importante en matière d'évaluation. Il s'agit de la capacité de la plante à se reproduire de génération en génération et à exprimer les mêmes caractères.

Ainsi, dans le cadre de l'examen du caractère distinct, de l'uniformité et de la stabilité, ce que nous appelons « DUS », nous demandons au sélectionneur de nous fournir des données à leur sujet sur plusieurs saisons de croissance pour nous montrer en fait que oui, cette variété est effectivement restée la même d'une année sur l'autre. Et ce qui est intéressant, c'est que nous parlons de formes de vie, n'est-ce pas? Les plantes sont donc des êtres vivants et, au fil du temps, toutes les fois qu'elles se reproduisent, elles peuvent perdre de leur uniformité et de leur stabilité. Maintenant, cela ne s'est jamais produit au cours de nos 30 ans d'activités, mais il se peut que cela devienne un motif pour révoquer l'obtention du droit, alors si, avec le temps, le produit qui a fait l'objet d'une protection n'est plus uniforme et stable, nous pourrions effectivement retirer le droit de protection pour cette variété.

Maya : Intéressant. Quelles sont les idées fausses que se font les gens au sujet de la protection des obtentions végétales?

Anthony : Voilà une excellente question, et la première chose qui me vient à l'esprit est que les gens pensent automatiquement que la protection des obtentions végétales s'apparente à un brevet. Ils ont donc en tête cette forme très restrictive de la propriété intellectuelle très axée sur l'innovateur et moins sur l'équilibre entre elle et d'autres parties intéressées de la société, afin d'avoir une idée des droits des utilisateurs de l'autre volet de l'équation.

En fait, j'ai une anecdote très intéressante à ce propos. Je ne parle jamais de mon travail lorsque l'on m'invite à des soupers ou des barbecues, car dès que le sujet commence à porter sur la nourriture, on commence à parler de son origine, puis à une occasion, on m'a dit : « Oh, tu aimerais peut-être revendiquer des droits de propriété intellectuelle. » Cette question m'avait été posée par l'une de mes amies que je connais depuis 10 ans.

Je n'y portais pas vraiment attention et j'ai répondu : « En fait, mon travail consiste à octroyer des droits de propriété intellectuelle pour des plantes », et son comportement a immédiatement changé. Elle s'est écartée de la table, m'a regardé dans les yeux et dit un seul mot : « Monsanto ». Donc, il y a ce genre d'idée dans le monde des végétaux à savoir que les droits de propriété intellectuelle sont fortement dominés par quelques entreprises multinationales. En fait, ce n'est pas le cas.

Dans la plupart des cas, ces grandes multinationales utilisent peut-être, ou peut-être pas, la protection des obtentions végétales. Elles recourent certainement à la protection par brevet. Toutefois, beaucoup de petits et moyens sélectionneurs dépendent de ce droit comme seule forme de protection de propriété intellectuelle. De plus, les institutions publiques, Agriculture et Agroalimentaire Canada, l'Université de la Saskatchewan et l'Université de l'Alberta ne cherchent pas en règle générale à obtenir des formes de propriété individuelle plus restrictives comme les brevets. Et la protection des obtentions végétales est leur seule option de protéger ces innovations. Donc, c'est probablement l'idée fausse la plus répandue.

On ne réalise pas non plus que la protection des obtentions végétales tente en réalité de combiner plusieurs formes de protection de propriété intellectuelle, et alors la plupart ressemblent à celle des brevets, mais notre loi comporte également des éléments de marque de commerce. Ainsi, lorsqu'on obtient des droits de protection pour une nouvelle variété, l'un d'eux est l'utilisation exclusive de ce que nous appelons la « dénomination de la variété ». Et tout cela représente le nom de la variété lequel sert en quelque sorte de marque de commerce. Il s'agit d'un indicateur d'état d'acquisition et de réputation sur le marché.

Dans notre monde, les gens connaissent les variétés végétales par leur nom, et diront que c'est une excellente variété, ou que ce n'est pas une très bonne variété; donc ce nom et cette exclusivité liée au nom sont un outil vraiment puissant – et un droit vraiment puissant pour le titulaire.

L'autre élément que je voudrais aborder est qu'une grande partie des problèmes associés à la violation de la protection des obtentions végétales est très similaire à ceux du droit d'auteur. L'un des droits exclusifs du sélectionneur est la reproduction de la variété.

Le truc avec les plantes, c'est qu'elles ont tendance à se reproduire, n'est-ce pas? Et c'est ce qu'elles font. Elles font plus de copies, et donc la plupart des violations dont nous avons été témoins sur le marché sont presque comme celles des droits d'auteur dans la nature, où quelqu'un prend cette plante, fait de multiples copies, en tire profit, et aucune indemnisation n'est versée au sélectionneur.

Maya : C'est vraiment intéressant. J'aime la façon dont vous parlez des autres droits de propriété intellectuelle et de leurs similitudes.

Je sais que vous étiez également le représentant du Canada auprès de l'Union internationale pour la protection des obtentions végétales. Pouvez-vous me dire de quelle façon la protection des obtentions végétales s'applique à l'échelle internationale et les différences qui existent entre les pays quant à la gestion des obtentions végétales?

Anthony : Oui, absolument. De façon très large, il existe une grande harmonisation et cela est en quelque sorte fonction de l'histoire. L'Union internationale pour la protection des obtentions végétales – nous l'appellerons ici « UPOV » pour ne pas avoir à le répéter; nous utiliserons l'acronyme – alors cette convention, celle de l'UPOV, a été rédigée en fait en 1961, mais elle n'est entrée en vigueur qu'en 1968. Et le nombre de pays participants était vraiment limité. L'organisation ne comptait en général que des pays européens et, même jusqu'à la modification apportée en 1978 pour la rendre un peu plus musclée et jusqu'au début des années 1990, il n'y avait qu'une vingtaine de membres. Et puis soudainement, l'accord sur les ADPIC est arrivé, et ensuite le cycle de négociations de l'Uruguay qui a donné naissance à l'Organisation mondiale du commerce et la création de cet accord international lesquels sont tous liés aux aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce. Et cela est vraiment venu stimuler l'intérêt pour une forme de propriété intellectuelle pour les végétaux qui provient en fait de cet article obscur de l'accord sur les ADPIC, l'alinéa 27.3b), qui dit que, si vous êtes partie à ce traité, vous devez protéger les variétés végétales par des brevets ou ce que l'on appelle une forme de système sui generis de protection de la propriété intellectuelle, terme qui signifie en latin « de son espèce », désignant une forme spécifique de protection des variétés végétales conçue uniquement pour les plantes.

Et c'est vraiment ce que représente le système de l'UPOV, et lorsqu'on leur a présenté l'accord sur les ADPIC, la plupart des pays ont en quelque sorte adopté le système comme forme harmonisée de propriété intellectuelle.

Donc après la période de 1994 et 1995, nous avons assisté à une explosion de l'adhésion internationale des pays à l'UPOV. Il existe donc un fort degré d'harmonisation au sein de ces pays. Les conditions de protection sont toutes les mêmes. En général, la façon dont les examens ou les évaluations sont effectués est très similaire ou identique. Cela procure donc de nombreux avantages pour un sélectionneur. Il existe un degré élevé d'éléments prévisibles. On sait en quelque sorte que si je vais au Canada, au Royaume-Uni ou en Allemagne, par exemple, je saurai à quoi ressemblent la procédure d'examen et les droits que j'obtiendrai.

À quelques nuances près toutefois, de nombreux pays, y compris le Canada, ont adhéré pour la première fois à l'UPOV en adoptant une forme moins évoluée de protection de la propriété intellectuelle appelée UPOV 78, puis en 2015, nous avons renforcé cette protection en adoptant la version la plus récente, celle de l'UPOV 91. La plupart des pays en font déjà partie, mais la propriété intellectuelle est controversée et il est parfois difficile pour les pays de modifier leurs lois. Toutefois, pour tous les nouveaux pays qui souhaitent s'inscrire au système de l'UPOV depuis, je crois, l'an 2000, la seule option est celle de la version la plus récente, celle de l'UPOV 91. Il existe donc une grande harmonisation pour un grand groupe de pays dans ce système.

Il y a quelques exceptions. Les États-Unis ont été les précurseurs en matière de protection de la propriété intellectuelle pour des variétés végétales. Leur brevet dans ce domaine est entré en vigueur en 1930. Donc un grand nombre des leçons apprises du système américain ont servi de base au développement de l'UPOV au fil du temps, et l'Union européenne a également proposé des brevets d'utilité pour des variétés végétales. Ainsi, on a aux États-Unis une boîte à outils de propriété intellectuelle pour les végétaux qui permet de choisir ce qui nous est le mieux adapté alors que dans la plupart des pays, on utilise un système de protection des obtentions végétales fondé sur l'UPOV, lequel est très fortement harmonisé.

Maya : Vous avez mentionné les brevets et j'ai pensé que nous pourrions peut-être parler plus en détail du fonctionnement des droits en matière de protection des obtentions végétales puisque fondamentalement, j'imagine qu'il s'agit essentiellement d'un ADN qui crée quelque chose qui se recrée elle-même et ainsi de suite. Je me demandais donc si vous pouviez glisser un mot sur l'interrelation entre les droits en matière de protection des obtentions végétales et les brevets au Canada.

Anthony : Je peux certainement faire de mon mieux pour l'expliquer. L'évolution de la coexistence de ces 2 systèmes provient en réalité de cas de jurisprudence établis. Il y a 2 affaires vraiment marquantes qui ont en quelque sorte fixé la limite entre ce qu'il faut utiliser pour la protection des obtentions végétales et pour la protection par brevet. Bien sûr, la première jurisprudence est l'affaire des souris de Harvard pour laquelle la décision de la Cour suprême a essentiellement fait une distinction entre les formes de vie supérieures et les formes de vie inférieures, les végétaux étant des formes de vie supérieures, tout comme les animaux. Cela n'était donc pas admissible à la protection par brevet.

Mais on est allé un peu plus loin en déterminant qu'en fait, les sous-composantes ou les sous-unités des plantes étaient effectivement admissibles à la protection par brevet. Ainsi, un gène particulier, une caractéristique ou une modification apportée à une cellule peuvent être protégés par un brevet, ce qui est assez incroyable, n'est-ce pas? Si vous avez cela, vous avez une exclusivité d'utilisation et celle-ci est beaucoup plus efficace que la protection des obtentions végétales. Puis quelques années plus tard, un autre dossier de jurisprudence a permis de consolider l'investissement en recherche et en développement et l'utilisation de brevets au Canada pour les plantes, soit la décision liée à Monsanto contre Schmeiser. Dans cette affaire, il s'agissait en fait d'un gène breveté qui confère une résistance à un herbicide connu sous le nom générique de Roundup. Il s'agit de la tolérance au glyphosate en fait.

Et ce qui est ressorti de cela, c'est que nous commençons à constater la possibilité d'une double protection; toutefois, ce dossier en particulier ne comprenait probablement pas la protection des obtentions végétales.

Cependant, pour ce qui est de l'avenir, nous constatons que la plupart des entreprises choisiront de superposer leur propriété intellectuelle. Elles obtiendront la protection des obtentions végétales, et si elles ont un transgène pouvant obtenir un brevet, surtout s'il s'agit de modifications génétiques récentes, elles chercheront à obtenir également une protection par brevet.

Le seul domaine dans lequel nous ne savons pas vraiment où les choses vont nous mener, et je vais en discuter avec mes collègues de l'OPIC, est comment se dessine l'avenir des nouvelles techniques de sélection.

Les nouvelles techniques de sélection utilisent des éléments comme la précision dans la modification des gènes. Un grand nombre de vos auditeurs connaissent peut-être le système CRISPR/Cas9 dans lequel aucun nouveau matériel génétique n'est ajouté pour expliquer son génome; le génome existant est plutôt modifié afin de couper ou de réguler l'expression génétique, ou d'introduire des modifications. Ce système pourrait-il être breveté? À l'heure actuelle, nous ne le savons pas. Mais on se dirige vers cette technologie qui est très prometteuse, et je crois donc que nous allons assister à une tendance générale, si cela est possible, de chercher à obtenir des brevets pour des gènes ou des caractères spécifiques. On demandera la protection des obtentions végétales pour la variété dans son ensemble. Et plus que cela, nous assistons maintenant à une utilisation plus répandue des marques de commerce, c'est-à-dire une marque de commerce par rapport au nom en plus de ce qui est utilisé comme dénomination conformément à la protection des obtentions végétales d'une marque associée au niveau des variétés.

Maya : C'est la combinaison dont nous parlons également souvent ici à l'Office de la propriété intellectuelle, l'utilisation de plusieurs droits de propriété intellectuelle pour protéger essentiellement son entreprise. Vous êtes directeur du Bureau de la protection des obtentions végétales du Canada depuis un certain temps. Selon vous, le système de protection des obtentions végétales fonctionne-t-il au Canada?

Anthony : Eh bien, c'est une bonne question. Je dirais que c'est mieux que c'était, et que c'est loin d'être satisfaisant. Laissez-moi vous expliquer ce que je veux dire. Pendant les 10 à 15 premières années de la mise en œuvre de la protection des obtentions végétales au Canada, c'est-à-dire entre le début des années 1990 et le milieu des années 2000, nous avons assisté à une montée en flèche des dépôts de demandes. Puis, nous avons constaté qu'en restant à la forme la moins évoluée de protection de la propriété intellectuelle, soit l'UPOV 78, nous commencions à perdre l'accès à de nouvelles variétés. Nous commencions à perdre des investissements dans la sélection végétale. Nous commencions vraiment à voir une baisse entre 2008 jusqu'à environ 2015, où nous perdions un taux de propriété intellectuelle de l'ordre de 5 à 10 % par année. Et c'est vraiment parce que le Canada n'était plus en phase avec le reste du monde. Pour un pays développé, nous avons été l'un des derniers à adopter l'UPOV 91.

Cela dit, dès que nous y avons souscrit en 2015, nous avons commencé à rapatrier beaucoup de ces demandes, et en fait, les investissements directs étrangers ont augmenté de façon spectaculaire. Je comparerais cela à une course à vélo sur route; nous étions à un point où nous avions perdu de vue le peloton. Nous étions tellement loin derrière. Le Canada a maintenant rattrapé la queue du peloton, mais nous sommes loin d'être en tête et notre loi sur la propriété intellectuelle compte encore beaucoup de faiblesses, et les innovateurs la regardent et se disent « peu importe, nous pouvons aller dans d'autres pays où ils offrent une meilleure protection ».

Notamment, les leaders seraient les États-Unis qui attirent beaucoup d'investissements en recherche et développement, et l'Australie qui nous surpasse en ce qui a trait à la qualité des relations publiques. La plupart des pays européens sont bien plus avancés que nous, même le Japon, et notre principale faiblesse est liée à une exception facultative appelée « privilège de l'agriculteur ». Et cela est très avantageux pour les agriculteurs. Ainsi, lorsqu'on fait l'achat légal d'une variété protégée par la protection des obtentions végétales, l'une des restrictions du droit des sélectionneurs est que l'agriculteur peut conserver et réutiliser les semences aussi longtemps qu'il le souhaite. Quoi qu'il en soit, le Canada n'a pas respecté ses obligations en ce qui a trait à la dernière partie de ce traité privilégiant les agriculteurs, laquelle dit « dans des limites raisonnables et sous réserve de la sauvegarde des intérêts légitimes de l'obtenteur ». La plupart des pays ont donc mis en place un système qui permet à l'agriculteur de conserver et de réensemencer contre indemnisation versée à l'innovateur. Cela permet donc à celui-ci de récupérer son investissement dans la sélection végétale et l'aide à stimuler davantage l'innovation, et c'est là une grande faiblesse de notre système canadien. Nous ne le permettons simplement pas. Alors, si on prend un pays comme l'Australie, il a en fait 8 différentes entreprises de sélection du blé. Au Canada, plus particulièrement dans l'Ouest du pays, nous ne pouvons même pas en soutenir une. L'Union européenne compte 25 entreprises qui sélectionnent des variétés de céréales alors que le Canada n'en a pratiquement aucune. Et nous avons aussi ce secteur public qui se trouve en position dominante et monopolistique dans la fourniture de variétés, et il n'y a pas de place pour de nouveaux acteurs sur le marché.

Et cela n'est pas intentionnel; c'est plutôt parce que le marché est détraqué. Les contribuables ont en quelque sorte eu à subventionner cette activité puisqu'il était impossible d'inciter tout autre intervenant à y participer. Lorsque les gens m'entendent dire des choses comme ça, ils croient que c'est parce que je n'aime pas le secteur public, alors que c'est tout le contraire. Notre sélection dans le secteur public est vraiment une ressource stratégique et les acteurs dans ce marché abattent un travail formidable et de classe mondiale.

Mais nous devons vraiment commencer à en arriver à un point où le secteur fonctionnerait davantage comme une économie de marché où la concurrence est libre et équitable et où il y aurait plus d'un acteur, et je pense que si nous pouvions arriver à le faire, cela nous propulserait facilement parmi les 5 plus importants pays au monde, ce qui garantirait des investissements en recherche et développement dans la sélection végétale. J'en suis intimement convaincu. Si nous ne le pouvons pas, je pense que nous devrons continuer de travailler d'arrache-pied.

Cela dit, il y a aussi de bonnes nouvelles. L'avenir est prometteur dans d'autres domaines, et souvent, il s'agit d'une question de point de vue. Considérez-vous la propriété intellectuelle comme quelque chose que vous devrez financer ou qui pourrait créer des débouchés et des avantages?

Et il y a certains secteurs, comme le secteur horticole et le secteur des plantes ornementales, qui considèrent vraiment que la force et les droits en matière de propriété intellectuelle résident dans leur intérêt et leurs avantages à long terme; ils ont été favorables à l'utilisation de la protection des obtentions végétales, et ils en demandent davantage. Nous allons donc travailler avec eux et proposer, probablement au cours des prochaines années, je ne sais pas quand exactement, certaines modifications réglementaires qui viendront renforcer davantage la protection de la propriété intellectuelle pour ces types de sélectionneurs.

Donc, je pense qu'en général, la situation est en grande partie positive. Elle est aussi un peu négative puisque nous perdons un peu de terrain par rapport à certains de nos concurrents, mais il y a certaines choses que nous pouvons faire pour encourager de nouveaux investissements. Et cela se présentera au cours des 2 prochaines années.

Maya : Merci, Anthony. Vos propos ont été très intéressants et je vous remercie d'avoir transmis vos connaissances et participé à cette discussion afin d'aider les Canadiens à mieux comprendre comment la propriété intellectuelle peut être utilisée plus efficacement. Ce fut un plaisir de vous accueillir.

Anthony : Tout le plaisir est pour moi. Merci, Maya.

Maya : Vous venez d'écouter « Voix de la PI canadienne », un balado où nous parlons de propriété intellectuelle. Dans cet épisode, Anthony Parker, qui est commissaire du Bureau de la protection des obtentions végétales du Canada, nous a expliqué comment la protection des obtentions végétales au Canada offre une protection de propriété intellectuelle aux sélectionneurs de végétaux. Si vous êtes curieux et vous voulez en apprendre plus sur comment la protection des obtentions végétales fonctionne, visitez la fiche de renseignements qui se trouve en ligne à Canada.ca/trousse-pi ou cliquez sur la description de cet épisode pour les liens au Bureau de la protection des obtentions végétales du Canada, qui offrent aussi un excellent aperçu de comment les droits de PI fonctionnent au Canada.