Épisode 20 : Entrée des marques traditionnelles et des droits de PI dans le métavers

Maya Urbanowicz (Maya) : Vous écoutez « Voix de la PI canadienne », un balado où nous discutons de propriété intellectuelle avec des professionnels et des intervenants du Canada et d'ailleurs. Vous êtes entrepreneur, artiste, inventeur ou simplement curieux? Vous allez découvrir des problèmes concrets – et des solutions concrètes – ayant trait au fonctionnement des marques de commerce, des brevets, du droit d'auteur, des dessins industriels et des secrets commerciaux dans la vie de tous les jours. Je m'appelle Maya Urbanowicz et je suis votre animatrice d'aujourd'hui.   Les points de vue et les opinions exprimés dans les balados sur ce site Web sont ceux des baladodiffuseurs et ne reflètent pas nécessairement la politique ou la position officielle de l'OPIC.

Maya : Dans cet épisode, nous allons faire un bref survol d'un nouveau monde d'actifs incorporels en pleine effervescence qui existe exclusivement en ligne, sur le métavers. Vous en avez peut-être entendu sous les termes NFT, aussi connus sous les jetons non fongibles, le blockchain, la cryptomonnaie, etc. Dans l'optique de la propriété intellectuelle, la création en ligne, les marques, les designs et la fonctionnalité sont familiers, particulièrement dans l'industrie des jeux et des logiciels où la PI jour un rôle important.

Mais ce qui arrive maintenant est différent. Dans le métavers, nous voyons maintenant un marché en ligne en croissance où les gens peuvent passer du temps avec les autres, visiter des magasins ou des objets virtuels tels que des marques, des œuvres d'art, des avatars sont vendus.

La préoccupation des propriétaires et des créateurs est souvent directement reliée avec la propriété intellectuelle et comment ce droit peut être appliqué, protégé et surveillé. Notre invitée d'aujourd'hui dirait : « des droits incorporels dans un monde immatériel. » Donc, qu'est-ce que les avocats et les professionnels de la PI observent lorsqu'on parle de la PI dans le métavers?Brigitte Chan, est une avocate et agente de marques de commerce et dirige le bureau du cabinet de Bereskin & Parr de Montréal. Brigitte a été reconnue par Best Lawyers au Canada en 2021 et 2022. Elle a également été listée parmi les meilleurs professionnels en marques de commerce dans le World Trademark Review 1000 en 2021, une liste internationale qui identifie les meilleurs professionnels jugés exceptionnels à obtenir, protéger, gérer, appliquer et monétiser les marques de commerce. L'an dernier, Brigitte a reçu l'Ordre du mérite 2021 par la section de droit civil de l'Université d'Ottawa.

Brigitte, bienvenue à notre balado!

Brigitte Chan : Bonjour Maya. Merci beaucoup de m'accueillir.

Maya : Entrons directement dans le vif du sujet d'aujourd'hui! Certaines des plus grandes marques dans le monde sont en train de créer et protéger des actifs incorporels qui sont destinés pour le monde immatériel. Quels sont ces actifs incorporels et comment sont-ils protégés?

Brigitte : Alors effectivement, plusieurs des marques bien connues entrent dans le métavers. C'est certainement un sujet brûlant ces temps-ci.

Et bien les actifs virtuels, ou numériques, peuvent être n'importe quoi, soit des œuvres d'art, des produits de consommation virtuels ou même des établissements virtuels comme des magasins ou des restaurants.

Bon. Pour ceux et celles qui sont encore incertains de quoi consiste le métavers, c'est essentiellement un espace virtuel où les gens peuvent socialiser ou jouer des jeux en ligne. De telles plateformes existent déjà depuis un certain temps, mais a pris de l'ampleur avec la popularité de réseaux sociaux et des jeux interactifs. Et la pandémie a sûrement joué un rôle dans la propulsion du mouvement. Certaines de ces plateformes permettent l'achat ou la création d'actifs numériques que ce soit un objet d'art, comme je le disais tantôt, un logiciel ou un actif virtuel comme un accessoire de mode pour habiller son avatar et ces actifs numériques sont sous forme de NFT, c'est-à-dire des «jetons non fongibles».

Maya : Oui, et je crois que c'est difficile pour certains de comprendre, parce que, essentiellement, habituellement ces objets sont des objets physiques comme une peinture ou quelque chose qu'on peut porter, mais maintenant on parle de choses qu'on ne peut pas toucher, donc, c'est quoi exactement? Nous entendons parler de plus en plus de NFT et de jetons non fongibles, mais qu'est-ce que c'est?

Brigitte : Eh bien, d'après ce que je comprends, ces jetons sont des biens numériques basés sur la technologie blockchain. Il existe de différents types de ces jetons, soit certains sont fongibles et certains sont non-fongibles. Alors, les jetons fongibles sont ceux qui peuvent être échangés contre un autre jeton fongible parce qu'ils ont une même valeur par exemple, la cryptomonnaie. Par contre, un jeton non fongible est un jeton ayant un ensemble unique de données. Il possède ses propres identificateurs, qui ne sont pas interchangeables comme la cryptomonnaie. Alors, c'est ça ce qui lui rend rare et facile à tracer et je crois que c'est pour cette raison que les NFT ont une valeur précise comme un bien réel.

Et c'est cet élément qui a rendu les NFT si populaires par exemple, dans l'industrie de la mode. La possession d'un NFT, soit un accessoire de mode virtuel par exemple, confère à son détenteur la propriété exclusive de cet actif. Alors, d'où vient la problématique de violation de droits de marques de commerce et de droits d'auteur? Et bien par exemple, Hermès s'est porté plainte contre l'artiste Mason Rothschild pour son interprétation numérique du célèbre sac à main Birkin d'Hermès, publiée sur la plateforme OpenSea, sous forme de NFT nommés MetaBirkin. Alors on suit cette cause qui est en cours aux États-Unis de près.

Maya : Et en parlant de valeur, on sait que les marques de commerce peuvent être renouvelées indéfiniment, bien sûr aussi longtemps que la marque est utilisée correctement, donc la valeur de la marque peut être énorme. Si je pense au monde virtuel, cette valeur peut être aussi très importante.

Dans le monde réel, les lois sur les marques de commerce sont là pour protéger le consommateur et prévenir les consommateurs pressés à faire un achat basé sur de l'information qui porte à confusion. Donc, on ne voudrait pas que ça arrive dans le monde réel ni dans le métavers, mais dans quelles mesures ces lois peuvent-elles être appliquées dans le métavers?

Brigitte : Et bien dans le métavers, comme dans la vraie vie, je dirais que la propriété intellectuelle se trouve sous forme du droit d'auteur, de marques de commerce, soit les slogans ou les logos. On trouve aussi des dessins industriels, des brevets et même sous forme de get-up ou trade dress, c'est-à-dire la présentation commerciale d'emballage.

En termes de loi sur les marques de commerce, je ne vois pas comment le métavers peut s'échapper à son application. Que l'infraction se produise dans la vie réelle, sur l'Internet ou d'autres formes de réalité virtuelle, les mêmes lois devront s'appliquer et la même analyse de risque de confusion auprès du consommateur devrait s'appliquer, bien que certains facteurs seraient nécessairement adaptés pour s'appliquer aux circonstances du métavers.

Je ne pense pas non plus qu'il y ait quelque chose de particulièrement nouveau ici. Prenons l'industrie du jeu vidéo, par exemple, les éditeurs de jeux vidéo collaborent couramment avec de grandes marques, comme Lego et Disney. Ces développeurs ne peuvent pas simplement utiliser la marque de n'importe qui sans autorisation. Les développeurs de jeux et les détenteurs de marques de commerce et de droits d'auteur connaissent bien le concept de placement de produit, de licence, de marque de commerce et certainement ils connaissent les conséquences de la contrefaçon de la marque d'autrui dans ce contexte. Alors, il n'y a aucune raison pour que ces mêmes lois ne s'appliquent pas aux plateformes de jeux sociaux interactifs dans le métavers ou dites Web 3.0.

Je pense que l'obstacle réside plutôt dans l'application des droits de propriété intellectuelle dans le métavers.

Maya : En termes de protection de la PI et aussi le respect de droits de PI, c'est en train de devenir réel. Ce n'est pas juste un jeu, ce sont de réelles poursuites avec de l'argent réel. Qu'est-ce que les professionnels de la PI observent dans cet espace?  

Brigitte : Eh bien, nous voyons une hausse de demandes de conseils sur la protection et l'application des droits de propriété intellectuelle dans le métavers. Et vous avez raison, ce n'est pas un jeu. Il y a de vrais procès en cours avec de vrais risques monétaires en jeu. Certains NFT sont vendus pour des sommes incroyables et il y a déjà plusieurs poursuites devant les tribunaux aux États-Unis que nous surveillons de près, dont un concernant le MetaBirkin dont je parlais tantôt et un autre concernant Nike qui poursuit StockX pour la vente des NFT de chaussures Nike et en contrefaçon de ses célèbres marques, NIKE et AIR JORDAN. Alors StockX est un revendeur de marchandises en ligne ayant entré sur le marché NFT. Nike a intenté une action aux États-Unis pour empêcher StockX de cette utilisation non autorisée de ses marques en liaison avec ses NFT et Nike réclame des dommages-intérêts substantiels à StockX. Alors oui, il y a des conséquences financières réelles.

Selon mes discussions avec divers propriétaires de marques de luxe, leur pensée est que les premiers à agir ont toujours l'avantage de façonner la pensée de masse et sur l'interprétation des lois comme dans toute industrie émergente.

Et le principe est que les marques que nous connaissons et que nous aimons bien auront le même succès dans le métavers et ça joue par conséquent un rôle vital dans l'adoption massive du métavers.

Nous voyons déjà des entreprises de divers secteurs agir de manière proactive à la protection des marques sur le marché NFT. L'expansion de leurs portefeuilles de marques pour protéger les versions NFT de leurs produits ainsi que leur future présence dans le métavers. Et également, ils réfléchissent sur de nouvelles stratégies car le métavers peut leur conférer une nouvelle source de revenus.

Maya : Hmmm… Il y a des liens intéressants entre les NFT et les marques de commerce qui sont d'un grand intérêt. Les consommateurs, mais aussi les gens qui vendent ou achètent ces NFT font parfois des erreurs. Je sais qu'il y a des idées erronées au sujet des NFT, surtout quand on parle de droit d'auteur et d'être le détenteur d'un NFT qui est lié à un droit d'auteur. Alors je me demandais, qu'elles sont certaines de ces idées erronées qui se répandent au sujet des NFT?

Brigitte : Eh bien, je pense qu'une idée erronée courante est que la propriété d'un NFT donne à son détenteur le droit de faire n'importe quoi avec l'objet NFT, qu'il s'agisse d'un accessoire de mode ou d'une œuvre littéraire ou d'une œuvre d'art, mais ce n'est pas le cas.

La propriété d'un NFT est distincte de la propriété des droits de propriété intellectuelle. Alors, pensez-y comme acheter un DVD d'un film. Alors, vous possédez un DVD, mais vous ne possédez pas les droits d'auteur sur le film là afin que vous puissiez faire n'importe quoi avec, le reproduire ou le revendre.

Maya : C'est une excellente façon de l'expliquer! Merci.

C'est un nouveau marché dont on entend parler, des échanges et des transactions qui atteignent des valeurs et des montants de plusieurs millions de dollars parfois. Comment voyez-vous les choses évoluer dans ce marché si les lois de PI actuelles s'appliquent en fait?

Brigitte : Je dirais qu'on verra. Ça dépendra des recours disponibles aux détenteurs de marques face aux NFT contrefaits et les mesures pratiques disponibles pour détruire ces NFT. Alors, même si un détenteur de marque a gain de cause et obtient une ordonnance de la Cour pour la destruction du NFT, la situation est très différente d'un cas de produits physiques. Ici, la suppression d'un NFT n'est pas possible en raison de sa nature sur la technologie blockchain. Le NFT existera toujours sur la blockchain. Alors, pour retirer de la circulation, il faut «brûler» le NFT selon un tel processus pour qu'il n'y ait plus aucun moyen d'y accéder. Mais en fin de compte, c'est peut-être tout ce qui nous intéresse, c'est de les enlever de la circulation sur les plateformes Métavers.

En revanche, la traçabilité des NFT offre de nouvelles sources de revenus potentielles pour les créateurs et les artistes. Par exemple, les NFT pourraient être suivis pour que son créateur reçoive une redevance à chaque fois qu'il est revendu. Alors, il y a sûrement déjà quelqu'un qui travaille sur ça.

Mais, pour les praticiens en propriété intellectuelle, je pense que nous devons s'impliquer pour mieux comprendre le métavers, afin de comprendre en pratique comment ça fonctionne. Et cela vous aidera à identifier les nuances potentielles dans l'application des lois existantes à ce nouveau monde virtuel.

Maya : Oui, il y a probablement beaucoup d'opportunités pour les gens d'essayer ces plateformes. On entend parler de ces plateformes presque chaque jour maintenant. Je voulais vous demander, quelles expériences avez-vous eues, personnellement, dans ce métavers?

Brigitte : Je suis encore en apprentissage, mais je me suis récemment embarquée dans une promotion de NFT de hoodies virtuels lancée par Gap. J'ai réussi d'en acheter lors du premier lancement. Il fallait acheter un certain nombre de hoodie NFT à chaque lancement et continuer d'en collecter à chaque niveau afin d'atteindre l'ultime hoodie qui finirait par coûter environ 500 $, mais j'ai jamais pu dépasser le premier niveau. Tous les hoodies du deuxième lancement étaient épuisés quand je me suis connectée et je n'arrivais pas à y croire. Comment peut-on épuiser quelque chose qui n'existe pas! C'était quand même une bonne expérience et j'ai au moins maintenant quelques NFT de hoodies virtuels quelque part dans le métavers si quelqu'un en cherche!

Maya : Brigitte, vous avez partagé tellement de points intéressants! C'est évident que c'est un domaine qui est en pleine évolution, alors nous allons devoir être patients et rester à l'écoute! Merci énormément d'avoir participé dans notre balado et d'avoir partagé votre point de vue avec nous!

Brigitte : Merci beaucoup Maya.

Vous venez d'écouter « Voix de la PI canadienne », un balado où nous parlons de propriété intellectuelle. Dans cet épisode, nous avons rencontré Brigitte Chan, qui est avocate et agente de marques de commerce, puisqu'on voulait en apprendre plus sur les liens entre la PI et les actifs en ligne vendus dans le métavers, le type de questions posées et les situations observées par les professionnels de la PI dans ce marché qui est en pleine croissance. Pour en apprendre plus sur les observations de Brigitte Chan à ce sujet, ouvrez la description de cet épisode en ligne et vous trouverez un lien à sa série d'articles en anglais IP Metaverse.