Épisode 25 : Votre PI est-elle à l’épreuve du temps? Penser comme un avocat en PI au sein d'une entreprise

Maya Urbanowicz (Maya) : Vous écoutez « Voix de la P.I. canadienne », un balado où nous discutons de propriété intellectuelle avec des professionnels et des intervenants du Canada et d'ailleurs. Vous êtes entrepreneur, artiste, inventeur ou simplement curieux? Vous allez découvrir des problèmes concrets – et des solutions concrètes – ayant trait au fonctionnement des marques de commerce, des brevets, du droit d'auteur, des dessins industriels et des secrets commerciaux dans la vie de tous les jours. Je m'appelle Maya Urbanowicz et je suis votre animatrice d'aujourd'hui.

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Les grandes entreprises, très grandes entreprises comme Bombardier, Huawei, BlackBerry ou Ericsson bénéficient toutes d'un service interne de propriété intellectuelle pour gérer leur portefeuille. Là, vous trouverez souvent un groupe d'avocats. Certains d'entre eux seront des agents de brevets et de marques de commerce, des techniciens juridiques. C'est comme une machine de P.I. bien huilée, avec un mandat de protéger les actifs de P.I. corporatifs qui peuvent à terme valoir plusieurs milliards de dollars. Mais contrairement à ce que vous pensez peut-être, ces services ne pensent pas uniquement à produire le plus de brevets possible. Bien sûr, la technologie joue un rôle important ici. Mais, comme vous allez l'apprendre aujourd'hui avec notre invité, la manière de devenir une machine de P.I. bien huilée est en restant concentrée sur le futur et avoir un plan sur comment la P.I. va vous aider à atteindre votre but, une stratégie de P.I., une culture de P.I. Mais pour les petites et moyennes entreprises, la priorité est souvent sur le développement de la technologie, des produits, des services et obtenir de l'aide professionnelle pour soumettre un brevet ou 2, si les ressources financières le permettent. Alors quelles sont les leçons que les petites entreprises peuvent apprendre des géants commerciaux? Comment pouvez-vous apprendre à penser comme les avocats des services internes de la P.I.? Robert Guay, vous avez un diplôme en droit et un bilan impressionnant de mettre en place et gérer les services de P.I. dans quelques multinationales, incluant Bombardier, BlackBerry et présentement, vous êtes directeur de P.I. à Shopify. Je suis très heureuse que vous êtes avec nous aujourd'hui. Je sais que nous avons beaucoup de questions intéressantes pour vous, mais tout d'abord, merci de participer à « Voix de la P.I. canadienne ». Pouvez-vous nous parler un peu de vous et du type de travail que vous faites à Shopify?

Robert Guay (Robert) : Oui, bien sûr. Merci de l'invitation. Je suis un avocat spécialisé en brevet et mon rôle ici à Shopify est plus ou moins similaire au rôle que j'ai tenu dans le passé au travers des 22 années que j'ai œuvré dans le domaine. Essentiellement, j'aide les entreprises, j'aide l'entreprise pour laquelle je travaille, à bâtir des portefeuilles pour l'aider à rencontrer ses objectifs commerciaux. Évidemment, il y a toutes sortes d'objectifs commerciaux et puis toutes sortes de façons dont les portefeuilles peuvent être bâtis. Quand on pense à bâtir des portefeuilles selon les objectifs commerciaux, on pense à, par exemple, bâtir des portefeuilles pour démontrer la capacité d'innover de l'entreprise ou peut-être aussi pour démontrer la capacité de l'entreprise à développer des produits ou services qui se distinguent de ceux offerts par la compétition ou pour supporter des problèmes de licence ou aussi développer des actifs de propriété intellectuelle plus défensifs qui peuvent être utilisés pour diminuer le risque dans le cadre d'une poursuite de brevet par exemple.

Maya : Nous allons parler de petites entreprises maintenant, parce qu'elles ne sont souvent pas dans la même situation lorsqu'on parle de ressources pour gérer leur P.I. Pouvez-vous expliquer à quelqu'un qui gère une petite compagnie quelles sont les différences entre embaucher disons une tierce partie pour soumettre une demande de P.I. comparativement à avoir quelqu'un interne pour vous aider avec cela?

Robert : Oui, la nature des services de base en propriété intellectuelle, je crois que ça, c'est très similaire. C'est-à-dire que peu importe si c'est quelqu'un à l'interne ou quelqu'un à l'externe qui fournit le service, je crois qu'on peut s'attendre à un résultat relativement similaire. Là où est-ce qu'il y a une certaine différence, c'est au niveau de la valeur ajoutée. Comment est-ce que les services peuvent être rendus de façon à créer une valeur supplémentaire? C'est qu'on veut dire par là, c'est qu'en étant plus près des préoccupations de l'entreprise, par exemple, de ses défis, de ses objectifs, ce que ça fait, ça nous permet cette proximité-là de pouvoir fournir des services de propriété intellectuelle qui sont mieux personnalisés pour les besoins de l'entreprise.

Maya : Et en tant qu'entrepreneur, c'est difficile de rester au courant des objectifs d'affaires et aussi de la P.I., surtout si vous ne comprenez pas exactement la P.I. et comment vous allez l'utiliser à long terme. Vous êtes présentement en train de mettre sur pied ou vous avez mis sur pied votre 7e service de P.I. corporatif et vous avez probablement vu des centaines de demandes de brevet aller dans toutes les sortes de directions de ceux sans aucun potentiel dès le début, aux grands succès commerciaux. En tant qu'avocat interne, quelle leçon partageriez-vous avec quelqu'un qui considère déposer sa toute première demande de brevet?

Robert : Ce que j'aurais comme recommandation, c'est de trouver quelqu'un qui est prêt à prendre le temps de bien connaître l'entreprise. Pourquoi? C'est pour se développer une vue d'ensemble, pour mieux comprendre et mieux cibler ce qu'il faut faire. Vous savez, la propriété intellectuelle, c'est quelque chose de compliqué, c'est quelque chose d'assez coûteux dans certains scénarios. Si l'on ne fait pas cet effort-là, on risque d'avoir des portefeuilles qui ne sont pas au service des objectifs de l'entreprise.

La propriété intellectuelle me fait beaucoup penser au domaine de la santé. C'est un domaine qui est peut-être compliqué pour les non-initiés. Quand on va rencontrer un spécialiste de la santé, on veut toujours avoir un diagnostic qui est personnalisé, un diagnostic duquel le professionnel prend le temps de bien comprendre nos besoins pour nous donner la meilleure solution possible. Le domaine de la propriété intellectuelle, c'est un peu la même chose. On veut vraiment avoir des actifs en propriété intellectuelle qui sont bâtis de façon à servir l'entreprise.

Maya : Vous parlez de la façon de penser. Je voulais vous demander : pouvez-vous partager ce que vous pensez être la plus importante façon de penser que les entrepreneurs devraient garder en tête durant le processus de protection de la P.I.?

Robert : Oui. La façon de penser la plus importante, c'est vraiment de penser à l'utilisation future. Quand on bâtit un portefeuille, on a souvent en tête l'aspect principal, c'est-à-dire la protection. Il faut être capable, au fil du temps, de vraiment penser d'aller au-delà de cet aspect de protection, c'est-à-dire l'aspect de protéger les produits et services courants, et de penser vraiment à comment les actifs qu'on va bâtir pourraient être potentiellement utilisés dans le futur.

Au niveau des brevets, quand on se concentre sur l'aspect protection, on pense aux aspects brevetables, c'est à dire, on essaie de se concentrer pour découvrir quels sont les aspects, quelles sont les idées qu'on peut avoir, qui sont nouvelles, qu'on pourrait breveter. Une bonne façon d'approcher la question, c'est de vraiment regarder toutes nos idées en fonction de quel problème technique est-ce qu'on est en mesure de résoudre avec les idées qu'on a. Puis les idées, ça peut être n'importe quelles idées. Il faut que ce soit des idées, des solutions techniques. En adoptant cette approche de solution technique à des problèmes techniques, ce que ça nous permet de faire, c'est que ça nous permet d'aller au-delà du produit ou service que l'on veut commercialiser, de vraiment divorcer les idées qu'on a, de les séparer, si on veut, de ces produits et services, et de penser à leur utilisation future. Et puis comment la technologie, par exemple, pourrait-elle être utilisée dans plusieurs années?

Pourquoi est-ce qu'il faut avoir cette approche-là? C'est parce que la valeur d'un brevet est vraiment directement proportionnelle à l'utilisation de l'idée qui est brevetée dans l'industrie plus tard. Et puis quand on pense au fait que les brevets, ça prend 8 à 10 ans avant vraiment d'avoir une meilleure idée si l'industrie s'est développée pour commencer à utiliser l'idée qu'on a brevetée. Ce que ça veut dire, c'est que ça veut dire que pour que nos brevets qu'on développe aient de la valeur dans le futur, il faut absolument penser à l'utilisation future de ces idées-là. Et puis moi, de tous les brevets que j'ai vus,  j'ai très rarement vu des brevets qu'on regarde 10 ans plus tard, puis qu'on se dit : « Wow, l'industrie a vraiment évolué pour utiliser l'idée telle qu'elle avait été développée au départ. » Souvent, ce qui se produit, c'est qu'on va voir que des concepts similaires ont été utilisés, mais l'idée a été implémentée sous une autre forme, selon une approche différente.

Donc, c'est très important de bien penser à quel problème l'idée résout et c'est très important de divorcer l'idée du produit ou service qu'on veut commercialiser, pour vraiment forcer cette analyse-là, comment ce que l'idée qu'on veut breveter va être utilisée dans 8 ou 10 ans, dans le futur, et comment l'industrie va pouvoir l'incorporer dans ces pratiques. C'est comme ça qu'on peut bâtir des brevets et donc des portefeuilles qui ont plus de valeur.

Maya : J'aime vraiment l'idée de vérifier le potentiel de votre demande dans le futur et de ce que vous allez faire dans le futur. Ceci m'amène à un autre sujet qu'on essaie souvent d'expliquer : la stratégie de P.I. Pour certaines personnes, c'est un document. Pour d'autres, c'est plus une façon de penser. Vous avez travaillé avec tellement de grandes compagnies. Dans vos mots, qu'est ce qu'une stratégie de P.I. veut dire pour vous? Est-ce que c'est un document? Une façon de penser? Qu'est-ce que vous avez vu en termes de stratégie de P.I.? Quelqu'un qui crée une stratégie de P.I., qu'est-ce qu'il crée?

Robert : Quelqu'un qui crée une stratégie de P.I. crée un plan. La forme du plan n'est pas vraiment importante, ça peut être un document, ça peut être sous forme de note. L'important c'est de créer une structure autour de ce qu'on veut obtenir avec des actifs en P.I. Pourquoi faut-il faire ça? Comme je l'ai dit auparavant, la propriété intellectuelle, c'est quelque chose qui peut être dispendieux. Déposer une demande de brevet, ça peut être long, ça peut être dispendieux. Et si l'on en dépose plusieurs, ça peut devenir très, très coûteux, très, très rapidement. La P.I., c'est aussi très compliqué. Souvent, c'est un domaine qui est peu accessible pour les non-initiés. Et la dernière raison de vouloir créer un plan pour bien articuler tout ça, c'est pour ancrer ce qu'on entend, comment on entend utiliser les actifs de P.I. qu'on veut développer, comment ancrer ça avec les objectifs commerciaux qui, eux, sont à beaucoup plus court terme ou à moyen terme, tandis que la propriété intellectuelle et le développement d'actifs en propriété intellectuelle, c'est quelque chose qui est beaucoup plus à long terme. Donc, un plan sert à ancrer ce qu'on entend faire au niveau de la P.I. avec les objectifs à plus court et moyen terme d'une entreprise. Et puis, je rajouterais qu'une autre raison pour laquelle c'est important de créer ce plan-là, c'est que la propriété intellectuelle c'est vraiment un travail d'équipe. Ce n'est pas l'affaire d'un seul individu, ce ne sera pas l'affaire d'un seul avocat, d'une seule ingénieur, c'est vraiment une collaboration à travers tous les acteurs : les gens du service d'ingénierie, les gens du marketing au niveau des marques de commerce, les gens du service juridique à l'interne et aussi les gens qui vont fournir les services de propriété intellectuelle qui peuvent être soit à l'interne, soit à l'externe. Donc, étant donné qu'il y a beaucoup de participants, ce que la stratégie de propriété intellectuelle va aider à faire, ou le plan, ça va aider de bien faire comprendre ce qu'on entend faire avec les actifs qu'on veut développer et comment on entend les utiliser et puis ça va permettre également à tous ces collaborateurs d'entériner le plan. Le plan va servir d'outils de vulgarisation pour les différents collaborateurs.

Maya : Vous avez mentionné l'importance des principes directeurs et d'articuler pourquoi vous faites certaines choses. Si vous êtes une personne qui n'a pas vraiment pensé à une stratégie de P.I., selon vous, quels sont certains facteurs clés que les entreprises, petites ou grandes devraient garder en tête lorsqu'elles déterminent leur stratégie de P.I.?

Robert : Oui. Il y en a plusieurs. D'abord, les objectifs de l'entreprise, soit les objectifs commerciaux de l'entreprise, les objectifs à plus court terme, à moyen terme et à long terme. Par exemple, où en est rendu l'entreprise? Est-ce qu'on est en mode démarrage? Est-ce qu'on est en recherche de financement? Est-ce qu'on est une entreprise déjà bien établie? Est ce qu'on est où on veut rentrer en bourse? Tous ces facteurs-là vont avoir des répercussions sur l'approche que l'on va choisir pour bâtir le portefeuille et les ressources qu'on va investir.

Un autre aspect qui est très important à considérer, c'est la technologie. Dans quel domaine est-ce qu'on œuvre? Est-ce qu'il y a des barrières à l'entrée pour les concurrents? Est-ce que la technologie est facile à copier ou est-ce que c'est une technologie relativement complexe? Un autre élément relativement à la technologie, est-ce que ça serait facile de détecter la contrefaçon de brevet qu'on peut obtenir dans le domaine? Alors tout ça met en lumière l'importance de bien comprendre la technologie, le type de technologie que l'entreprise produit parce que ça va influencer le type de stratégie et la P.I. qu'on va utiliser.

Le dernier facteur que je mentionnerais, c'est la concurrence. Qui sont les compétiteurs et qui sont les plus agressifs? Qui sont ceux, par exemple, qui présentent des risques de poursuite au niveau des brevets? Qui sont ceux vers lesquels il y a peut-être des risques de fuite de l'interne vers l'externe au niveau des secrets commerciaux? Alors la nature des concurrents vient également jouer dans la sélection de la stratégie de P.I. que l'on pourrait adopter.

Maya : Merci énormément, Robert, d'avoir participé à notre balado et d'avoir partagé ces connaissances très importantes avec les entrepreneurs et probablement d'autres avocats internes. Merci beaucoup.

Robert : Merci.

Maya : Vous venez d'écouter « Voix de la PI canadienne », un balado où nous parlons de propriété intellectuelle. Dans cet épisode, vous avez entendu Robert Guay, directeur de P.I. à Shopify. Robert a mis en place et géré des services de P.I. internes dans plusieurs multinationales et il a mentionné qu'une stratégie de P.I. ne consiste pas uniquement d'obtenir des brevets pour des produits ou services spécifiques. C'est aussi de vérifier le potentiel de votre P.I. dans le futur en protégeant la solution technique à un problème technique. Cette façon de penser peut vous aider à obtenir la protection de P.I. qui supportera bien votre entreprise dans le futur. Robert a aussi parlé de la stratégie de P.I. et qu'elle devrait refléter l'étape de croissance actuelle de votre entreprise. Si vous êtes curieux et vous voulez en apprendre plus sur les différents types de stratégies de P.I., consulter le lien qui se trouve dans la description de cet épisode.