Étude sur la croissance des petites et moyennes entreprises : croissance réelle par rapport à croissance durable

Mars 2013

Daniel L. Seens, CFA
Direction de la recherche et de l'analyse,
Direction générale de la petite entreprise
Industrie Canada

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© Sa Majesté la Reine du Chef du Canada,
représentée par le ministre de l'Industrie, 2013
N° de cat. Iu188-110/2013F-PDF
ISBN 978-0-660-20705-6

N.B. Dans cette publication, la forme masculine désigne tant les femmes que les hommes.

Also available in English under the title Small and Medium-Sized Enterprises Growth Study: Actual vs. Sustainable Growth, March 2013.

Sommaire :

Cette étude sur la croissance des petites et moyennes entreprises (PME) vise à déterminer tout désalignement entre les taux de croissance réelle et les taux de croissance durable des PME. Une analyse réalisée à l'aide du « modèle de croissance durable de Higgins » a révélé que les PME canadiennes, pendant cette période de 2000 à 2010, disposaient de l'infrastructure financière ainsi que du potentiel de bénéfices nécessaires pour appuyer un taux de croissance moyen des ventes d'environ 7,3 % par année sans devoir recourir à des ressources financières additionnelles.

Table des matières


Remerciements

De nombreuses personnes ont apporté une aide précieuse à la production du présent rapport. Nous tenons à remercier tout particulièrement Richard Archambault, gestionnaire de la recherche à Industrie Canada, Martin Lalonde, analyste financier agréé au sein de la firme de gestion de portefeuille Les investissements Rivemont et Misa Palacek, analyste financier agréé à Industrie Canada, pour leurs rétroactions et suggestions vivement appréciées. Nous remercions également tous les participants à la présentation sur la croissance durable des petites et moyennes entreprises organisée par le Comité de coordination de la recherche d'Industrie Canada en septembre 2012.


Résumé

Une étude sur la croissance des petites et moyennes entreprises (PME) visait à déterminer tout désalignement entre les taux de croissance réelle et les taux de croissance durable des PME. Les états financiers sommaires des exercices s'échelonnant de 2000 à 2010 d'environ 850 000 PME canadiennes ont été recueillis aux fins d'analyse, ce qui a permis de produire des renseignements sur la rentabilité des entreprises, le ratio de rotation de leurs actifs, leur levier financier, le rendement de leurs capitaux propres, leur taux de rétention ainsi que le pourcentage de leur bénéfice net distribué en dividendes. Une analyse réalisée à l'aide du « modèle de croissance durable de Higgins » a révélé que les PME canadiennes, pendant cette période de 2000 à 2010, disposaient de l'infrastructure financière ainsi que du potentiel de bénéfices nécessaires pour appuyer un taux de croissance moyen des ventes d'environ 7,3 % par année sans devoir recourir à des ressources financières additionnelles. Les taux de croissance durable différaient d'une taille d'entreprise à l'autre (petite, moyenne ou grande) et d'un secteur à l'autre, mais présentaient seulement une différence significative sur le plan statistique entre les secteurs. Un désalignement entre les taux de croissance réelle et les taux de croissance durable des PME a été observé. Les entreprises dont les taux de croissance réelle étaient alignés, sur le plan statistique, avec les taux de croissance durable étaient de grandes entreprises, ou alors elles menaient des activités dans le secteur primaire ou dans le secteur des services professionnels, scientifiques et techniques.


I. Introduction

Ces dernières années, le désalignement entre les taux de croissance réelle et les taux de croissance durable des entreprises suscite des préoccupations de plus en plus grandes. Cependant, la recherche ne définit pas la durabilité, pas plus qu'elle ne quantifie le de gré de désalignement. La plupart des recherches portent exclusivement sur les taux de croissance réelle. Le fait de négliger la durabilité de la croissance dans tout plan d'expansion risque d'entraîner une croissance trop rapide des entreprises. Elles connaissent alors une croissance plus rapide que ne le permet leurs ressources financières, leur politique en matière de dividendes et leur potentiel de bénéfices. Dans de telles situations, les entreprises doivent généralement contracter de nouvelles dettes, émettre des capitaux propres, vendre des actifs pour financer leur croissance ou réduire le taux d'expansion.

La présente étude vise à examiner en profondeur plusieurs questions portant sur la nature des taux de croissance durable au Canada pour les PME et à mieux comprendre le désalignement qui existe entre les taux de croissance réelle et les taux de croissance durable. Elle porte notamment sur les questions suivantes :

  1. Quel niveau de croissance les petites et moyennes entreprises (PME) auraient-elles pu soutenir entre 2000 et 2010?
  2. Quels sont les facteurs qui ont influé sur les taux de croissance durable des PME canadiennes au cours de cette période?
  3. Quel niveau de croissance les petites, les moyennes et les grandes entreprises auraient-elles pu soutenir entre 2000 et 2010?
  4. Dans quels secteurs les PME auraient pu soutenir les niveaux de croissance les plus élevés?
  5. Les PME canadiennes ont-elles connu une croissance égale, supérieure ou inférieure à leurs taux de croissance durable?
  6. Les petites, moyennes et grandes entreprises canadiennes ont-elles connu chacune une croissance égale, supérieure ou inférieure à leurs taux de croissance durable?
  7. Les PME canadiennes de tous les secteurs ont-elles connu une croissance égale, supérieure ou inférieure à leurs taux de croissance durable?

Le rapport se présente comme suit. La section II présente le contexte théorique sur le concept de la croissance durable. La section III montre la dérivation du taux de la croissance durable. La section IV fait état des méthodes de collecte des données. La section V présente des conclusions empiriques ainsi que des explications possibles aux conclusions. La section VI traite des limites du modèle de croissance durable et la section VII, enfin, présente les conclusions et les implications. Le rapport comprend également des définitions-clés ainsi qu'une bibliographie.


II. Théorie

Le concept de la croissance durable, appelée au départ croissance abordable, remonte aux années 1950 et peut être attribué à l'entreprise Hewlett-Packard. David Packard a créé le concept pour décrire aux actionnaires le taux de croissance maximum des ventes que l'entreprise atteindrait compte tenu de son niveau de profits, sans recourir à du capital additionnel (Packard, 1957). Selon Packard, l'entreprise a pu maintenir un taux de croissance de 43 % de 1950 à 1957 grâce à une formule lui permettant de limiter sa croissance, c'est-à-dire limiter la croissance des ventes à un niveau pouvant être soutenu par les profits. Une croissance trop rapide des ventes de l'entreprise, toujours selon Packard, mènerait presque certainement à des difficultés financières. Il reconnaissait que pour la plupart des entreprises, la croissance illimitée n'existait pas, pas plus que le capital illimité. Packard savait que la croissance à long terme n'était possible que dans la mesure où elle était appuyée par une croissance des profits.

L'article « The Financial Aspects of Growth » de Kisor, publié dans le Financial Analysts Journal en 1964, a par ailleurs introduit des concepts qui vont dans le même sens que ceux de Packard. Kisor soutenait que trop souvent, les propriétaires d'entreprise présumaient à tort que si la demande pour leurs produits augmentait au fil du temps, il en serait de même pour la capacité en matière de ressources financières requises pour soutenir le niveau plus élevé de la demande. Cependant, l'histoire de la finance ne manque pas d'exemples d'entreprises et d'industries entières qui ont été incapables de réunir des capitaux en période de croissance.

Babcock s'est appuyé sur ce concept dans son article intitulé « The Concept of Sustainable Growth » que publiait le Financial Analysts Journal en 1970. Il explique que la croissance peut être durable ou éphémère. La croissance durable est générée par la profitabilité normale de l'entreprise. Ce type de croissance, qui peut être soutenue par une gestion prudente des ressources financières, ne dépend pas fondamentalement de la volonté d'un créancier d'octroyer à l'entreprise du capital supplémentaire. La croissance éphémère, quant à elle, fluctue au-dessus ou en-deçà de ces niveaux normaux. Elle peut être soutenue, possiblement sans limite, mais requiert un influx continu d'investissements.

Les travaux menés par Robert C. Higgins, auteur de How Much Growth Can a Firm Afford? (1977), corroborent les constatations des autres auteurs. Higgins insiste sur le fait que la véritable croissance à long terme est axée sur le rendement. Il a démontré que toute entreprise dont le modèle de croissance ne s'aligne pas avec son modèle de croissance durable, ne peut, ou du moins, ne devrait pas être soutenue à long terme. Les entreprises qui connaissent une croissance trop rapide n'auraient pas les moyens d'acheter les actifs nécessaires pour soutenir le niveau accru des ventes, compte tenu de son niveau de rentabilité et des politiques de rétention des bénéfices. Les entreprises qui connaissent une croissance inférieure à leurs taux de croissance durable auraient amplement de ressources financières pour couvrir leurs investissements et, à titre d'agents économiques rationnels, rembourseraient le capital aux propriétaires ou paieraient leurs dettes.

Higgins a souligné que le concept de croissance durable était particulièrement important parce qu'il oblige les gestionnaires à déterminer si les stratégies de croissance de l'entreprise sont compatibles avec les capacités de croissance de l'entreprise et à cerner et à résoudre tout conflit entre les deux. Une société ayant d'excellentes occasions de croissance, mais qui ne dispose pas des ressources financières suffisantes à long terme pour exploiter ces occasions, ne connaîtra pas de croissance. Dans le même ordre d'idées, une entreprise ayant l'infrastructure financière nécessaire pour profiter de meilleures occasions de croissance, mais qui n'a pas la capacité à long terme de cerner ni d'exploiter ces occasions, ne connaîtra pas non plus de croissance.

Costa (1997) a expliqué que le taux de croissance durable d'une entreprise se compare à un taux de croissance « au seuil de rentabilité ». Tout comme le seuil de rentabilité, qui désigne le niveau minimal de ventes nécessaires pour compenser le coût de production fixe, le taux de croissance durable reflète le taux maximal de croissance des ventes qu'une entreprise peut maintenir, compte tenu de ses ressources et de son potentiel de bénéfices.


III. Dérivation

Le taux de croissance durable

De nos jours, le modèle standard enseigné et effectivement utilisé pour calculer le taux de croissance durable d'une entreprise provient des travaux de Higgins — le modèle de croissance durable de Higgins (HSGM). La dérivation de Higgins reposait sur quatre hypothèses principales.

Les entreprises :

  1. font augmenter les ventes aussi rapidement que les conditions du marché le permettent;
  2. maintiennent un ratio de rotation de l'actif constant et une marge bénéficiaire nette;
  3. n'émettent pas ou ne peuvent pas émettre de nouveaux capitaux propres;
  4. veulent maintenir un ratio d'endettement cible et une politique en matière de dividendes.

Les deux premières hypothèses visent à conserver la simplicité du modèle, à renforcer les interdépendances des intrants du modèle et à fournir une base d'interprétation lorsqu'on dispose d'une seule année de données. La troisième hypothèse, conformément aux preuves observées, est justifiée par le fait que la plupart des propriétaires d'entreprise hésitent à émettre de nouveaux capitaux propres ou ne sont pas en mesure de le faire (Donaldson, 1984). Cela pourrait être attribuable aux coûts liés à l'émission de nouveaux capitaux propres, au désir des propriétaires d'entreprise de conserver le contrôle de leurs propriétés et de préserver la valeur des actions, ou tout simplement à la non-disponibilité du financement par capitaux propres. Les données de l'Enquête sur le financement des petites et moyennes entreprises de 2004 de Statistique Canada a révélé que seulement environ 1 % des PME sollicitent du financement par capitaux propres durant toute année. De plus, seulement environ 46 % réussissent à faire approuver leurs demandes de financement par capitaux propres. Ce taux est faible comparativement à 81 % pour les demandes de financement par emprunt et à 96 % pour les demandes de financement par crédit-bail. Si une entreprise est apte et disposée à émettre des capitaux propres supplémentaires, elle peut techniquement atteindre n'importe quel taux de croissance durable.

La quatrième hypothèse est justifiée par le fait que, même s'il est vrai que la croissance découlant de l'émission de dettes peut être soutenue pendant une longue période, la plupart des prêteurs ne sont disposés à accorder des prêts que jusqu'à concurrence d'un certain ratio d'endettement. Pour les besoins de la présente analyse, on suppose que ce ratio est constant et que les prêteurs, même s'ils sont disposés à continuer à accorder des prêts, respecteront ce ratio. Selon cette hypothèse, le niveau d'endettement d'une entreprise ne peut croître qu'à un taux proportionnel au taux de croissance des bénéfices non répartis.

Ensemble, ces hypothèses concentrent l'analyse et l'interprétation du modèle en un seul point dans le temps qui est constant. Étant donné que, dans la pratique, les intrants du modèle affichent toujours des fluctuations d'une année à l'autre, les taux de croissance durable, qui ont été calculés pour chacune des 11 années, sont évalués dans la présente analyse.

Pour illustrer la dérivation du taux de croissance durable, Higgins a utilisé la notation suivante :

  • $p$ = le ratio de la marge d'exploitation sur les ventes (nouvelles et existantes)
  • $d$ = le ratio cible du bénéfice net distribué en dividendes ($(1 - d)$ représente le ratio de rétention cible)
  • $L$ = le ratio d'endettement cible
  • $t$ = le ratio du total des capitaux propres par rapport aux ventes nettes sur les ventes nouvelles et existantes
  • $s$ = ventes au début de l'année
  • $\Delta s$ = croissance des ventes durant l'année
  • $ROE$ = le rendement des capitaux propres de l'entreprise
  • $NI$ = Revenu net

En débutant par l'équation de comptabilité fondamentale ($Actif = Passif + Capitaux \ propres$), on sait qu'en tout temps, tout changement dans l'actif doit être contrebalancé par la suite par un changement correspondant dans le passif ou dans les capitaux propres, ou les deux.

$$\Delta Actif = \Delta Passif + \Delta Capitaux \ propres \tag{1}\label{1}$$

L'objectif vise à déterminer comment chacune de ces composantes est susceptible de changer. En commençant par l'actif, on sait que si une entreprise connaît une croissance des ventes de $Delta s$ sur une période donnée, elle devra accroître sa base d'actif de $\Delta s (t)$ afin de soutenir l'augmentation du niveau de ventes. Par conséquent :

$$\Delta Actif = \Delta s(t)$$

Par ailleurs, comme la marge bénéficiaire d'une entreprise est supposée demeurer constante, une entreprise qui connaît une croissance des ventes de $\Delta s$ générera $(s + \Delta s)(p)$ au titre des bénéfices. Si le ratio du bénéfice net distribué en dividendes demeure constant, les bénéfices non répartis supplémentaires seront de $(s + \Delta s)(p)(1 - d)$. Le $\Delta Capitaux \ propres$, sera donc égal à $(s + \Delta s)(p)(1 - d)$.

Enfin, comme on sait qu'une entreprise maintient un ratio d'endettement constant, $L$, pour chaque dollar supplémentaire de bénéfices non répartis, l'entreprise peut en toute sécurité contracter $L$ en nouvelle dette. Ainsi, au total, $\Delta Passif = (s + \Delta s)(p)(1 - d)(L)$.

Lorsqu'on substitue chacune de ces expressions dans l'équation (1), on obtient ce qui suit :

$$\Delta s(t) = (s + \Delta s)(p)(1 - d)(L) + (s + \Delta s)(p)(1 - d)$$

Pour résoudre le taux de croissance, $\Delta s / s$, produit l'équation (2) ce qui représente la formule originale de Higgins pour la croissance durable (croissance durable = $g$) :

$$g = {(p)(1 - d)(1 + L) \over (t) - (p)(1 - d)(1 + L)} \tag{2}\label{2}$$

L'hypothèse selon laquelle le ratio d'actif sur les ventes nettes $(t)$ égale 1 permet de simplifier davantage. Cette hypothèse sous-entend que la croissance des actifs d'une entreprise correspond à la croissance de ses ventes. Si une entreprise souhaite accroître ses ventes de 15 %, elle doit aussi augmenter sa base d'actifs, que ce soit dans les stocks ou dans les bâtiments et le matériel et l'outillage, d'environ 15 % afin de soutenir l'augmentation du niveau de ventes. Par conséquent, comme $(1 + Dette/Capitaux \ propres) = (Capitaux \ propres + Dette)/Capitaux \ propres$, $Actif = Dette + Capitaux \ propres$, et $t = 1$, on peut simplifier l'équation (2) à ceci (le RCP étant égal au revenu net divisé par les capitaux propres au début de la période) :Note de bas de page 1

$$g = (1 - d) \times RCP \tag{3}\label{3}$$

À partir de cette dérivation, Higgins a démontré que, dans le cas des entreprises qui ne sont pas en mesure de recueillir des capitaux propres supplémentaires et qui veulent maintenir un ratio d'endettement cible et une politique en matière de dividendes, le nouveau financement nécessaire à la croissance doit provenir des bénéfices, du pourcentage de ces bénéfices réinvestis dans l'entreprise et des dettes supplémentaires de toute autre source que leurs bénéfices non répartis peuvent soutenir. L'équation (3) révèle que plus le rendement des capitaux propres est élevé, plus le taux de croissance durable est élevé. De plus, plus le taux de rétention des bénéfices est élevé, plus le taux de croissance durable est élevé. Par exemple, une entreprise qui a un taux de rétention des bénéfices de 75 % et qui est capable de maintenir un RCP de 10 % est en mesure de soutenir un taux de croissance de 7,5 %. Les entreprises qui souhaitent connaître une croissance au-delà du taux de 7,5 % devront réinvestir davantage dans leurs activités d'exploitation ou générer un RCP supérieur.


Extension de DuPont

Comme on l'a démontré précédemment, le taux de croissance durable d'une entreprise est fonction de son rendement sur les capitaux propres et de son taux de rétention. On peut décomposer davantage cette formule en examinant les facteurs qui influent sur le RCP (Stowe et al., 2009). Le RCP, rappelons-nous, est une mesure du rendement sur le capital investi par le propriétaire dans l'entreprise :

$$RCP = {Revenu \ net \over Capitaux \ propres}$$

Si une entreprise gagne un revenu de 150 \$ sur un capital initial de 1 000 \$, elle obtient un RCP de 15 %. On peut reformuler le RCP en divisant le numérateur et le dénominateur par les ventes totales. On obtient alors ce qui suit :

$$RCP = {Revenu \ net \over Ventes} \times {Ventes \over Capitaux \ propres}$$

Lorsqu'on divise le numérateur et le dénominateur du deuxième ratio par le total de l'actif, on obtient ce qui suit :

$$RCP = {Revenu \ net \over Ventes} \times {Ventes \over Actif} \times {Actif \over Capitaux \ propres}$$

Si on transpose ces données dans la formule de la croissance durable (équation 3), on constate que la croissance durable est fonction du taux de rétention et de trois ratios : les marges bénéficiaires nettes, le ratio de rotation de l'actif et un multiplicateur du levier financier, comme l'indique l'équation suivante.

$$g = (1 - d) \times {Revenu \ net \over Ventes} \times {Ventes \over Actif} \times {Actif \over Capitaux \ propres}$$

Par conséquent, les entreprises peuvent accroître leurs taux de croissance durable lorsqu'elles augmentent leurs taux de rétention, renforcent leurs marges bénéficiaires nettes, fonctionnent de façon plus efficace ou utilisent un meilleur levier financier.


IV. Collecte de données

Avec l'aide de la Division de l'organisation et des finances de l'industrie de Statistique Canada, nous avons recueilli des données agrégées, sur une période de 12 ans (1999-2010), des états financiers déclarés par plus de 850 000 entreprises canadiennes constituées en société. Les données comprenaient les postes de l'actif, du passif et des capitaux propres extraits du bilan, ainsi que les postes de revenus et de dépenses qui figurent dans l'état des résultats. Ces données ont permis de calculer les taux de croissance durable et d'analyser la façon dont ils ont varié au fil du temps.


Sources de données

Trois sources de données ont été jumelées pour recenser les entreprises constituées en société :Note de bas de page 2

  • Les données annualisées du Relevé trimestriel des états financiers (RTEF, numéro d'enregistrement 2501), obtenues auprès de la Division de l'organisation et des finances de l'industrie de Statistique Canada.
  • Les données provenant d'une enquête sur les entreprises publiques (EP) provinciales ou fédérales qui ont des activités dans le secteur des entreprises, à partir de données obtenues de la Division de la statistique du secteur public de Statistique Canada.
  • Des données administratives sur l'impôt des sociétés, sous la forme du feuillet T2 Déclaration de revenus des sociétés et de l'Index général des renseignements financiers (IGRF), données obtenues auprès de la Division des données fiscales de Statistique Canada.

Population cible

Les entreprises incluses dans le fichier de données sont réparties dans les industries suivantes : primaire; construction; fabrication; commerce de gros; commerce de détail; services professionnels, scientifiques et techniques; hébergement et services de restauration; autres services (figure 1).

Figure 1 : Répartition des petites et moyennes entreprises par industrie, 2010

Figure 1 : Répartition des petites et moyennes entreprises par industrie, 2010 (la description détaillée se trouve sous l'image)
Source : Statistique Canada, Statistiques financières et fiscales des entreprises, 2010.
Description de la figure 1
Figure 1 : Répartition des petites et moyennes entreprises par industrie, 2010
Primaire 9 %
Construction 20 %
Fabrication 7 %
Commerce de gros 8 %
Commerce de détail 13 %
Services professionnels, scientifiques et techniques 25 %
Hébergement et services de restauration 8 %
Autres services 9 %

Définitions des tailles d'entreprises

Statistique Canada classe les entreprises canadiennes dans trois grandes catégories, en fonction de leurs revenus annuels — petites (moins de 5 millions de dollars), moyennes (plus de 5 millions de dollars, mais moins de 25 millions de dollars) et grandes (25 millions de dollars ou plus).

Extrants

  • Nombre d'entreprises
  • Total de l'actif
  • Total du passif
  • Total des capitaux propres
  • Revenu d'exploitation
  • Revenu total
  • Bénéfice/perte d'exploitation
  • Bénéfice net/perte nette
  • Actif à court terme
  • Passif à court terme
  • Taxes fédérales, provinciales et totales
  • Ratio d'endettement
  • Marge bénéficiaire nette
  • Rendement de capitaux propres

V. Constatations

Les pages suivantes présentent les principales constatations de l'étude de la croissance des PME.

1. Quel niveau de croissance les petites et moyennes entreprises (PME) auraient-elles pu soutenir entre 2000 et 2010?

Les taux de croissance durable pour les PME, qui ont été calculés au moyen du modèle HSGM, sont présentés à la figure 2. Les taux de croissance durable ont varié d'un minimum de 4,7 % en 2001 à un maximum de 10,5 % en 2006. Avant 2004, les taux de croissance durable ont été stables, enregistrant une fluctuation de 4,7 à 5,1 %. Les taux de croissance durable ont augmenté de façon marquée en 2004 pour atteindre 7,2 % et ont continué de croître pour atteindre 10,5 % durant le boom économique de 2006. Cette remontée s'est inversée légèrement en 2007 et 2008, avec l'avènement de la crise financière mondiale, pour atteindre 5,9 % durant la récession de 2009. Nous avons observé un renversement positif, à 8,7 %, lorsque l'économie s'est stabilisée en 2010. Durant cette période, les PME auraient pu soutenir financièrement un taux de croissance moyen des ventes d'environ 7,3 %, compte tenu de leur potentiel de bénéfices normal, et ce, sans devoir accroître le financement supplémentaire.

Figure 2 : Taux de croissance durable des petites et moyennes entreprises, 2000-2010

Figure 2 : Taux de croissance durable des petites et moyennes entreprises, 2000-2010 (la description détaillée se trouve sous l'image)
Source : Statistique Canada, Statistiques financières et fiscales des entreprises, 1999-2010; et calculs de l'auteur.
Description de la figure 2
Figure 2: Taux de croissance durable des petites et moyennes entreprises, 2000-2010
2000 5,1 %
2001 4,7 %
2002 5,1 %
2003 4,7 %
2004 7,2 %
2005 8,9 %
2006 10,5 %
2007 9,7 %
2008 9,6 %
2009 5,9 %
2010 8,7 %

2. Quels sont les facteurs qui ont influé sur les taux de croissance durable des PME canadiennes au cours de cette période?

Pour comprendre les changements survenus dans la croissance durable au cours de la période visée par l'étude, il est nécessaire d'examiner les facteurs qui l'ont influencée, notamment les changements du RCP des entreprises. Le RCP, rappelons-nous, peut être décomposé à partir de trois ratios. La figure 3 présente des données sur la tendance des marges bénéficiaires nettes, le ratio de rotation de l'actif et le levier financier entre 2000 et 2010.

Figure 3 : Ratios de la croissance durable, marges bénéficiaires nettes, ratio de rotation de l'actif et multiplicateur du levier financier, 2000-2010

Figure 3 : Ratios de la croissance durable, marges bénéficiaires nettes, ratio de rotation de l'actif et multiplicateur du levier financier, 2000-2010 (la description détaillée se trouve sous l'image)
Source : Statistique Canada, Statistiques financières et fiscales des entreprises, 1999-2010; et calculs de l'auteur.
Description de la figure 3
Figure 3 : Ratios de la croissance durable, marges bénéficiaires nettes, ratio de rotation de l'actif et multiplicateur du levier financier, 2000-2010
Année Ratio de rotation de l'actif Multiplicateur de levier Marges bénéficiaires nettes
2000 1,55 3,05 1,5 %
2001 1,53 3,30 1,3 %
2002 1,49 3,24 1,4 %
2003 1,47 3,17 1,4 %
2004 1,47 3,18 2,1 %
2005 1,39 3,13 2,8 %
2006 1,35 2,95 3,6 %
2007 1,30 2,83 3,6 %
2008 1,20 2,73 4,0 %
2009 1,03 2,55 3,1 %
2010 1,02 2,45 4,7 %

Entre 2000 et 2003, les PME ont enregistré des marges bénéficiaires nettes, un ratio de rotation de l'actif et un levier financier relativement stables. Par conséquent, elles ont eu un taux de croissance durable relativement stable. Après 2003, le ratio de rotation de l'actif et le levier financier des PME ont commencé à baisser. La baisse du levier financier, qui est passé de 3,18 en 2004 à 2,45 en 2010, pourrait s'expliquer par un plus grand retour de capitaux aux investisseurs et aux prêteurs. La baisse du ratio de rotation de l'actif, qui est passé de 1,47 à 1,02 entre 2004 et 2010, pourrait être attribuable à une sous-utilisation des installations ou de l'équipement. Bien que ces deux effets aient ralenti les taux de croissance durable, les effets entre 2004 et 2006 ont été compensés par une augmentation des marges bénéficiaires, qui sont passées de 2,1 à 3,6 %. L'existence d'une corrélation positive entre la croissance durable et les marges bénéficiaires est devenue plus évidente en 2009, lorsque ces deux facteurs ont diminué en raison de la crise financière, de la récession et de la concurrence accrue. En 2010, les marges bénéficiaires sont passées à 4,7 % et les taux de croissance durable ont grimpé à 8,7 %.

L'influence relative de chaque composante du RCP sur la croissance durable peut être mise en perspective en déterminant l'incidence proportionnelle du taux de croissance durable sur chaque facteur. Il s'agit, pour ce faire, d'utiliser la régression contrainte des moindres carrés ordinaires, c'est-à-dire de procéder à la régression des taux annuels de croissance durable sur chacun des ratios qui composent le RCP. Les taux de rétention, qui se sont chiffrés en moyenne à 74 % au cours de la période, ont aussi été inclus dans le processus. Les contraintes imposées au modèle sont les suivantes : (1) la constante est zéro; (2) les coefficients ou les betas sur les variables exogènes totalisent 1; et (3) tous les coefficients sont non négatifs. Ces contraintes permettent d'interpréter que les betas ont une incidence proportionnelle au taux de croissance durable sur chaque facteur. Les résultats de cette régression ont produit des facteurs de pondération de 1,7 % pour le taux de rétention, 0 % pour le ratio de rotation de l'actif, 1,7 % pour le multiplicateur du levier financier et 96,6 % pour la marge bénéficiaire nette. Voilà qui démontre que les changements dans le taux de croissance durable pour les PME canadiennes au cours de la période de 2000-2010 ont surtout été occasionnés par les changements dans les marges bénéficiaires, le taux de rétention et le levier financier n'ayant eu que peu d'influence.


3. Quel niveau de croissance les petites, les moyennes et les grandes entreprises auraient-elles pu soutenir entre 2000 et 2010?

Pour répondre à cette question, nous avons analysé les trois catégories de taille d'entreprise : petite, moyenne et grande. La répartition des entreprises entre ces trois catégories révèle des modèles intéressants (figure 4). Les taux de croissance durable pour les petites entreprises ont commencé la décennie avec le taux le plus faible, pour une moyenne de 5 % entre 2000 et 2004, comparativement à 6 % pour les moyennes entreprises et à 7 % pour les grandes entreprises. La tendance s'est inversée à la seconde moitié de la décennie alors que les petites entreprises ont affiché des taux de croissance durable moyens de 10 % entre 2005 et 2009, comparativement à 8 % pour les moyennes entreprises et à 7 % pour les grandes entreprises.

Figure 4 : Taux de croissance durable selon la taille de l'entreprise, 2000-2010

Figure 4 : Taux de croissance durable selon la taille de l'entreprise, 2000-2010 (la description détaillée se trouve sous l'image)
Source : Statistique Canada, Statistiques financières et fiscales des entreprises, 1999-2010, et calculs de l'auteur.
Description de la figure 4
Figure 4 : Taux de croissance durable selon la taille de l'entreprise, 2000-2010
Année Petite Moyenne Grande
2000 4 % 7 % 9 %
2001 4 % 6 % 6 %
2002 5 % 6 % 5 %
2003 5 % 5 % 7 %
2004 7 % 7 % 8 %
2005 10 % 8 % 8 %
2006 12 % 9 % 9 %
2007 10 % 9 % 8 %
2008 11 % 8 % 6 %
2009 6 % 6 % 5 %
2010 10 % 7 % 5 %

Si on tient compte de la période entière, les taux de croissance durable étaient, en moyenne, un peu plus élevés chez les petites entreprises à 7,6 % comparativement à 7 % pour les moyennes et les grandes entreprises. Cette différence pourrait s'expliquer, entre autres facteurs, par le fait que les petites entreprises ont maintenu un taux de rétention supérieur à celui des moyennes et grandes entreprises durant la période (moyennes de 82 %, 63 % et 60 % respectivement). Avant de tirer des conclusions, toutefois, un test a été mené afin de déterminer si les différences dans les taux de croissance durable étaient significatives sur le plan statistique.

Un test de comparaison par paires (DeFusco et al., 2004) a été utilisé pour mesurer les différences entre la moyenne des taux de croissance durable. Le tableau 1 présente les résultats de l'hypothèse nulle, selon laquelle les différences dans les moyennes sont égales à 0, par rapport à l'hypothèse alternative, selon laquelle elles sont différentes de 0.

Tableau 1 : Test de signification des différences entre les taux de croissance durable par taille d'entreprise, 2000-2010
Petite par rapport à moyenne Petite Moyenne
Moyenne 0,08 0,07
Écart 0,00 0,00
Observations 11,00 11,00
Corrélation de Pearson 0,85
Différence de la moyenne hypothétique 0,00
Valeur p 0,30
Tableau 1 suite
Petite par rapport à grande Petite Grande
Moyenne 0,08 0,07
Écart 0,00 0,00
Observations 11,00 11,00
Corrélation de Pearson 0,23
Différence de la moyenne hypothétique 0,00
Valeur p 0,44
Tableau 1 suite
Moyenne par rapport à grande Moyenne Grande
Source : Statistique Canada, Statistiques financières et fiscales des entreprises, 1999-2010; et calculs de l'auteur.
Moyenne 0,07 0,07
Écart 0,00 0,00
Observations 11,00 11,00
Corrélation de Pearson 0,52
Différence de la moyenne hypothétique 0,00
Valeur p 0,81

Les corrélations positives dans le tableau 1 confirment que les taux de croissance durable parmi les catégories de taille sont reliés et que, par conséquent, le test de comparaison par paires était approprié. Étant donné que les valeurs p de 0,30, 0,44 et 0,81 dépassent les niveaux de signification de 0,05 et même de 0,10, il est impossible de rejeter l'hypothèse nulle. Il ne semble pas y avoir de différence significative sur le plan statistique dans les taux de croissance durable entre les catégories de taille d'entreprise.

Ainsi, pour revenir à la question initiale, il semble que les entreprises de chaque catégorie de taille — petite, moyenne et grande — auraient pu soutenir financièrement un taux de croissance moyen des ventes d'environ 7,0-7,6 % durant la période, compte tenu de leur potentiel de bénéfices, et ce, sans devoir recourir à du financement supplémentaire.


4. Dans quels secteurs les PME auraient pu soutenir les niveaux de croissance les plus élevés?

Les taux de croissance durable ne sont pas les mêmes dans tous les secteurs; par conséquent, toutes les PME à l'étude ont été regroupées par Statistique Canada en huit catégories et réparties dans les secteurs de production de biens et les secteurs de services.

La figure 5 présente la tendance des taux de croissance durable pour les PME selon le secteur. En général, les taux de croissance durable dans la plupart des secteurs ont suivi essentiellement la même tendance, à savoir une hausse entre 2000 et 2007, une baisse entre 2008 et 2009, et encore une hausse en 2010. Les taux de changement ont différé d'un secteur à l'autre.

Figure 5 : Taux de croissance durable par secteur, 2000-2010

Figure 5 : Taux de croissance durable par secteur, 2000-2010 (la description détaillée se trouve sous l'image)
Source : Statistique Canada, Statistiques financières et fiscales des entreprises, 1999-2010, et calculs de l'auteur.
Description de la figure 5
Figure 5 : Taux de croissance durable par secteur, 2000-2010
Année Production de biens Production de services
Primaire Construction Fabrication Commerce de gros Commerce de détail Services professionnels, scientifiques et techniques Hébergement et services de restauration Autres services
2000 2 % 5 % 5 % 4 % 3 % 4 % 0 % 4 %
2001 4 % 7 % 3 % 4 % 4 % 0 % 3 % 10 %
2002 2 % 7 % 3 % 4 % 6 % 0 % 3 % 6 %
2003 2 % 9 % 1 % 5 % 5 % 0 % 2 % 6 %
2004 4 % 10 % 3 % 6 % 5 % 4 % 7 % 7 %
2005 4 % 12 % 3 % 6 % 7 % 9 % 10 % 8 %
2006 4 % 13 % 5 % 7 % 8 % 11 % 17 % 10 %
2007 0 % 14 % 4 % 6 % 8 % 13 % 17 % 10 %
2008 1 % 13 % 5 % 6 % 8 % 12 % 15 % 10 %
2009 0 % 8 % 1 % 5 % 8 % 10 % 10 % 7 %
2010 3 % 9 % 4 % 7 % 8 % 13 % 12 % 8 %

En moyenne, les entreprises du secteur de l'hébergement et des services de restauration ont connu la hausse la plus forte des taux de croissance durable entre 2000 et 2007, passant de moins de 1 % en 2000 à 17 % en 2007. Cette hausse s'explique en grande partie par la hausse rapide des bénéfices durant cette période, comme en témoigne le RCP de 34 % en 2007. Les entreprises du secteur de la construction et du secteur des services professionnels, scientifiques et techniques ont également connu une forte croissance, passant de 5 à 14 % et de 4 à 13 % respectivement. Le taux de croissance durable dans le secteur de la fabrication a enregistré une légère baisse, passant de 5 % en 2000 à 1 % en 2003, pour remonter à 4 % en 2007.

Si on tient compte de la période entière, les PME du secteur de la construction auraient pu soutenir le niveau de croissance le plus élevé dans les ventes en réalisant un taux moyen de croissance durable de 10 % durant la période. Venaient ensuite les PME du secteur de l'hébergement et des services de restauration et du secteur des autres services, chacun ayant affiché un taux moyen de croissance durable de 9 et 8 % respectivement. Les taux de croissance durable étaient, en moyenne, les plus faibles dans le secteur primaire (2 %) et dans le secteur de la fabrication (3 %). Les PME des secteurs du commerce de gros, du commerce de détail et des services professionnels, scientifiques et techniques ont affiché, en général, des taux moyens de croissance durable similaires de 5, 6 et 7 % respectivement.

Un test de signification a été effectué en vue d'étudier les différences des taux de croissance durable d'un secteur à l'autre. Le tableau 2 présente les valeurs p des tests de comparaison par paires.

Tableau 2 : Test de signification des différences entre les taux de croissance durable par secteur (valeurs p), 2000-2010
Primaire Construction Fabrication Commerce de gros Commerce de détail Services professionnels, scientifiques et techniques Hébergement et services de restauration Autres services
Source : Statistique Canada, Statistiques financières et fiscales des entreprises, 1999-2010; et calculs de l'auteur.
Note * du tableau 2 : Significatif au niveau de 5 % de la signification.
Primaire
Construction 0,000*
Fabrication 0,111 0,000*
Commerce de gros 0,000* 0,000* 0,002*
Commerce de détail 0,001* 0,000* 0,001* 0,017*
Services professionnels, scientifiques et techniques 0,034* 0,046* 0,039* 0,259 0,669
Hébergement et services de restauration 0,012* 0,378 0,012* 0,059 0,132 0,069
Autres services 0,000* 0,026* 0,000* 0,000* 0,014* 0,505 0,505

Les résultats appuient l'hypothèse selon laquelle le secteur dans lequel l'entreprise se retrouve influe sur son taux de croissance durable. Les différences des taux de croissance entre les secteurs se sont avérées significatives sur le plan statistique. L'analyse a révélé que les taux de croissance durable dans le secteur des services étaient nettement supérieurs à ceux des secteurs primaire et de la fabrication, mais pas à ceux du secteur de la construction.

En résumé, les données montrent que les PME dans le secteur de la construction étaient financièrement capables de soutenir les niveaux de croissance les plus élevés au cours de la période.


5. Les PME canadiennes ont-elles connu une croissance égale, supérieure ou inférieure à leurs taux de croissance durable?

L'aspect le plus intéressant de l'analyse de la croissance durable est sans doute l'évaluation des différences entre les taux de croissance durable et réelle. Pour déterminer les taux de croissance réelle, le changement, en pourcentage, des revenus a été calculé pour chacune des périodes. Les quelque 850 000 entreprises incluses dans l'étude ont généré des revenus totaux de 8,081 milliards de dollars entre 2000 et 2010 et ont connu un taux moyen de croissance d'environ 3 % par année.

La figure 6 présente une comparaison entre les taux de croissance réelle et les taux de croissance durable. Il en ressort deux principaux points. Premièrement, la corrélation entre la croissance réelle et durable semble faible. Deuxièmement, la croissance réelle des PME tend à être inférieure à la croissance durable depuis 2002.

Figure 6 : Croissance durable par rapport à croissance réelle pour les PME canadiennes, 2000-2010

Figure 6 : Croissance durable par rapport à croissance réelle pour les PME canadiennes, 2000-2010 (la description détaillée se trouve sous l'image)
Source : Statistique Canada, Statistiques financières et fiscales des entreprises, 1999-2010, et calculs de l'auteur.
Description de la figure 6
Figure 6 : Croissance durable par rapport à croissance réelle pour les PME canadiennes, 2000-2010
Année Taux de croissance réelle Taux de croissance durable
2000 5,78 % 5,113 %
2001 5,46 % 4,737 %
2002 2,55 % 5,068 %
2003 3,37 % 4,735 %
2004 3,97 % 7,178 %
2005 1,83 % 8,934 %
2006 1,96 % 10,469 %
2007 4,85 % 9,729 %
2008 1,87 % 9,574 %
2009 −4,13 % 5,937 %
2010 0,13 % 8,723 %

La corrélation entre la croissance réelle et durable était de −0,16 entre 2000 et 2010 et, sur le plan statistique, elle n'était pas significativement différente de 0. Si on tient compte uniquement de la période de 2004-2010, la corrélation est nettement plus forte, atteignant 0,59. Toutefois, avec seulement sept observations, il n'est toujours pas possible à un niveau de signification de 10 % de rejeter l'hypothèse nulle selon laquelle la véritable corrélation est égale à 0 (c.-à-d. que la croissance durable et réelle ne sont pas corrélées).

Il n'est pas inhabituel que les taux de croissance réelle diffèrent des taux de croissance durable. Comme les taux de rétention et les RCP peuvent montrer des fluctuations importantes d'une année à l'autre, il est possible d'observer des situations où les taux de croissance réelle s'écartent des taux de croissance durable (Kyd, 1988). Quoi qu'il en soit, lorsque les fluctuations de la croissance réelle par rapport à la croissance durable s'alignent au fil du temps, les taux de croissance durable devraient fournir une base utile pour évaluer le taux moyen auquel une entreprise pourrait croître à long terme (Stowe et al., 2009).

Dans des situations où les taux de croissance réelle s'écartent des taux de croissance durable sur une période prolongée, la croissance réelle étant inférieure à la croissance durable des PME au Canada, il pourrait y avoir un conflit entre les « intentions de croissance » et le « potentiel de croissance » des entreprises (Moore, 1988). Dans le cadre de l'analyse, un test de signification des moyennes a été effectué en vue d'évaluer la possibilité que les écarts entre les taux de croissance réelle et durable ne soient pas différents sur le plan statistique (c.-à-d. que la croissance des PME serait à son seuil de rentabilité). Toutefois, les résultats du test appuient l'hypothèse selon laquelle la croissance réelle des PME est considérablement inférieure à la croissance durable des PME à un niveau de signification de 5 %. Par conséquent, bien que les PME canadiennes semblent, en général, disposer de l'infrastructure financière et du potentiel de bénéfices pour poursuivre une stratégie d'augmentation de la croissance, pour une raison ou pour une autre, elles préfèrent ne pas le faire ou ne peuvent tout simplement pas le faire.

La raison pour laquelle les taux de croissance réelle des PME ont tendance à être inférieurs aux taux de croissance durable des PME suscite un intérêt particulier, du fait que l'écart soulève des préoccupations concernant les capacités et les motifs des propriétaires d'entreprises canadiennes. Bien que la présente étude ne vise pas à expliquer la raison pour laquelle les taux de croissance réelle ont tendance à être inférieurs aux taux de croissance durable, les PME font face à des obstacles communs à la croissance, dont les suivantsNote de bas de page 3 :

  • Les gestionnaires n'avaient pas les connaissances et les compétences nécessaires pour exploiter les nouvelles occasions de croissance;
  • Les gestionnaires croyaient que la croissance de l'industrie avait atteint un sommet;
  • Les gestionnaires faisaient preuve de conservatisme ou de pessimisme;
  • Les entraves ou les règlements gouvernementaux limitaient les capacités des entreprises d'exploiter les occasions de croissance;
  • Les marchés internationaux étaient inaccessibles;
  • Les gestionnaires se protégeaient d’un choc négatif de la demande;
  • Les propriétaires d'entreprise n'avaient pas l'ambition de croître;
  • Les occasions de croissance ne se présentaient tout simplement pas.

Par exemple, si on examine la période 2009-2010, l'écart entre les taux de croissance durable et réelle pourrait s'expliquer par l'élargissement de l'écart de production et la baisse de la confiance des entreprises (figure 7) découlant de la crise financière et du ralentissement économique. Autrement dit, sans une demande intérieure suffisante pour permettre des niveaux de production réalistes et en raison de l'incertitude par rapport à la situation économique, il n'est pas surprenant de voir les propriétaires d'entreprise choisir de conserver leurs capitaux, au cas où la conjoncture vienne à se détériorer.

Figure 7 : Indice de confiance des entreprises du Conference Board et mesures de l'écart de production conventionnel de la Banque du Canada, 2000-2010

Figure 7 : Indice de confiance des entreprises du Conference Board et mesures de l'écart de production conventionnel de la Banque du Canada, 2000-2010 (la description détaillée se trouve sous l'image)
Source : Indice de confiance des entreprises du Conference Board, 2000-2010; et Banque du Canada, Indicateurs des pressions s'exerçant sur la capacité de production et l'inflation au Canada, 2000-2010.
Note : L'écart de production désigne la différence entre la production réelle de l'économie et le niveau de production qu'elle peut atteindre avec la main-d'oeuvre, le capital et la technologie actuels sans exercer une pression soutenue sur l'inflation.
Description de la figure 7
Figure 7 : Indice de confiance des entreprises du Conference Board et mesures de l'écart de production conventionnel de la Banque du Canada, 2000-2010
Année Indice de confiance des entreprises Écart de production
Juin 2000 102,54 0,9
2001 85,76 0,4
2002 99,64 −0,8
2003 95,94 −0,8
2004 105,72 −1,5
2005 99,26 −0,5
2006 106,62 1,3
2007 102,13 1,3
2008 96,38 2
2009 71,26 −1,9
2010 95,59 −1,4

L'écart entre les taux de croissance réelle et durable observé entre 2004 et 2008, une période de croissance économique et de demande relativement stable, pourrait s'expliquer par l'aversion au risqueNote de bas de page 4 des PME canadiennes ou le fait que seulement 40 % des PME ont des ambitions de croissanceNote de bas de page 5. En l'absence d'une ambition de croissance, la croissance réelle risque de ne jamais s'aligner avec la croissance durable (Morningstar, 2010).

La tendance selon laquelle les taux de croissance des PME sont inférieurs aux taux de croissance durable pourrait indiquer soit que la capitalisation des entreprises canadiennes dans le secteur financier a été un franc succès, soit que les ressources financières n'ont pas été utilisées de façon optimale. Dans les données de l'étude américaine de Sempath et Kambil, Sustainable Growth: An Updated Analysis of Growth Potential Across U.S. Industries, les taux de croissance réelle des entreprises inscrites à la bourse S&P 500 se sont avérés inférieurs d'environ 3 % aux taux de croissance durable. Sempath et Kambil expliquent qu'il s'agit d'une situation de « liquidité excédentaire ». Ils estiment que pour y remédier, les entreprises devraient rechercher plus activement de nouvelles occasions de croissance et qu'elles pourraient maintenir des positions financières solides tout en investissant dans le nouvel équipement afin d'appuyer l'expansion dans les marchés, nouveaux ou existants. Les entreprises pourraient également mettre au point de nouveaux produits et services, augmenter leurs activités de fusion et d'acquisition ou accroître les efforts de recherche et de développement pour entraîner la commercialisation de nouvelles branches d'activité à croissance supérieure. Toutefois, si des occasions de croissance ne se présentent pas, il serait plus prudent pour les gestionnaires de retourner les capitaux aux investisseurs et prêteurs au moyen de rachats d'actions sur le marché, de dividendes et de remboursements de prêts (Sempath et Kambil, 2005). Cela représenterait une utilisation plus efficace des ressources et diminuerait leurs taux de croissance durable, ce qui donnerait lieu à une convergence des taux de croissance durable et réelle.


6. Les petites, moyennes et grandes entreprises ont-elles connu chacune une croissance égale, supérieure ou inférieure à leurs taux de croissance durable?

Une analyse des taux de croissance réelle par rapport aux taux de croissance durable a par ailleurs été réalisée pour les petites, moyennes et grandes entreprises. L'analyse visait à essayer de déterminer si les différences observées étaient significatives sur le plan statistique. La figure 8 présente l'écart entre les taux de croissance réelle et les taux de croissance durable entre 2000 et 2010. Un écart de zéro indiquerait que les taux de croissance des entreprises ont augmenté pour atteindre le seuil de rentabilité.

Figure 8 : Écart (Croissance réelle — Croissance durable) par taille d'entreprise, 2000-2010

Figure 8 : Écart (Croissance réelle - Croissance durable) par taille d'entreprise, 2000-2010 (la description détaillée se trouve sous l'image)
Source : Statistique Canada, Statistiques financières et fiscales des entreprises, 1999-2010; et calculs de l'auteur.
Description de la figure 8
Figure 8 : Écart (Croissance réelle—Croissance durable) par taille d'entreprise, 2000-2010
Année Petite Moyenne Grande
2000 −0,01 0,02 0,07
2001 0,01 0,00 −0,04
2002 −0,03 −0,03 −0,02
2003 −0,02 −0,01 −0,05
2004 −0,04 −0,02 0,01
2005 −0,09 −0,04 0,00
2006 −0,10 −0,06 −0,03
2007 −0,06 −0,04 −0,04
2008 −0,08 −0,07 0,02
2009 −0,09 −0,11 −0,18
2010 −0,10 −0,07 0,05

Le tableau 3 présente le résultat, sur le plan statistique, des différences dans les moyennes entre les taux de croissance réelle et les taux de croissance durable pour chaque catégorie de taille. Les taux de croissance réelle et durable étaient significativement différents pour les petites et moyennes entreprises. Toutefois, ils ne l'étaient pas pour les grandes entreprises; un résultat qui est conforme aux attentes de la figure 8 (en dehors de l'année de récession).

Tableau 3 : Écart (Croissance réelle — Croissance durable) par taille d'entreprise, 2000-2010
Petite Moyenne Grande
Croissance réelle Croissance durable Croissance réelle Croissance durable Croissance réelle Croissance durable
Source : Statistique Canada, Statistiques financières et fiscales des entreprises, 1999-2010; et calculs de l'auteur.
Moyenne 0,08 0,02 0,07 0,03 0,07 0,05
Variance 0,00 0,00 0,00 0,00 0,00 0,01
Observations 11,00 11,00 11,00 11,00 11,00 11,00
Différence moyenne hypothétique 0,00 0,00 0,00
Valeur p 0,00 0,00 0,35

Cela dit, il est possible de tirer deux conclusions. Premièrement, il semble que les petites et moyennes entreprises auraient eu les capacités financières nécessaires pour soutenir des niveaux de croissance supérieurs à ceux qu'elles ont réellement atteints. Deuxièmement, les grandes entreprises canadiennes semblent avoir connu une croissance égale ou semblable à leur taux de croissance durable.

Les taux de croissance réelle, presque chaque année, avaient tendance à être inférieurs aux taux de croissance durable pour l'ensemble des catégories de taille. L'écart moyen était d'environ −5 % pour les petites entreprises, −4 % pour les moyennes entreprises et −2 % pour le s grandes entreprises (−5 %, −3 % et 0 % si on exclut l'année de récession de 2009). L'écart plus étroit parmi les grandes entreprises en général pourrait laisser entendre une plus grande capacité de profiter des occasions de croissance éventuelles ou une meilleure capacité de gérer les ressources financières.


7. Les PME canadiennes de tous les secteurs ont-elles connu une croissance égale, supérieure ou inférieure à leurs taux de croissance durable?

La présente étude a également permis de cerner les différences par secteur entre les taux de croissance réelle et durable des PME. Les données à la figure 9 montrent que, pour la plupart des secteurs, les taux de croissance réelle et les taux de croissance durable étaient en désalignement entre 2000 et 2010.

Figure 9 : Taux moyens de croissance réelle et de croissance durable des PME par secteur, 2000-2010

Figure 9 : Taux moyens de croissance réelle et de croissance durable des PME par secteur, 2000-2010 (la description détaillée se trouve sous l'image)
Source : Statistique Canada, Statistiques financières et fiscales des entreprises, 1999-2010; et calculs de l'auteur.
Description de la figure 9
Figure 9 : Taux moyens de croissance réelle et de croissance durable des PME par secteur, 2000-2010
Secteur Taux moyen de croissance réelle Taux moyen de croissance durable
Primaire 5 % 2 %
Construction 5 % 10 %
Fabrication 0 % 3 %
Commerce de gros 1 % 5 %
Commerce de détail 2 % 6 %
Services professionnels, scientifiques et techniques 5 % 7 %
Hébergement et services de restauration 3 % 9 %
Autres services 4 % 8 %

Dans tous les secteurs, mis à part le secteur primaire, la croissance réelle était inférieure à la croissance durable. La différence la plus importante touchait les entreprises dans le secteur du commerce de gros et le secteur de l'hébergement et des services de restauration (−5 %) et la plus faible, les entreprises dans le secteur des services professionnels, scientifiques et techniques (−2). Le taux de croissance moyen pour les entreprises dans le secteur de la fabrication était légèrement négatif au cours de la période, accusant un retard par rapport à son taux de croissance durable de 3 %. Pour les entrepreneurs du secteur primaire, les taux de croissance réelle étaient, en moyenne, supérieurs aux taux de croissance durable, ce qui donne à penser que les entreprises de ce secteur ont connu une croissance trop rapide que ne pouvaient soutenir les ressources financières dont elles disposaient. Ainsi, une telle croissance aurait nécessité l'acquisition d'actifs, sous la forme de stocks, de comptes débiteurs, de bâtiments, et de matériel et outillage qui ne pouvaient pas être soutenus par la capacité financière normale des entreprises.

Une analyse de la signification sur le plan statistique a été réalisée entre la moyenne des taux de croissance réelle et durable. Les résultats du test de l'hypothèse nulle selon laquelle les différences sont égales à 0, par rapport à l'hypothèse alternative selon laquelle elles sont différentes de 0, montrent que la croissance des PME dans le secteur primaire et le secteur des services professionnels, scientifiques et techniques a atteint les taux que ces entreprises étaient capables de soutenir. Le tableau 4 présente les valeurs p du test de la signification. On peut constater que l'hypothèse nulle ne peut pas être rejetée pour de tels secteurs. Par contre, l'hypothèse nulle pourrait être rejetée au niveau de signification de 5 % pour les secteurs de la construction, de la fabrication, du commerce de gros, du commerce de détail, de l'hébergement et des services de restauration, et des autres services.

Tableau 4 : Test de signification de la différence entre les taux de croissance réelle et de croissance durable par secteur (valeurs p), 2000-2010
Industrie Valeur p
Source : Statistique Canada, Statistiques financières et fiscales des entreprises, 1999-2010; et calculs de l'auteur.
Primaire 0,095
Construction 0,010
Fabrication 0,002
Commerce de gros 0,000
Commerce de détail 0,009
Services professionnels, scientifiques et techniques 0,428
Hébergement et services de restauration 0,035
Autres services 0,001

Ces conclusions corroborent les constatations de la section précédente. Autrement dit, de nombreuses PME canadiennes dans une gamme de secteurs avaient la capacité financière de soutenir des niveaux de croissance plus élevés que ceux qu'elles ont atteints.


VI. Quelques limites du modèle de croissance durable de Higgins

Les modèles financiers comme le modèle de croissance durable de Higgins se fondent sur des hypothèses. Le modèle HSGM est critiqué, entre autres, du fait d'être trop simpliste et du fait que les hypothèses y sont irréalistes pour l'interprétation d'un seul point de données. D'abord, les coûts ne suivent pas toujours les mêmes tendances que celles des ventes, ensuite, la croissance de l'actif ne correspond pas toujours à la croissance des ventes et, enfin, les structures du capital, les politiques de réinvestissement et la politique en matière de dividendes ont tendance à fluctuer au fil du temps. Cela dit, les estimations basées sur une tendance à long terme, mesurée à l'aide d'un taux moyen de croissance durable sur une période de 7 à 12 ans, comme dans la présente étude, sont plus réalistes parce qu'elles tiennent compte de la volatilité naturelle des intrants du modèle. De plus, la présente étude a jeté un regard rétrospectif sur les taux de croissance durable en fonction des variables observées. Pour établir des prévisions, il est possible de raffiner les estimations de la croissance durable en incorporant les valeurs de stabilité des marges attendues à long terme, les taux de rétention, le ratio de rotation de l'actif et le levier financier.

Le modèle HSGM est aussi critiqué du fait qu'il n'explique pas pourquoi les taux de croissance durable diffèrent des taux de croissance réelle. Par exemple, le modèle n'indique pas si les taux de croissance réelle des PME canadiennes sont inférieurs aux taux de croissance durable parce que les propriétaires d'entreprise ne souhaitaient pas de croissance, parce qu'ils n'ont pas pu cerner ni saisir les occasions de croissance ou parce que les occasions de croissance ne se sont pas présentées.

Enfin, le modèle HSGM suscite aussi de la critique dans le contexte des entreprises à forte croissance, qui sont souvent déficitaires à court terme et dont les taux de croissance durable, par conséquent, sont négatifs. Les taux de croissance durable négatifs ont peu d'incidence, car les entreprises doivent être rentables afin d'obtenir les ressources internes qui soutiendront leur croissance. Comparativement aux entreprises rentables, qui peuvent soutenir au moins un niveau minimal de croissance au moyen de fonds générés à l'interne, les entreprises déficitaires à forte croissance ou les entreprises à forte croissance dont les taux de croissance durable sont faibles adoptent des stratégies de croissance qui dépendent de la volonté des prêteurs et des investisseurs de financer leurs activités. Il est important de noter que les prêteurs et les investisseurs sont parfois disposés à financer leurs activités pendant une longue période dans l'espoir qu'un jour l'amélioration de la rentabilité non seulement réduira le besoin de financement supplémentaire (équilibrant alors les taux de croissance durable et les taux de croissance réelle), mais leur procurera un rendement important sur le capital investi.

En somme, le modèle HSGM, malgré ses limites, permet d'évaluer l'infrastructure financière des entreprises canadiennes et de comprendre leur capacité de soutenir financièrement la croissance à long terme. La présente analyse a montré que les PME avaient généré une rentabilité suffisante pour soutenir une croissance à un taux annuel d'environ 7,3 %. Les PME ont en fait connu une croissance à un taux d'environ 3 %, ce qui laisse entendre que l'accès au capital au niveau agrégé n'était pas un obstacle à la croissance. Cette information est utile pour les décideurs du gouvernement. Toutefois, pour bien interpréter ces constatations, il est important de noter que d'autres études ont démontré que des sous-catégories d'entreprises ont encore du mal à accéder au financement nécessaire à la croissance, notamment les jeunes entreprises et les entreprises dont les activités sont axées sur la R-D (Industrie Canada, 2010).


VII. Conclusion

La présente étude a abordé la question suivante : quel niveau de croissance les PME canadiennes auraient-elles pu soutenir financièrement? Pour y répondre, nous avons utilisé le modèle HSGM, qui mesure le taux maximal de croissance des ventes qu'une entreprise pourrait potentiellement soutenir à l'interne et à long terme, compte tenu de ses ressources financières, de ses politiques financières et de son potentiel de bénéfices, sans devoir recourir à du financement supplémentaire. Voici les constatations de l'étude :

  1. Dans l'ensemble, les PME canadiennes auraient pu soutenir un taux moyen de croissance des ventes d'environ 7,3 % durant la période de 2000 à 2010;
  2. La variation des taux de croissance durable pour les PME canadiennes au cours de la période de 2000 à 2010 est surtout attribuable aux changements dans les marges bénéficiaires nettes, les taux de rétention et le levier financier ayant exercé une faible influence;
  3. Il n'y avait aucune différence significative sur le plan statistique dans les taux de croissance durable entre les petites, moyennes et grandes entreprises, chaque catégorie d'entreprises étant capable de soutenir un taux moyen de croissance des ventes allant de 7 à 7,6 %;
  4. Les taux de croissance durable des PME de chaque secteur ont suivi la même tendance de base au cours de la période, c'est-à-dire une hausse entre 2000 et 2007, une baisse entre 2008 et 2009, puis un redressement en 2010. Les PME dans le secteur de la construction ont connu le taux moyen de croissance durable le plus élevé durant la période (10 %);
  5. Les taux de croissance réelle des PME, qui se sont situés en moyenne à 3 % au cours de la période, étaient significativement inférieurs, sur le plan statistique, aux taux de croissance durable des PME, qui se situaient en moyenne à 7,3 % durant la même période. Ces résultats suggèrent que, dans l'ensemble, les PME n'ont pas atteint leur plein potentiel de croissance;
  6. Les taux de croissance réelle des PME étaient significativement inférieurs, sur le plan statistique, aux taux de croissance durable des petites et des moyennes entreprises (écart moyen de −5 % pour les petites entreprises et de −4 % pour les moyennes entreprises), mais pas pour les grandes entreprises (écart moyen de −2 %). Autrement dit, alors que les grandes entreprises semblent avoir connu une croissance à leur seuil de rentabilité, les petites et moyennes entreprises n'ont pas atteint leur plein potentiel de croissance;
  7. Alors que la croissance durable des PME du secteur primaire et du secteur des services professionnels, scientifiques et techniques semble avoir augmenté pour atteindre leur taux de croissance durable, la croissance réelle et la croissance durable dans les autres secteurs semblaient être désalignées, la croissance réelle étant significativement inférieure à la croissance durable.

Ces constatations soulèvent plusieurs questions concernant les capacités et les motifs des propriétaires d'entreprises canadiennes. Alors que les PME dans leur ensemble semblent disposer de l'infrastructure financière et du potentiel de bénéfices nécessaires pour soutenir des niveaux supérieurs de croissance, pourquoi ont-elles préféré ne pas connaître la croissance ou n'ont-elles pas été en mesure de croître? Malheureusement, le modèle HSGM n'offre pas de réponses à cette question.

En conclusion, le modèle HSGM et les constatations présentées ici constituent une nouvelle façon de mesurer et d'évaluer le rendement des PME sur le plan de la croissance. Il est encourageant d'observer que les PME canadiennes, dans l'ensemble, disposaient au sortir de la récente récession de solides ressources internes qui les ont aidé à profiter de nouvelles occasions de croissance. Bien que certaines entreprises ou sous-catégories d'entreprises continuent à connaître des conditions de crédit serrées, l'analyse montre que le principal défi pour les PME consiste à cerner des occasions de croissance et à en tirer parti.


VIII. Définitions de termes

Actif :
Ressources appartenant à une entreprise ou contrôlées par celle-ci (c.-à-d. stocks, biens immeubles, propriété, bâtiments et équipements, etc.) à la suite d'événements passés et desquels on prévoit tirer des avantages économiques qui se mesurent en général en flux de trésorerie.
Bénéfice net :
Total des profits d'une entreprise. Il se calcule en soustrayant du total des revenus sur une période donnée, le coût des ventes ainsi que toutes les autres dépenses engagées par l'entreprise.
Capitaux propres :
Action ou autre valeur mobilière représentant un titre de participation à une entreprise. Dans le bilan d'une entreprise, il s'agit des fonds apportés par les participants plus la somme de tout gain conservé au sein de l'entreprise.
Croissance réelle :
Pourcentage de variation des recettes d'une entreprise sur une période donnée.
Croissance durable :
Mesure du taux de croissance du chiffre d'affaires, des bénéfices et des flux de trésorerie qu'une entreprise peut potentiellement générer et soutenir avec le temps, selon son niveau de revenu, en gardant une constance dans la structure de son capital sans émettre de capitaux propres supplémentaires.
Dette :
Somme due à un prêteur ou à un fournisseur pour des fonds empruntés ou des produits ou services reçus. La dette peut prendre la forme d'un prêt, d'une obligation, d'une hypothèque ou d'un autre instrument énonçant des modalités de remboursement et, le cas échéant, les intérêts exigibles.
Marge bénéficiaire nette :
Ratio de rentabilité calculé en divisant le bénéfice net par les revenus totaux. Elle représente la part de chaque dollar généré par les ventes qu'une entreprise conserve réellement en bénéfices.
Multiplicateur du levier financier :
Mesure de levier financier. Il se calcule en divisant le total des actifs par le total des capitaux propres. Le multiplicateur du levier financier est un moyen qui permet d'examiner la manière dont une entreprise utilise sa dette pour financer ses actifs. Un multiplicateur élevé indique un levier financier plus élevé et un risque financier plus important.
Ratio de rotation de l'actif :
Montant des ventes générées par chaque dollar d'actif. Il se calcule en divisant le total des ventes par le total des actifs. Le ratio de rotation de l'actif permet de mesurer l'efficacité de l'utilisation des actifs d'une entreprise. En général, il est préférable que le ratio soit élevé.
Ratio dividendes/bénéfice :
Pourcentage des gains qu'une entreprise verse à ses actionnaires.
Rendement des capitaux propres :
Mesure des revenus obtenus sur le placement des propriétaires de capitaux propres. Il se calcule en divisant le revenu net après impôt par le capital propre du propriétaire.
Taux de rétention :
Pourcentage des bénéfices annuels conservés au sein de l'entreprise. Il se mesure en calculant 1 moins le ratio dividendes/bénéfice.

IX. Bibliographie

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