L’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ARRQ)

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31 mai 2021

 

Consultation sur un cadre moderne du droit d’auteur pour les intermédiaires en ligne

 

Commentaires de l’Association des réalisateurs et réalisatrices du Québec (ci- après l’ARRQ) en réaction aux « Document de consultation sur un cadre moderne du droit d’auteur pour les intermédiaires en ligne » (ci-après le Document)

 

Sommaire

 

Des droits prévus dans des lois et que l’on ne peut exercer n’ont de droits que le nom. Sans l’ombre d’un doute, les dernières années enseignent que le plus grand nombre de recours judiciaires relatifs au droit d’auteur implique le plus souvent d’importantes sociétés, notamment du monde de la technologie InternetNote de bas de page 1. Des sociétés de gestion s’adressent aux tribunaux. Sans doute aux  prix d’importants efforts et alors que les droits des auteurs sont contestés, par exemple par des universités qui invoquent des exceptions au droit d’auteur pour cesser ou éviter de payer des redevances aux ayants droit.Note de bas de page 2 Où sont les artistes professionnels dans toute cette mécanique?

 

Et alors que l’accès aux tribunaux se réduit à une peau de chagrin, que les intermédiaires Internet sont innombrables, souvent des colosses aux marges bénéficiaires hors du commun, comment en pratique des artistes professionnels peuvent-ils exercer leurs droits?

 

Il faut rendre l’exercice des droits plus aisé pour les artistes professionnels. Il faut en ce sens saluer ceux qui veulent faciliter la mise en place de sociétés de gestion. Mais elles doivent avoir les moyens de leurs ambitions.

 

L’ARRQ propose d’emprunter aux modèles connus du droit de retransmission et du droit de copie privée que nous connaissons déjà, ainsi qu’à l’idée émise par le ministre du Patrimoine dans le litige entre les GAFA et les éditeurs de journaux canadiens « qu’il est nécessaire d’établir un cadre de rémunération durable, équitable et cohérent pour tous les éditeurs au pays »Note de bas de page 3, dans le contexte où les diffusions possibles des œuvres des artistes professionnels sont pour ainsi dire hors de leur contrôle, même si théoriquement il est possible de suivre des œuvres sur Internet.

 

Ce qui est bon pour les radiodiffuseurs et le droit de retransmission, les ayants droit sur des œuvres musicales et la copie privée, ainsi que les éditeurs de journaux dans leur lutte pour leur survie face au GAFA, l’est pour les artistes professionnels dont les Canadiens ne peuvent se passer.

 

Aussi, pour rendre un tant soit peu concrets les droits des artistes  professionnels, tout en simplifiant et en unifiant la gestion des intermédiaires Internet qui ne sont pas toutes des GAFA, l’ARRQ propose :

 

Un statut particulier pour les artistes professionnels eu égard aux intermédiaires Internet (1) et l’établissement dans un même temps de « redevances particulières », une notion déjà connue en droit d’auteur, destinées aux artistes professionnels et payables par les intermédiaires (2).

 

Les grandes entreprises auront toujours les ressources, que n’ont pas les artistes, tant pour exercer leurs droits d’auteur que pour contester ceux d’autrui.

 

Le législateur doit suivre globalement les enseignements d’autres États pour ce qui concerne un encadrement approprié des intermédiaires Internet. De plus, à l’image d’une forme de discrimination positive, l’ARRQ propose que le gouvernement tienne compte spécifiquement des artistes professionnels en prévoyant la mise en place d’une forme de licence légale qui permettrait aux intermédiaires de compter sur celle-ci en contrepartie de « redevances particulières » justes versées à des sociétés de gestion qui les verseraient à leurs ayants droit artistes professionnels.

 

Les tableaux comptables de tous les intermédiaires comporteront alors une colonne supplémentaire, « redevances payables en contrepartie de l’utilisation d’œuvre d’artistes professionnels », alors que leur gestion sera simplifiée par la mise en place d’une paix juridique sérieuse eu égard aux œuvres des artistes professionnels.

 

Devant les GAFA et tous les autres intermédiaires de ce monde dont la liste s’allonge continuellement, des redevances particulières destinées aux artistes professionnels s’imposent, alors que les intermédiaires auraient droit à un traitement « canadien » uniforme selon leur taille et l’ampleur de leurs utilisations d’œuvres d’artistes professionnels.

 

Il y va de l’enrichissement des connaissances de tous les Canadiens. La création suppose de lourds investissements en temps et énergie. Privés de tous revenus par une machine Internet incontrôlable, les artistes professionnels seront à terme un vague souvenir dans la mémoire des plus âgés.

 

(1) Pourquoi un statut particulier pour les artistes professionnels?

 

1) Les droits d’auteur des réalisateurs

 

Nul besoin de citations pour écrire que dans la pratique de leur profession, le statut d’auteur des réalisateurs était et est encore contesté par des producteurs, qui de surcroît prétendent dans leur quotidien être auteurs d’une œuvre cinématographique, ce qui leur permet de soutenir qu’ils profitent du statut de premier titulaire des droits sur un film. C’est pour éviter des remises en question incessantes, notamment dans la négociation de leurs contrats et plus largement dans l’exercice de leurs droits d’auteur que les réalisateurs pressent depuis bien longtemps le Parlement d’apporter des précisions à cet égard dans la Loi sur le droit d’auteurNote de bas de page 4, à l’image de ce qui se fait dans des États étrangers, notamment en France en ce qui concerne les œuvres audiovisuelles.

 

Il ne fait pas de doute selon notre lecture de la loi par la jurisprudence canadienne qu’un réalisateur est un auteur qui participe à la création d’une production cinématographique. Ils sont de ce fait admis à intervenir en réaction au Document.

 

Quelques précisions sur ce statut juridique pour éviter tout doute sur la pertinence de leur intervention dans le cadre du Document.

 

(a) Les réalisateurs sont des auteurs

 

Les réalisateurs sont auteurs au sens de la Lda. Par exemple, dans un dossier où l’auteure était en l’occurrence à la fois scénariste et réalisatrice, la Cour supérieure du Québec relève qu’« un scénario n’a de sens que s’il donne naissance à un film [...] le scénario n’est qu’une étape dans le continuum de l’œuvre [cinématographique] ». De son côté, « [l]e réalisateur(trice) donne à l’œuvre cinématographique sa facture propre. Il est sur le plateau de tournage et il supervise la création du film jusqu’à la fin. [...] à titre de réalisatrice, elle était l’ultime responsable de l’accomplissement des tâches de chacun dans le processus de création du film ». De son côté, le producteur était pour la Cour celui qui « cherche et fournit les fonds nécessaires » à la productionNote de bas de page 5.

 

Par nature, une production cinématographique fait appel à une multitude d’apports d’auteurs différents. En outre, des droits d’adaptation littéraire et du scénario, nous pouvons parler en termes de droits d’auteur, reconnus ou non en pratique, des artistes interprètes, des chorégraphies, de la musique, des décors, costumes et maquillages, des prises de vue, et du montage sans compter d’autres œuvres intégrées dans l’œuvre cinématographique. Ce n’est évidemment pas parce qu’une œuvre d’un auteur est incorporée dans une production cinématographique qu’il est nécessairement auteur ou coauteur de la production. Par exemple, le peintre à qui l’on commanderait un tableau à être incorporé dans une production cinématographique est l’auteur de son tableau. Sans autre apport que celui de fournir un tableau, on ne peut dire de lui qu’il est auteur ou coauteur de la production cinématographique dans laquelle son tableau est incorporé. S’il crée effectivement un tableau, il ne crée pas la production cinématographique même si son œuvre y est incorporée. L’auteur d’une œuvre est celui qui la réalise, qui la met en forme.

 

Les réalisateurs comptent indubitablement parmi les auteurs qui participent au premier chef à la production d’une œuvre cinématographique. C’est l’essence même de leur apport. Comme le soulignait en d’autres mots la Cour supérieure du Québec citée plus haut, ils lient entre eux tous les apports d’auteurs et d’artistes qui participent à la production cinématographique.

 

Du strict point de vue juridique, minimalement les apports des réalisateurs sont de l’ordre d’un travail de compilation au sens du droit d’auteurNote de bas de page 6, puisque l’auteur d’une compilation est une personne qui combine divers apports couverts ou non par le droit d’auteur dans le but de créer une œuvreNote de bas de page 7, ici une production cinématographique.

 

La Lda énonce clairement les droits de l’auteur sur son œuvreNote de bas de page 8, mais elle ne définit nulle part qui est un auteur, si ce n’est à comprendre du texte de la Lda qu’elle couvre des auteurs au sens générique du terme, à savoir la personne qui crée une œuvre originaleNote de bas de page 9. Ce n’est donc pas dans le texte de la Lda que l’on découvre expressément que les réalisateurs sont des auteurs au sens du droit d’auteur. Comme pour tout autre auteur, il faut puiser aux décisions des tribunaux, qui nous ont fourni les grands principes qui permettent de déterminer qui est un auteur au sens de la Lda.

 

Juridiquement, l’auteur est la personne qui produit une œuvreNote de bas de page 10, qui donne une forme d’expression originale aux idées sous-jacentes d’une œuvreNote de bas de page 11, qui lui donne une existenceNote de bas de page 12, qui la prépareNote de bas de page 13, la réaliseNote de bas de page 14, la créeNote de bas de page 15. En somme, un auteur ajoute une forme expressive au répertoire communNote de bas de page 16, une forme aussi bien littéraire, qu’artistique, que dramatique ou musicale. A priori, c’est ce que font les réalisateurs lorsqu’ils participent à la production d’une œuvre cinématographique, à sa réalisation en la marquant de leurs empreintes créatrices et personnellesNote de bas de page 17. Comme le relevait aussi la Cour supérieure du

 

Québec, qui discute alors de l’apport d’une réalisatrice dans une production cinématographique, « la preuve démontre qu’à titre de réalisatrice, elle a choisi  et fondu les éléments nécessaires à l’aboutissement de l’œuvre »Note de bas de page 18.

 

Comme c’est le cas pour tout auteur, les réalisateurs restent auteurs de la production même s’ils ne sont pas propriétaires des droits d’auteur sur leurs apports dans la production, ce qui peut arriver dans deux cas : lorsque leurs apports ont été produits dans le cadre d’un emploi à titre de salariés et qu’il n’y avait aucune stipulation à l’effet contraire avec leur employeurNote de bas de page 19; lorsqu’ils transfèrent en tout ou en partie leurs droits d’auteur par cession ou licence exclusive constatée par écritNote de bas de page 20.

 

Effectivement, c’est parce qu’ils sont auteurs, qu’en l’absence d’un contrat d’emploi ou d’une cession par écrit, les réalisateurs sont les premiers titulaires de droits sur une production cinématographique, alors qu’il faut parfois faire la différence entre la ou les personnes qui créent l’œuvre cinématographique et celles qui disposent des droits de l’exploiter en vertu d’une ententeNote de bas de page 21.

 

Le statut d’auteur est une réalité juridique. Celui de titulaire des droits en est un autre. S’il est le premier titulaire des droits d’auteur sur sa prestation, comme tout auteur au sens de la Lda, le réalisateur peut disposer de ses droits en tout ou en partie par cession et par licence, qui peut émaner ou autrement être négociée par le réalisateur ou son agent, par une société collective chargée de la gestion de ses droits en tout ou en partie ou un syndicat chargé de le représenterNote de bas de page 22.

 

(b) Les droits du réalisateur dans la pratique

 

C’est une chose d’être titulaire de droits, c’en est une autre de les exercer.

 

En ce qui concerne le Canada, il n’existe aucune documentation accessible publiquement, qu’elle émane d’une ou de parties concernées ou encore de sources crédibles, qui permettent d’affirmer sérieusement que, pour des exploitations en ligne canadienne de leurs œuvres, des réalisateurs au Canada touchent des droits leur provenant d’intermédiaires en ligne, quels qu’ils soient.

 

Lors de sa comparution au comité INDU sur la révision sur le droit d’auteur le 1er octobre 2018, Gabriel Pelletier, réalisateur et président de l’ARRQ, a témoigné qu’en 2000 il a sorti le film « La vie après l’amour » qui a été numéro 1 au box- office québécois et numéro 2 dans tout le Canada. Il affirmait avoir « touché exactement 0 $ pour l’exploitation secondaire de cette œuvre. »Note de bas de page 23

 

À sa connaissance et à celle de l’ARRQ, c’est le cas de tous les réalisateurs francophones même ceux représentés par la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD), alors qu’aucun droit d’auteur n’est payé au Canada pour l’exploitation secondaire (télévision, Internet). Le cachet du réalisateur reçu du producteur inclut techniquement une licence d’exploitation, mais pas de paiement séparé pour l’acquisition de la licence, contrairement à ce qui serait le cas des réalisateurs anglophones. Les formes de rémunération des réalisateurs francophones n’incluent donc pas à ce jour une rémunération, même symbolique, qui tient compte d’une réelle exploitation Internet recensée ou négociée qui proviendrait directement ou indirectement d’intermédiaires Internet.

 

Or, la situation n’est pas plus rose du côté des réalisateurs anglophones. Dans leur contrat, un montant est spécifié pour un « buy-out » des droits d’exploitation. Si, toutefois, on fait l’addition de ce montant au cachet de production du réalisateur, on arrive sensiblement au même total que le cachet pour un budget de film similaire d’un réalisateur francophone. Encore là, les formes de rémunération des réalisateurs n’incluent pas à ce jour une rémunération qui tient compte d’une réelle exploitation Internet recensée ou négociée qui proviendrait directement ou indirectement d’intermédiaires en ligne.

 

La Directors Guild of Canada (ci-après la DGC) a créé une société de gestion collective, la « Directors’ Rights collective of Canada », essentiellement pour collecter les droits d’auteur sur les territoires étrangers où ils existent. Elle ne collecte de ce fait, aucune redevance au Canada. À défaut d’être en mesure de collecter des revenus au Canada, elle se rabat donc sur des États étrangers où est possible la gestion des droits des réalisateurs sur Internet.

 

Reste encore à espérer que ces États étrangers ne se réclament pas des règles du traitement national réciproque pour refuser d’étendre sur leur territoire aux réalisateurs canadiens l’accès à une rémunération provenant d’intermédiaires Internet en raison du fait que Lda ne reconnaît pas des droits comparables aux auteurs étrangers. En effet, pour qu’un auteur d’un État X puisse exercer un droit dans un État Y, encore faut-il qu’un auteur de l’État Y puisse exercer un droit comparable dans l’État X. La loi canadienne rend compte de ce principe selon lequel le Canada peut refuser d’étendre à des auteurs d’un autre État des droits qu’un auteur canadien ne peut exercer dans cet ÉtatNote de bas de page 24.

 

Les faits parlent d’eux-mêmes du point de vue des réalisateurs : malgré les amendements apportés au fil des ans à la Lda, force est de constater qu’elle est encore en pratique totalement inefficace eu égard à la perception des droits des réalisateurs, dont la rémunération n’est ni efficace, ni équitable, ni raisonnable pour reprendre des mots largement véhiculés dans les débats entourant le droit d’auteur au Canada. Même quand la Lda leur reconnaît des droits, en pratique les réalisateurs sont dans un vide juridique.

 

La Cour suprême du Canada écrivait en 2002 :

 

« 31 [...] D’un point de vue grossièrement économique, il serait tout aussi inefficace de trop rétribuer les artistes et les auteurs pour le droit de reproduction qu’il serait nuisible de ne pas les rétribuer suffisamment. »Note de bas de page 25

 

Réitérant la philosophie qu’elle avait adoptée en 2002, la Cour mettait de l’avant en 2015 l’idée d’un équilibre auteurs-artistes-utilisateurs et d’une juste récompense pour les auteurs et les artistes :

 

« [8] Dans l’arrêt Théberge c. Galerie d’Art du Petit Champlain inc., 2002 CSC 34 (CanLII), [2002] 2 R.C.S. 336, la Cour signale que l’application du droit d’auteur commande « un équilibre entre, d’une part, la promotion, dans l’intérêt du public, de la création et de la diffusion des œuvres artistiques et intellectuelles et, d’autre part, l’obtention d’une juste récompense pour le créateur » (par. 30). »Note de bas de page 26

 

Si par hypothèse, il en existe des réalisateurs qui sont « trop rétribués », ce serait une anomalie exceptionnelle, compte tenu de l’absence de traitement qui est fait de leurs droits d’auteur au Canada eu égard à l’Internet et ses intermédiaires. Un réalisateur n’est pas un Bill Gates qui amasse des fortunes plus que colossales en profitant notamment de ses droits d’auteur sur tous les territoires.

 

Il en résulte que ni l’équilibre ni la juste rémunération ne sont aujourd’hui aux rendez-vous des réalisateurs. Du point de vue de l’exercice de leurs droits d’auteur sur Internet, ils sont carrément laissés pour compte. Leurs revenus théoriques, s’il en est, profitent uniquement aux utilisateurs de leurs œuvres.

 

(2) Certains commentaires sur le Document

 

L’opinion des intermédiaires et des parties intéressées, qui affirment ce  qui suit selon le Document (p. 3), est à rejeter péremptoirement parce que totalement sans fondement :

 

En revanche, de nombreux intermédiaires et d’autres parties intéressées affirment que la législation canadienne protège suffisamment le droit d’auteur en ligne et que les mesures actuelles d’exonération et d’application de la Loi favorisent un Internet ouvert, l’innovation et le développement des services en ligne et la croissance économique au Canada.

 

Plus appropriées sont les mesures suivantes envisagées dans le document de consultation (p. 3-4) :

 

Le gouvernement examine actuellement la meilleure façon de tenir compte de ces tendances et perspectives. Le gouvernement envisage notamment les mesures suivantes :

  1. clarifier les protections contre la responsabilité prévues pour les intermédiaires en cas de violation du droit d’auteur, y compris l’incidence de leur connaissance d’une violation et d’activités liées au contenu sur leur responsabilité et leurs obligations connexes;
  2. assurer la rémunération des détenteurs de droits en mettant en place un régime de licences collectives pour l’utilisation de leur contenu protégé par le droit d’auteur sur certaines plateformes;
  3. accroître la transparence en matière de rémunération des détenteurs de droits et de l’utilisation en ligne de leur contenu;
  4. clarifier ou renforcer les outils visant à faire respecter les droits des titulaires de droits par les intermédiaires, notamment par le biais d’un régime législatif de « blocage de sites Web » et de « désindexation ».

 

Le Document suggère l’établissement d’un mode de fonctionnement qui serait convivial pour les fournisseurs de services (p. 6) :

 

Le cadre moderne permet également de réduire au minimum les coûts de conformité des fournisseurs de services, de manière à limiter les obstacles à l'entrée sur le marché et à favoriser ainsi l'entrepreneuriat et la prise de décisions de consommation judicieuses. Ces caractéristiques aident le Canada à développer un marché en ligne vigoureux qui stimule la croissance économique.

 

Cette idée est louable si elle s’accompagne dans un même temps de coûts de conformité qui sont aussi conviviaux et accessibles pour les réalisateurs. Des droits inscrits dans une loi et que les justiciables ne peuvent exercer sont pratiquement inexistants, non écrits.

 

Les titulaires de droits musicaux ont une longue expérience nationale et internationale en matière de gestion collective. Ils sont encore à l’avant-scène. Au fur et à mesure des avancées techniques, la gestion collective et la perception des droits d’auteur sur les œuvres musicales se sont raffinées. Nous n’en sommes plus uniquement à la visite impromptue par des inspecteurs de la SOCAN dans des salles de spectacle. La radiodiffusion, puis la télécommunication ont imposé une évolution des modèles de gestion collective. Ces modèles doivent encore évoluer, alors que les formes d’exploitation des œuvres et leurs utilisateurs se démultiplient et sont en hausse exponentielle et continue.

 

Dans un même temps, suivre le parcours d’une œuvre est plus aisé que ce qui était le cas auparavant. Il a toujours été difficile de suivre le parcours d’un livre papier alors que n’existait aucune technique de traçabilité. Dans les années 1920, il était encore possible de déguiser des titres sur une affiche pour cacher aux yeux des titulaires de droits qu’un spectacle se donnait dans une salle de théâtreNote de bas de page 27. Cacher une œuvre numérique qui circule sur Internet n’est pas chose simple, nous en voulons notamment pour preuve le « blockchain ».

 

Comme les œuvres sont traçables plus qu’elles ne l’ont jamais été, la porte d’entrée est grande ouverte pour qui veut mettre en place des modèles de gestion collective numérique sur Internet, alors que même les « dinosaures de l’Internet » l’empruntent efficacement aujourd’hui. Il n’y a aucun motif d’ordre technique qui s’oppose aujourd’hui à la mise en place de modèles de gestion collective d’œuvres pour des opérations réalisées sur Internet. S’il est aisé aujourd’hui de se procurer légitimement sur Internet la plus petite pièce de n’importe quel produit du commerce, ainsi doit-il en aller pour les œuvres. Il faut bien sûr prendre en considération que l’intermédiaire qui communique illégitimement à une œuvre est localisable. La personne qui est à la source de l’acte illégitime est moins facilement localisable. Si d’aventures les intermédiaires n’étaient pas tenus responsables d’une violation, elle resterait impunie si les titulaires n’avaient pas accès à ceux qui sont à la source de violations de leurs droits. Or, si le respect à la vie privée est une valeur canadienne importante, l’est tout autant le respect des droits légitimes des autres. Il doit être possible d’avoir un accès aux personnes qui sont à la source de violations sérieuses de droits, même si leurs données sont tenues confidentielles aux yeux des tiers. Dans des litiges auprès d’instances judiciaires ou quasi judiciaires, on sait depuis longtemps aménager un modus vivendi entre la confidentialité et un accès à des données sensibles. On sait surtout que des règles peuvent être aménagées au gré des circonstances.

 

Dans un litige sur les droits d’auteur d’un artiste professionnel, l’intermédiaire est un acteur, parfois involontaire si l’on tient compte de la personne qui a réellement initié une violation des droits en cause. La loi peut aussi prévoir un statut particulier pour les intermédiaires qui agiraient sous le couvert du régime de redevances particulières des artistes professionnels.

 

(3) Une mécanique allégée d’exercice de leurs droits pour les artistes professionnels

 

L’exercice des droits, et ceci vaut pour les débats juridiques et économiques entourant la mise en place de modèles de gestion collective, sont plus coûteux et complexes qu’il ne l’était. Nul besoin de citation pour dire que l’homologation d’un nouveau tarif dans les années 1960 auprès du Tribunal du droit d’auteur se réalisait encore à des coûts raisonnables pour une société de gestion collective. Ainsi en allait-il des recours judiciaires dans les années 1950, alors que Louvigny de Montigny, qui représentait des titulaires de droits au Canada, disait se présenter à la Cour suprême du Canada - il l’a fait plus d’une fois -, pour une somme avoisinant mille dollars. Nous n’en sommes plus là, alors que la seule reprographie des factums (cahiers de procédures et de pièces) requis à la Cour suprême du Canada en matière civile coûte bien au-delà de 1 000 $ aujourd’hui.

 

Personne ne sera surpris d’apprendre que parmi les facteurs qui ont pu décourager les réalisateurs du Québec à former une société de gestion, le plus important était les coûts prévisibles que le seul exercice de faire adopter des tarifs supposerait. Une société de gestion bien établie qui gère des droits entourant des productions cinématographiques laissait d’ailleurs entendre dans les corridors qu’il en coûterait aisément aux réalisateurs plus d’un million de dollars en frais et débours de toutes sortes pour parvenir à établir un premier tarif pour les réalisateurs auprès de la Commission du droit d’auteur. De quoi décourager les plus fervents défenseurs de la gestion collective, surtout si l’on sait que des coûts encore exorbitants sont à prévoir pour exercer les droits découlant d’un tarif. Sans trop se tromper, on peut penser que les comptables et les procureurs sont pour ainsi dire les seuls à tirer un véritable profit d’un tarif.

 

Pour réagir avec efficacité aux questions suscitées par les utilisations des œuvres sur Internet, il faut faire évoluer les modèles connus en jetant un regard sur ce qui se fait dans d’autres secteurs de la vie sociale et économique. Qu’une nouvelle forme de gestion en droit d’auteur ait été utile lors de l’apparition des photocopieurs, pour prendre cet exemple, ne signifie pas que cette même forme doit être dupliquée à l’identique pour ce qui concerne les reproductions et les communications numériques. Il faut construire sur les enseignements du passé, non pas les dupliquer. La radiodiffusion, pour prendre cet autre exemple, a vu naître des formes de gestions collectives des droits d’auteur. Les télécommunications actuelles supposent des adaptations, des évolutions en manière de gestion des droits.

 

La Lda doit s’adapter aux multiples acteurs de toutes tailles, y compris les plus modestes, sans quoi le droit d’auteur continuera d’être vu avec suspicion par plusieurs.

 

1. Des écueils évitables avec des modèles préexistants

 

En droit d’auteur, l’histoire enseigne déjà que le législateur peut créer des droits, tel celui de la copie privée pour laquelle une forme de taxe est prélevée sur les ventes de supports audio pour être ensuite reversées aux auteurs, aux artistes interprètes et aux producteurs d’enregistrements sonores. La grande diversité des intermédiaires sur Internet, sur l’échelle de l’histoire de très nouveaux intermédiaires dans le circuit que les œuvres empruntent, ne peut laisser place à l’enrichissement des uns, sans prendre en considération les créateurs de contenu que sont les artistes professionnels. Ils ne peuvent être laissés pour compte, comme c’est notamment encore le cas aujourd’hui pour les réalisateurs.

 

Parlant précisément des artistes professionnels qui peinent à exercer avec profit leur droit sur Internet, le législateur peut mettre en place une forme de discrimination positive qui donnerait aux artistes professionnels des prérogatives qui ne seraient pas nécessairement accordées à d’autres titulaires de droits. Des lois fédérales et provinciales prévoient déjà des traitements spécifiques pour divers groupes d’individus. Certains sont déjà accordés à des artistes, notamment en matière syndicale et fiscale. La Lda a d’ailleurs connu une forme de discrimination positive, alors qu’en matière de photographie, ses dispositions ont favorisé pour un temps les photographes, personnes physiques, en comparaison à de premiers titulaires, les personnes morales, notamment quant à la durée de protection.

 

Tout en respectant ses obligations internationales, le législateur canadien n'est pas empêché de prévoir que certaines règles profitent exclusivement à des artistes professionnels. Pourquoi une société qui gère les droits d’artistes professionnels ne profiterait pas de prérogatives dont ne jouiraient pas les grandes sociétés informatiques en matière de gestion de leurs droits ?

 

À cet égard, l’on sait que les tribunaux judiciaires ne peuvent prétendre à une exclusivité entourant les litiges sur des droits d’auteurNote de bas de page 28. Pourquoi les litiges des artistes professionnels impliquant des intermédiaires ne seraient pas sortis en grande partie du ressort des tribunaux judiciaires, l’idée étant notamment de limiter les coûts pour les uns et les autres? Particulièrement pour des joueurs, tels les artistes professionnels, qui ne profitent pas d’un temps de glace, pour reprendre une image toute canadienne. Il peut y avoir une grande gamme de redressements et de modalités entourant autant les avis de violation que les retraits de contrefaçons. Ce n’est pas sans raison que les provinces canadiennes ont mis en place des tribunaux pour les petites créances. Va encore pour des réclamations financières de moindre importance. Mais l’incapacité péremptoire d’exercer réellement des droits substantiels ne conduit pas à la justice sociale.

 

En droit d’auteur, il faut aussi compter sur l’extrême flexibilité des transferts de droits et autres autorisations d’exercer des droits, qui permettent déjà des octrois de licences générales étendues, aussi bien que de licences très ciblées dans le temps et la nature des droits en cause. Tous n’ont pas besoin d’une licence générale, mais il y a ceux qui en ont véritablement besoin. Ce type de licence serait tout autant utile aux artistes professionnels, s’ils sont réellement compensés, qu’aux intermédiaires pour qui les droits des artistes professionnels ne seraient pas un souci constant rappelé de mise en demeure en mise en demeure, même quand elles ne sont pas suivies d’effet.

 

Enfin, les rédacteurs du Document parlent « des particuliers qui ne comprennent possiblement pas le caractère illicite de leurs activités. » De toute évidence, tous ne baignent pas dans le droit d’auteur. Et il suffit de lire l’ensemble des exceptions adoptées par le législateur depuis les années 1990 pour savoir que le droit d’auteur devient, d’amendement en amendement, plus complexe chaque fois, pour ne pas dire ésotérique, même pour les spécialistes. Aussi, la question qui se pose n’est pas de savoir si les Canadiens comprennent ou non le caractère illicite de leurs activités. La question en est plutôt une d’accessibilité à une information claire et sérieuse.

 

Depuis 2012, les élèves canadiens apprennent à se promener sur Internet sans se soucier du droit d’auteur, sauf si des mesures techniques leur interdisent un accès à certaines adressesNote de bas de page 29. Ils seront nombreux bientôt les Canadiens « qui ne comprennent possiblement pas le caractère illicite de leurs activités. »

 

Les réalisateurs vivent avec l’idée que l’excuse de ne pas connaître les dispositions d’une loi comme moyen de défense à une violation des droits ou des prohibitions qui y sont faites est fort mal reçue par les tribunaux canadiens, sinon les Canadiens raisonnables ». Le souci de clarté est préférable, à une quelconque acceptation qu’une frange de la population serait admise à violer les droits d’auteur faute de comprendre la portée de leurs actions.

 

En toute hypothèse, il n’est pas approprié de soutenir que des Canadiens seraient en quelque sorte des ignares qui ne peuvent comprendre le droit d’auteur, qui existe notamment pour assurer le gagne-pain des artistes. Les lois fiscales sont complexes et mouvantes. Elles doivent néanmoins être respectées pour assurer une forme de justice sociale.  Il faut aussi assurer le respect du  droit d’auteur pour assurer un effort de création qui enrichit ultimement notre patrimoine collectifNote de bas de page 30. Raison de plus de penser la Lda de manière à rendre possible l’exercice des droits des uns et des autres avec souplesse.

 

La Lda doit notamment pallier les difficultés rencontrées par les réalisateurs canadiens pour gérer efficacement leurs droits sur Internet. Ici comme ailleurs, l’accès à des procédures ouvertes, simples, efficaces et accessibles financièrement s’impose, sinon les belles déclarations législatives seront condamnées à demeurer lettre morte, du point de vue des réalisateurs du moins.

 

À l’ère actuelle d’Internet et des communications numériques, le grand enjeu des réalisateurs canadiens est effectivement de préserver un certain contrôle de  leurs œuvres si la chose est possible dans la réalité, sinon de chercher à percevoir des fruits en contrepartie de l’utilisation de leurs droits. Une vérité de La Palice : la perception des revenus sur une base individuelle dans le cadre des communications et des échanges dans l’univers numérique est de moins en moins concevable ou pratique. Les coûts pour préserver des droits ou recouvrer les sommes dues sont démesurés et le chemin pour y parvenir est rempli d’obstacles.

 

À défaut de pouvoir régler chaque écueil qui se dresse droit devant, le législateur canadien peut déjà adopter des amendements à la Lda qui permettraient notamment aux réalisateurs canadiens de gérer collectivement leurs droits selon des procédures qui rendraient cette gestion aussi efficace qu’accessible tant pour eux que pour les utilisateurs. Et rien n’interdit au législateur d’opérer une discrimination « positive » entre l’utilisation d’œuvres d’artistes et celles plus purement commerciales des grandes sociétés. Les artistes ne sont pas sur le même pied que les GAFA de ce monde. Les premiers ne touchent pratiquement rien en contrepartie de leurs œuvres, alors que les faits démontrent que les GAFA et autres grands joueurs ont en pratique un contrôle monopoliste démesurément rentable pour elles dans les faits, souvent en utilisant avec profit les œuvres dont ne profitent pas les artistes professionnels.

 

En somme, alors que les intermédiaires ont à ce jour pu se développer sans porter attention aux droits d’auteur des artistes, le balancier doit maintenant revenir au centre des intérêts des uns et des autres.

 

Propositions

 

Un traitement au moins comparable à ceux qui prévalent dans des États comparables au Canada

 

  1. La Lda ne peut pour aucune raison prévoir des règles applicables aux Intermédiaires Internet, peu importe leur rôle précis dans l’exploitation d’une œuvre, qui soient moins contraignantes à tous égards pour eux que celles qui prévalent aux États-Unis et en Europe.

 

L’instauration d’un statut d’artiste professionnel, à tout le moins pour ce qui concerne les redevances particulières versées par les  intermédiaires Internet

 

  1. La Lda doit prévoir un statut d’artiste professionnel aux fins de la perception de redevances particulières en relation avec les activités des intermédiaires Internet qui tirent des revenus de la reproduction, de la communication privée ou publique ou de la transmission des œuvres de ces artistes professionnels.

    Un artiste professionnel titulaire de ces redevances particulières est reconnu comme tel en vertu d’une loi fédérale ou provinciale, l’une ne prévalant pas sur l’autre. L’artiste professionnel est membre d’une association ou d’un syndicat qui peuvent aussi agir comme société de gestion collective aux fins de la gestion de ces redevances particulières. S’il n’est pas membre d’une association professionnelle, d’un syndicat, ou d’une société de gestion, l’artiste ne peut que réclamer les redevances pour l’utilisation de son œuvre auprès de la société de gestion désignée par le gouvernement, cela aux mêmes conditions qu’une personne qui a adhéré à la société de gestion à cette fin.

 

Les redevances particulières

 

  1. À la manière du droit de copie privée ou du droit de retransmission qui établissent actuellement des redevances particulières eu égard à certaines utilisations d’une œuvre, le législateur doit prévoir que les intermédiaires Internet, qui tirent des revenus de la reproduction, dont le stockage, de la transmission et la communication privées de nature commerciale ou publique des œuvres des artistes professionnels, doivent verser des redevances particulières aux sociétés de gestion collective habilitées à gérer ces redevances particulières pour les artistes professionnels

    Les redevances particulières payables par les intermédiaires Internet doivent être graduées en paliers selon que l’intermédiaire autorise ou non l’exercice des droits d’auteur au sens qu’a le droit d’autoriser selon la Lda. Même les intermédiaires qui n’autorisent ni de près ni de loin l’exploitation d’une œuvre sous une forme ou une autre, sont visés par les redevances particulières s’ils tirent des revenus directement ou indirectement des œuvres en cause.

  2. Le gouvernement ou un organisme qu’il mandate à cette fin, telle la Commission du droit d’auteur par exemple, ont la responsabilité d’établir les redevances particulières payables par les intermédiaires Internet. Il le fait en concertation avec tous les acteurs impliqués en tenant compte de l’importance de rémunérer adéquatement les artistes en contrepartie de l’utilisation de leurs œuvres.

 

L’exercice des recours usuels contre les tiers

 

  1. Le fait qu’un artiste professionnel touche des redevances particulières ne l’empêche en rien d’exercer ses droits d’auteur à l’encontre de toute violation de ses droits d’auteur dont se rend responsable toute personne autre qu’un intermédiaire qui verse des redevances particulières. Le fait qu’un artiste professionnel perçoive une redevance particulière ne diminue en rien les dommages et autres redressements qu’il peut, comme tout autre titulaire, réclamer en contrepartie d’une violation de ses droits par des tiers.
  2. Seuls les intermédiaires qui sont couverts par le régime des redevances particulières profitent d’une forme de licence légale qui les met à l’abri de poursuites en violation de droit d’auteur.
  3. Les intermédiaires internet doivent rendre compte, sous le sceau de la confidentialité au besoin, de leurs opérations concernant l’utilisation qu’ils font directement ou indirectement des œuvres.
  4. S’il y a un litige entre des artistes professionnels qui prétendent mutuellement être titulaires de tout ou parties des droits sur une œuvre, ce litige doit être réglé dans les meilleurs délais au sein même de la ou des sociétés de gestion impliquées. Il doit s’agir d’un processus d’arbitrage simplifié qui lie les parties et l’intermédiaire en cause s’il y a lieu.

  5. Si la question soulevée en arbitrage implique la présence d’autres personnes qui soutiennent être titulaires de droits sur la même œuvre, elles doivent être mises en cause, par intervention forcée au besoin, et elles doivent être liées par l’éventuelle sentence arbitrale.

 

 

 

Soumis le 31 mai 2021.