Coalition pour la diversité des expressions culturelles

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Mémoire de la CDEC dans le cadre de la consultation sur la façon de mettre en œuvre l'engagement du Canada de prolonger la durée de protection générale du droit d'auteur en vertu de l'ACEUM

12 mars 2021

Présentation de la CDEC

La Coalition pour la diversité des expressions culturelles (CDEC) regroupe les principales organisations professionnelles francophones et anglophones du secteur culturel au Canada. Elle est composée d'une quarantaine d'organisations qui représentent collectivement les intérêts de plus de 200 000 professionnels et de 2 000 organisations et entreprises des secteurs du livre, du cinéma, de la télévision, des nouveaux médias, de la musique, des arts du spectacle et des arts visuels. La CDEC intervient principalement pour s'assurer que les biens et services culturels sont exclus des négociations commerciales et que la diversité des expressions culturelles est présente dans l'environnement numérique.

Introduction

La CDEC a publié en octobre 2020 ses recommandations pour la révision de la Loi sur le droit d'auteurNote de bas de page 1. Cette convergence exceptionnelle des organisations du secteur témoigne de l'urgence de la révision de cette loi vitale pour tout l'écosystème culturel. Au-delà de leurs priorités particulières, les membres de la CDEC ont relevé avec rigueur le défi d'identifier les recommandations nécessaires pour colmater la brèche qui se creuse de plus en plus entre ce que les ayants droit peuvent légitimement espérer, et ce qu'offre désormais la Loi sur le droit d'auteur.

Avant d'aller plus loin, nous souhaitons à nouveau souligner notre satisfaction quant à la prolongation proposée de la durée du droit d'auteur. Il s'agit d'une demande importante, portée par nos membres afin d'irriguer nos écosystèmes de ressources nouvelles qui permettront de soutenir un plus grand nombre de projets créatifs, des ressources plus que nécessaires dans le contexte actuel.

Par contre, nous jugeons que le nouveau cycle de consultation qui s'amorce ne nous engage pas dans la bonne direction. D'abord, parce que l'on cherche à limiter les bénéfices de la prolongation pour les ayants droit. De plus, la présente consultation ne se limite pas qu'à des questions techniques, elle aborde de nouveaux sujets qui nécessitent davantage de recherche en dehors de cette consultation. Ensuite, parce que cela repousse encore le moment où un projet de loi pourra être déposé. Enfin, il y a des enjeux fondamentaux pour nous qui devraient retenir toute l'attention des ministères chargés de la révision.

Nous ferons trois recommandations :

  1. Mettre en œuvre immédiatement et automatiquement la prolongation de la durée du droit d'auteur.
  2. Remettre l'étude des réformes sur l'accès aux œuvres orphelines et aux œuvres inaccessibles sur le marché à une prochaine révision de la Loi sur le droit d'auteur.
  3. Inclure dans la prochaine réforme les autres recommandations amenées par la CDEC, même si elles ne font pas l'objet de consultations techniques

Nous aborderons dans les sections suivantes les principaux commentaires que souhaitent faire collectivement les membres de la CDEC.

1. Ne pas limiter les bénéfices de la prolongation de la durée du droit d'auteur

Dans son document de recommandations, la CDEC avait demandé la mise en œuvre immédiate et automatique de la prolongation de la durée du droit d'auteur. Nous sommes donc satisfaits de constater l'absence, dans le document de consultation, de proposition pour que la prolongation soit conditionnelle à l'enregistrement des œuvres.

Par contre, nous constatons que de nouvelles propositions ont été formulées pour envisager l'adoption d'autres restrictions, ou même de nouvelles exceptions. Cela pourrait limiter les bénéfices de cette prolongation pour les ayants droit. Rappelons qu'une analyse d'impact menée par la Commission européenne a conclu qu'une prolongation des droits aurait un impact positif sur la diversité culturelle en  augmentant les ressources disponibles pour appuyer le développement de nouveaux talents, sans entraîner nécessairement une augmentation des prixNote de bas de page 2.

De plus, Access Copyright indique, dans le mémoire que l'organisation a préparé pour cette consultation, que le mécanisme actuel pour les œuvres orphelines, en ce qui concerne les œuvres textuelles et visuelles, n'a été utilisé que d'une à trois fois par année et que la prolongation de la durée du droit ne devrait pas avoir un impact majeur sur les demandes d'accès à ces œuvres. Le rapport annuel 2019-2020 de la Commission du droit d'auteur fait état d'un total de 21 demandes pour l'ensemble des œuvres pour l'exercice financier, ce qui a donné lieu à l'émission de huit licencesNote de bas de page 3. Compte tenu du nombre de demandes, et même s'il peut être difficile d'apprécier l'ampleur des besoins, il n'y a pas d'urgence à se pencher sur la question.

Recommandation 1

Mettre en œuvre immédiatement et automatiquement la prolongation de la durée du droit d'auteur.

2. Les consultations techniques devraient être réellement techniques

Rappelons d'abord que la révision de la Loi sur le droit d'auteur a démarré en 2018. Quelques centaines de témoins et de mémoires ont nourri les rapports de deux comités parlementaires. Non seulement la question des œuvres orphelines n'a fait l'objet d'aucune recommandation dans le cadre des dernières consultations, mais cette question a été soulevée de façon marginale par une poignée d'intervenants. Quant à l'enjeu des œuvres inaccessibles sur le marché, nous n'en avons trouvé aucune trace.

Le cadre de la présente consultation ne permet pas, et ne devrait pas permettre, d'aborder des questions politiques qui n'ont pas été dûment examinées dans le cadre des processus habituels de consultation et de recherche. S'il fallait en discuter, il faudrait leur accorder beaucoup plus de temps et le faire dans le cadre des travaux parlementaires.

3. Les enjeux liés à l'accès aux œuvres orphelines et aux œuvres inaccessibles sur le marché pourraient être examinés dans une réforme ultérieure

Le document de consultation indique que l'une des avenues envisagées est de prolonger la durée du droit sans mesures d'accompagnement :

« Le fait de procéder ainsi à la prolongation de la durée du droit d'auteur n'écarterait pas la possibilité de réformes ultérieures visant à répondre aux préoccupations de certains intervenants quant à l'accès aux œuvres orphelines et aux œuvres inaccessibles sur le marché. »

Nous soutenons cette approche et nous sommes d'accord pour qu'une étude approfondie sur des régimes possibles concernant les œuvres orphelines et les œuvres inaccessibles sur le marché soit lancée éventuellement. Mais nous insistons pour que cette étude ait lieu après une révision plus urgente de la Loi sur les enjeux prioritaires identifiés dans les rapports des comités parlementaires.

Recommandation 2

Remettre l'étude des réformes sur l'accès aux œuvres orphelines et aux œuvres inaccessibles sur le marché à une prochaine révision de la Loi sur le droit d'auteur.

4. La révision de la Loi sur le droit d'auteur doit inclure d'autres enjeux que ceux qui seront abordés dans le cadre des consultations techniques

La CDEC a formulé 13 recommandations pour améliorer la Loi sur le droit d'auteur, nous les reproduisons en annexe. Nous évaluons l'impact de nos recommandations visant à modifier la Loi, à un minimum de 136 millions de dollars en revenus autonomes, payés par les entreprises pour l'utilisation des contenus, qui pourraient être réinvestis chaque année dans les écosystèmes culturels et dans l'économie canadienne. Et cela n'inclut même pas la mise en place de certaines mesures comme la prolongation de la durée du droit d'auteur dont les bénéfices sont certains, mais qui n'ont pu être évalués.

Outre la prolongation de la durée du droit d'auteur, certaines de nos recommandations avaient aussi été retenues par les comités INDU et CHPC, par exemple, l'abolition de l'exemption de redevance d'exécution publique pour les interprètes et les producteurs pour les radios commerciales ou l'établissement de sanctions dissuasives en cas d'utilisation inadéquate. Nous ne voyons aucune raison de ne pas aller de l'avant avec ces changements consensuels.

D'autres recommandations nous semblent essentielles: la modification des dispositions relatives à l'utilisation équitable à des fins éducatives, la confirmation du caractère obligatoire des tarifs décrétés par la Commission du droit d'auteur, l'uniformisation des recours des sociétés de gestion collective en termes de dommages statutaires ainsi que la responsabilisation des services réseaux et l'amélioration de la loi pour contrer le piratage.

De plus, la CDEC a formulé de nombreuses recommandations afin que le système renoue avec sa mission et que le Canada rattrape le retard qu'il a accumulé à l'égard d'un certain nombre de droits qui ne sont toujours pas reconnus ou de mécanismes mis en place de façon partielle. Ainsi, la CDEC propose de bonifier le régime de copie privée, de modifier la définition d'enregistrement sonore, de reconnaître le droit des artistes interprètes sur les supports audiovisuels, d'établir le droit de suite pour la revente d'œuvres artistiques et d'introduire le droit voisin pour les éditeurs de presse.

Enfin, lors des consultations de 2018, plusieurs intervenants ont demandé à ce que le gouvernement entreprenne des consultations pour « explorer les façons de protéger les œuvres d'art et les expressions culturelles traditionnelles contre l'appropriation illicite et la violation du droit d'auteur et à inclure les notions autochtones liées à la propriété dans la Loi »Note de bas de page 4.

Nous comprenons que certaines des questions qui nous sont chères seront soulevées lors des prochaines consultations. Cependant nous insistons pour que la prochaine réforme inclue aussi les autres recommandations de la CDEC, même si elles ne font pas l'objet de consultations techniques.

L'ajout de plus d'une trentaine d'exceptions au cours des dernières années, dont certaines sont en contravention avec le droit international, a complètement déséquilibré les écosystèmes culturels. Comme le notait la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC), les exceptions occupent maintenant 40% du texte de la Loi, une image frappanteNote de bas de page 5. Il serait absolument déplorable que la prochaine révision aggrave encore la situation.

Recommandation 3

Inclure dans la prochaine réforme les autres recommandations soumises par la CDEC, même si elles ne font pas l'objet de consultations techniques.

5. Il y a urgence d'agir

Le droit d'auteur a été beaucoup trop malmené lors de la révision de 2012 et, même avant la pandémie, on déplorait son incapacité à rémunérer équitablement les artistes et créateurs pour l'utilisation de leur travail, et à assurer à long terme une diversité des expressions culturelles. Le secteur culturel était déjà très affecté par l'offre croissante de contenu en ligne, il est désormais en train de s'effondrer. On apprenait récemment qu'une personne sur quatre œuvrant dans le secteur a perdu son emploi en 2020Note de bas de page 6.

À l'heure où les finances publiques sont déjà sous pression, la révision de la Loi sur le droit d'auteur se présente comme une solution de marché juste et pertinente pour contribuer à la création d'expressions culturelles riches, innovantes et diversifiées.

C'est sans doute la raison pour laquelle le Comité permanent des finances (FINA) recommandait au gouvernement, dans son rapport de février dernier, qu'il « complète l'examen de la Loi sur le droit d'auteur au courant de l'année en apportant les modifications nécessaires à la Loi pour assurer aux ayants droit une juste rétribution pour l'usage de leurs œuvres. »Note de bas de page 7

Nous ne pouvons qu'appuyer cette recommandation.

Recommandations de la CDEC pour la révision de la Loi sur le droit d'auteur

Résumé

La CDEC recommande que la Loi sur le droit d'auteur soit revue dans les meilleurs délais afin de contribuer à rétablir un équilibre pour les écosystèmes culturels. La COVID a mis de l'avant la situation fragile des industries culturelles et la précarité des artistes, créateurs et travailleurs du secteur. Le secteur culturel a été bouleversé par l'accès croissant aux expressions culturelles par l'Internet au cours des années 2010 puis par la révision de la Loi sur le droit d'auteur en 2012, qui a ajouté plusieurs exceptions qui ne respectent pas les obligations internationales du Canada.

La pandémie a accéléré le virage numérique. Le marché, qui était déjà précaire, est désormais en train de s'effondrer. Au-delà des emplois et de la contribution de la culture à notre économie, c'est la vivacité du secteur et la diversité des expressions culturelles qui est en jeu. Pendant ce temps, des entreprises donnant accès à des expressions culturelles en ligne ont engrangé des profits inédits. Elles ont les moyens de mieux rémunérer les ayants droit pour la valeur qu'elles tirent des contenus protégés pas le droit d'auteur.

Nous évaluons l'impact de nos recommandations visant à modifier la Loi, à un minimum de 136 millions de dollars en revenus autonomes, payés par les entreprises pour l'utilisation des contenus, qui pourraient être réinvestis chaque année dans les écosystèmes culturels et dans l'économie canadienne. À l'heure où les finances publiques sont déjà sous pression, cette révision se présente comme une solution de marché juste et pertinente pour contribuer à la création d'expressions culturelles riches, innovantes et diversifiées.

Présentation de la CDEC

La Coalition pour la diversité des expressions culturelles (CDEC) regroupe les principales organisations professionnelles francophones et anglophones du secteur culturel au Canada. Elle est composée d'une quarantaine d'organisations qui représentent collectivement les intérêts de plus de 200 000 professionnels et de 2 000 entreprises des secteurs de la littérature, du cinéma, de la télévision, des nouveaux médias, de la musique, des arts du spectacle et des arts visuels. La CDEC intervient principalement pour s'assurer que les biens et services culturels sont exclus des négociations commerciales et que la diversité des expressions culturelles est présente dans l'environnement numérique.

Table des matières

Liste des recommandations

Les organisations qui profitent de la culture doivent remettre une plus grande part de la valeur générée par les contenus protégés par le droit d'auteur

Recommandation 1 : distinguer les services réseau et établir de nouvelles responsabilités selon le type de service qu'ils offrent, en incluant notamment:

  • L'obligation, pour tout service offrant l'accès à des contenus protégés par le droit d'auteur au Canada, même si ces contenus sont partagés par des utilisateurs, de négocier des licences équitables avec des sociétés de gestion collective pour tous les types de contenus présents sur les plateformes;
  • Modifier les règles de havre sûr (safe harbor) pour amener les services réseaux à jouer un rôle proactif dans la protection des droits d'auteurs. Par exemple, les services qui savent que les moyens qu'ils mettent à la disposition des utilisateurs sont utilisés pour perpétrer des violations devraient mettre en place des mesures qui mettent fin aux abus.

Recommandation 2 :

  • Mettre en place un régime d'avis et retrait, en plus du régime de notification et d'avis ;
  • Permettre l'obtention d'une injonction pour forcer les fournisseurs de services (moteur de recherche, services de télécommunications, etc.) à bloquer l'accès à un site de piratage ou à le désindexer.

Recommandation 3 : abolir l'exemption de redevance d'exécution publique pour les interprètes et les producteurs pour les radios commerciales

Rétablir l'équilibre pour que la loi canadienne permette aux créateurs et ayants droit de récupérer les redevances sur leurs œuvres

Recommandation 4 : procéder à la mise en œuvre immédiate, sans exception ni condition, de la prolongation de la durée du droit d'auteur de 50 à 70 ans après la mort de l'auteur.

Recommandation 5 : Modifier les dispositions relatives à l'utilisation équitable à des fins éducatives afin qu'elles ne s'appliquent seulement si l'œuvre n'est pas disponible commercialement sous licence par le détenteur de droit ou une société de gestion.

Recommandation 6 : améliorer le régime de copie privée en

  • Clarifiant la LDA pour que le régime de copie privée soit réellement neutre d'un point de vue technologique ;
  • Permettant le versement de redevances pour les ayants droit des secteurs de l'audiovisuel, de la littérature et des arts visuels ;
  • Éliminant les exceptions introduites en 2012 aux articles 29.22 et 29.23 pour la reproduction à des fins privées et l'écoute et le visionnement en différé.

Recommandation 7 : modifier la définition d'enregistrement sonore pour inclure les enregistrements sonores qui accompagnent les œuvres audiovisuelles.

Recommandation 8 : Que le Canada ratifie le traité de Beijing et octroie des droits aux artistes interprètes sur les supports audiovisuels dans la LDA.

Recommandation 9 : Que le droit de suite soit intégré à la LDA.

Recommandation 10 : Introduire un droit voisin pour les éditeurs de presse.

Renforcer le système de gestion collective

Recommandation 11 : modifier la LDA pour confirmer le caractère obligatoire des tarifs décrétés par la Commission du droit d'auteur.

Recommandation 12 : s'assurer que les ayants droit des divers secteurs disposent des mêmes outils en faisant en sorte que toutes les sociétés de gestion collective puissent réclamer des dommages statutaires de trois à dix fois supérieurs à la valeur du tarif qui n'a pas été payé.

Recommandation 13 :

  • Relever les limites supérieures et inférieures des dommages-intérêts statutaires en cas de violation commise à des fins non commerciales ;
  • Permettre l'établissement de dommages-intérêts supérieurs en cas d'utilisation systématique et massive.

Tenir compte des besoins et réalités des artistes, créateurs et organisations autochtones

Introduction

L'accès croissant aux expressions culturelles par l'Internet au cours des années 2010 a bouleversé les écosystèmes culturels notamment en redistribuant une part croissante de la valeur qui revenait aux créateurs, artistes, professionnels et entreprises culturelles à des entreprises technologiques, des services de télécommunications et des médias étrangers offrant une programmation en ligne.

Les lois canadiennes ou notre façon de les appliquer n'ont pas su rééquilibrer la situation. Pire, la révision de la Loi sur le droit d'auteur (LDA) en 2012 a privé les écosystèmes culturels de revenus précieux, notamment en ajoutant plusieurs exceptions qui ne respectent pas les obligations internationales du Canada. L'Association littéraire et artistique internationale a émis un vœu à l'intention du gouvernement canadien où elle invitait ce dernier à revoir à la baisse le nombre d'exceptions gratuites que la loi canadienne contientNote de bas de page 8.

De nombreux artistes, créateurs et organisations ont misé sur les activités en présence au cours des dernières années pour tenter de combler l'écart de valeur grandissant. Avec la COVID, il a fallu accroître l'accès aux contenus et aux performances dans l'environnement numérique. Défi impossible pour certains, relevé pour d'autres, mais à quel prix? S'il y a eu des percées intéressantes, il y a surtout eu une demande énorme pour des prestations ou des accès gratuits ou peu rémunérés aux œuvres. Le 28 avril 2020, le directeur de l'OMPI, monsieur Francis Gurry, lançait cet avertissement : « Avec la pandémie, la gratuité des produits culturels – livres, films ou concerts – s'est répandue. Mais cette entorse à la propriété intellectuelle n'est pas sans danger pour un secteur déjà fragile. »Note de bas de page 9 En France, le ministère de la Culture évalue que la COVID engendrera une baisse moyenne du chiffre d'affaires de 25% en 2020 pour le secteur culturelNote de bas de page 10.

Pendant ce temps, des entreprises donnant accès à des expressions culturellesNote de bas de page 11 en ligne ont engrangé des profits inédits (voir annexe A). Par exemple, le chiffre d'affaires de Netflix a bondi de 27% au premier trimestre 2020 et de 25% au deuxième, par rapport aux mêmes périodes en 2019, pour un bénéfice net de plus de 1,4 milliards de dollars en six mois. Du côté d'Amazon, son chiffre d'affaires au deuxième trimestre a atteint 88,9 milliards de dollars, une augmentation de 40% par rapport à l'an dernier, pour un bénéfice net de 5,2 milliards en trois moisNote de bas de page 12. Évidemment, tous les revenus d'entreprises comme Amazon ne sont pas liés à l'offre culturelle. Toutefois, elles ont les moyens de mieux rémunérer les ayants droit pour la valeur qu'elles tirent des contenus protégés pas le droit d'auteur, comme nous le proposerons dans les pages suivantes.

La COVID a révélé la contribution essentielle de la culture dans la vie des gens, dans leur bien-être et leur santé mentale. Malgré une contribution non négligeable à l'économie, représentant près de 3% du PIB canadienNote de bas de page 13, la COVID a aussi mis de l'avant l'équilibre fragile des industries culturelles et la précarité des artistes, créateurs et travailleurs du secteur.

La réponse du gouvernement canadien a permis, jusqu'ici, aux personnes comme à de nombreuses organisations de faire face à la baisse des revenus causée par la pandémie leur permettant de maintenir leurs opérations courantes, de développer des projets créateurs et de conserver le talent au cœur de leur entreprise . Mais l'avenir est incertain et la pandémie a accéléré le virage numérique. Le marché était déjà précarisé par le numérique, il est désormais en train de s'effondrer. Au-delà des emplois et de la contribution de la culture à notre économie, qui constitue en soi un apport important, c'est la vivacité du secteur et la diversité des expressions culturelles qui est en jeu. Le droit d'auteur est le principal pilier de redistribution de la richesse pour le secteur culturel, et les activités culturelles génèrent toujours des emplois et des revenus substantiels. Nous évaluons l'impact de nos recommandations visant à modifier la Loi, à un minimum de 136 millions de dollars en revenus autonomes, payés par les entreprises pour l'utilisation des contenus, qui pourraient être réinvestis chaque année dans les écosystèmes culturels et dans l'économie canadienne. À l'heure où les finances publiques sont déjà sous pression, la révision de la LDA se présente comme une solution de marché juste et pertinente pour contribuer à la création d'expressions culturelles riches, innovantes et diversifiées.

1. Les organisations qui profitent de la culture doivent remettre une plus grande part de la valeur générée par les contenus protégés par le droit d'auteur

Comme le rappelait Me Ysolde Gendreau lors de sa comparution devant le comité INDU en 2018Note de bas de page 14, les entreprises qui bénéficient des expressions culturelles ont toujours résisté au paiement des redevances de droit d'auteur. Mais la plupart le font depuis plus de 100 ans maintenant et de nouveaux équilibres se sont échafaudés à chaque fois que le progrès l'a exigé.

Nous sommes à nouveau conviés à rechercher cet équilibre si délicat suite au développement de nouvelles technologies au cours des deux dernières décennies. En effet, les ayants droit ont été témoins de deux tendances lourdes ces dernières années : d'une part, une réticence énorme des pouvoirs publics à réglementer les nouveaux joueurs pour favoriser l'innovation et, d'autre part, un mouvement législatif et jurisprudentiel qui favorise l'utilisateur au détriment du créateur.

La réalité d'aujourd'hui, exacerbée par la pandémie, demeure que les joueurs numériques profitent pleinement des diverses exceptions à la Loi qui abaissent, bien en deçà de ce qui est raisonnable, la valeur des droits des créateurs.

Il s'agira donc surtout dans cette section de recommander une participation de la part des organisations qui profitent de la diffusion en ligne des expressions culturelles paient leur juste part dans la rémunération équitable des ayants droit.

1.1 Responsabiliser les services réseau

En 2012, une exception a été introduite à l'article 31.1 pour les services réseau. Cette exception couvre une variété de services : fournisseurs d'accès Internet, services de mobilité, sites de partage de contenu comme YouTube, moteurs de recherche, hébergement, stockage de données, réseaux sociaux, etc.

Ainsi, parce qu'ils ne sont pas responsables des contenus qui transitent par leurs services, ces fournisseurs ne sont pas tenus de rémunérer les ayants droit des œuvres qui y circulent, ni d'assumer des responsabilités lorsque des violations aux droits d'auteur surviennent.

Pourtant, même s'il se peut que ces services, lorsqu'ils agissent en pur intermédiaire, ne partagent pas directement des contenus protégés par le droit d'auteur, il n'en demeure pas moins qu'ils autorisent leurs usagers à le faire. Ce faisant, ces services profitent ainsi d'une affluence d'utilisateurs et d'un grand volume de données, en plus de faciliter l'échange et la dissémination de nos expressions culturelles en toute impunité. Ils soutirent ainsi une immense valeur de l'accès à la culture, que ce soit par des abonnements, la vente de publicité ou l'exploitation des données personnelles des utilisateurs, sans y contribuer en retour. Certains de ces services occupent une position désormais centrale dans l'accès et la distribution des œuvres.

Et l'argument de la passivité (dumb pipe) ne tient plus dès lors que ces services développent des algorithmes pour recommander des contenus aux utilisateurs en fonction d'intérêts corporatifsNote de bas de page 15.

Une catégorie aussi large que « services réseau » ne devrait pas avoir sa place dans la Loi. Les fournisseurs de services étant très différents, les obligations devraient être adaptées selon le type de service qu'ils fournissent.

Ainsi, YouTube est, depuis quelques années, la plateforme la plus utilisée par les utilisateurs au Canada pour accéder à de la musiqueNote de bas de page 16. Cette entreprise bénéficie de l'exception et pourrait prétendre qu'elle n'a aucune obligation de négocier avec les détenteurs de droits pour obtenir une licence. Certes, YouTube a tout de même décidé de verser une partie de ses revenus tout en soulignant maintes et maintes fois qu'elle demeure néanmoins sujette aux exceptions prévues à la Loi. Dans ce contexte, il est difficile pour les ayants droit d'obtenir une rétribution à juste valeur de leur apport.

Simultanément, ces services sont peu contraints de faire rapport sur leurs activités ou sur les contenus culturels qui transigent chaque heure sur leur réseau. Le système actuel ne prévoit pas de mécanisme précis de reddition de compte permettant aux ayants droit de s'assurer de redevances suffisantes, ni de connaître avec précision et exhaustivité les contenus culturels qui y circulent.

Quant à eux, les fournisseurs de services de télécommunication devraient être tenus responsables des activités de contrefaçon, notamment pour les inciter à participer à des initiatives qui endiguent la piraterie avec d'autres intervenants. Actuellement, les recours possibles sont limités, font reposer le fardeau de la preuve sur les ayants droit et imposent le déclenchement de procédures contre des utilisateurs individuels. À  ce  sujet,  lors  de  sa  comparution  devant  le  comité  INDU  en 2018, Me Ysolde Gendreau expliquait que : « Confrontée à des utilisations massives des œuvres, la  gestion  collective a  démarré au XIXe siècle précisément parce que le fait d'avoir gain de cause contre un utilisateur unique était perçu comme un coup d'épée dans l'eau ».Note de bas de page 17

Enfin, le CHPC recommandait la mise en place de tarifs pour les services en ligne règlementés par la Commission du droit d'auteur en vue d'une rémunération équitable ainsi que l'examen des exceptions et lois pour s'assurer que les fournisseurs de services soient responsables quant à l'utilisation du contenu protégéNote de bas de page 18.

Recommandation 1 : distinguer les services réseau et établir de nouvelles responsabilités selon le type de service qu'ils offrent, en incluant notamment:

  • L'obligation, pour tout service offrant l'accès à des contenus protégés par le droit d'auteur au Canada, même si ces contenus sont partagés par des utilisateurs, de négocier des licences équitables avec des sociétés de gestion collective pour tous les types de contenus présents sur les plateformes;
  • Modifier les règles de havre sûr (safe harbor) pour amener les services réseaux à jouer un rôle proactif dans la protection des droits d'auteurs. Par exemple, les services qui savent que les moyens qu'ils mettent à la disposition des utilisateurs sont utilisés pour perpétrer des violations devraient mettre en place des mesures qui mettent fin aux abus.

1.2 Améliorer la Loi pour contrer le piratage

Au Canada, un ayant droit peut signaler à un fournisseur de service réseau ou de stockage une violation de droit d'auteur. Le fournisseur doit par la suite faire suivre cet avis à la personne responsable et conserver son nom dans un registre. C'est le système appelé « avis et avis ». Les ayants droit devront ainsi générer des avis individuellement, ou éventuellement des poursuites, qui pourront s'accumuler à l'encontre du même utilisateur alors que celui-ci pourra continuer à violer le droit d'auteur. Dans plusieurs autres pays, les fournisseurs de services qui reçoivent un avis doivent s'assurer du retrait du contenu protégé par le droit d'auteur. Il s'agit du système « avis et retrait ».

La Loi actuelle n'est pas efficace pour lutter contre le piratage. Dans une étude dont les données ont été recueillies en 2017, un peu plus du quart de toutes les personnes qui ont accédé à du contenu en ligne ont accédé à au moins un contenu en contravention avec les lois canadiennesNote de bas de page 19. L'étude estime aussi que le volume d'utilisations de contenus illégaux par année au Canada s'élève à 124 millions de pistes musicales, 48 millions de films, 64 millions d'émissions de télévision et 4 millions de livres électroniquesNote de bas de page 20.

Ceci dit, le système d'avis et retrait n'est pas toujours efficace contre toutes les stratégies de piratage. En effet, pour certaines formes de piratage, la Fédération canadienne des musiciens estime que, tout en se dotant d'un système « avis et retrait », il serait important de maintenir aussi le système « avis et avis » parce que le blocage de sites ou le système « avis et retrait » ne peut rien contre des applications de poste-à-posteNote de bas de page 21. De même, le système d'avis et retrait ne serait guère plus efficace en lien avec certaines stratégies de piratage qui utilisent de manière croissante l'extraction de flux, les réseaux privés virtuels et les boîtes numériques. Les mécanismes de lutte contre le piratage devraient s'adapter à toutes ces nouvelles pratiques. Il est tout de même intéressant de souligner que l'étude commandée par ISDE démontre aussi que la grande majorité des personnes ayant reçu un avis au Canada ont entrepris des actions en conséquenceNote de bas de page 22.

Recommandation 2 :

  • Mettre en place un régime d'avis et retrait, en plus du régime de notification et d'avis ;
  • Permettre l'obtention d'une injonction pour forcer les fournisseurs de services (moteur de recherche, services de télécommunications, etc.) à bloquer l'accès à un site de piratage ou à le désindexer.

1.3 Abolir l'exemption de redevance pour les radios commerciales

En 1997, une exemption de redevance d'exécution publique pour les artistes interprètes et les producteurs d'enregistrements sonores - limitant à 100$ les redevances payables sur le premier 1,25 millions de recettes publicitaires annuelles - a été introduite pour les stations de radio. Cette exception devait être temporaire, parce que le secteur de la radio traversait alors une période difficile.

On n'en est plus là. Comme le rappelait la Coalition pour une politique musicale canadienne, « l'industrie de la radio commerciale a profondément changé et elle est désormais dominée par quelques grandes — et extrêmement rentables — entreprises qui ont affiché des profits totaux en hausse de 8300 % comparativement à ceux de 1995 »Note de bas de page 23.

Outre le fait qu'elle opère une discrimination entre les différents ayants droit musicaux (l'exemption visant uniquement les artistes interprètes et les producteurs d'enregistrement sonore sans viser les auteurs), cette exemption n'a plus de raison d'être.

En 2011, CIMA évaluait que le retrait de cette exemption permettrait de retourner de 7 à 8 millions de dollars annuellement dans l'écosystème musical au CanadaNote de bas de page 24.

Rappelons enfin que les comités permanents du patrimoine canadien (CHPC) et de l'industrie, des sciences et de la technologie (INDU) avaient tous deux appuyé cette recommandation en 2019.

Recommandation 3 : abolir l'exemption de redevance d'exécution publique pour les interprètes et les producteurs pour les radios commerciales

2. Rétablir l'équilibre pour que la loi canadienne permette aux créateurs et ayants droit de récupérer les redevances sur leurs œuvres

Nous verrons dans cette section que le droit d'auteur a été beaucoup trop malmené lors de la révision de 2012 et nous constaterons que le droit d'auteur ne permet plus de rémunérer équitablement plusieurs artistes et créateurs pour l'utilisation de leur travail, ni d'assurer à long terme une diversité des expressions culturelles.

L'ajout de plus d'une trentaine d'exceptions en autant d'années, dont certaines sont en contravention avec le droit international, a complètement déséquilibré les écosystèmes culturels. Comme le notait la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC), les exceptions occupent maintenant 40% du texte de la Loi, une image frappanteNote de bas de page 25.

Afin que le système renoue avec sa mission et l'accomplisse adéquatement en 2020, nous proposons aussi que le Canada rattrape le retard qu'il a accumulé face à un certain nombre de droits qui ne sont toujours pas reconnus.

2.1 Prolonger la durée de droit d'auteur

Plusieurs raisons avaient déjà convaincu le CHPC et INDU (bien que dans une moindre mesure), de faire passer la protection du droit d'auteur de 50 à 70 ans après la mort de l'auteur. Le Canada s'est engagé à procéder à ce prolongement dans l'Accord entre le Canada, les États-Unis et le Mexique (ACEUM).

Nous insistons aujourd'hui sur la mise en œuvre immédiate et automatique de cet engagement. Alors que les critiques du prolongement de la durée du droit d'auteur n'ont aucune preuve pour étayer des arguments ou appuyer leurs demandes (enregistrement obligatoire, paiement de frais, etc.), une analyse d'impact menée par la Commission européenne conclut qu'une prolongation des droits n'entraînerait pas nécessairement une augmentation des prix, mais aurait un impact positif sur la diversité culturelle en accroissant les ressources disponibles pour appuyer le développement de nouveaux talentsNote de bas de page 26

Recommandation 4 : procéder à la mise en œuvre immédiate, sans exception ni condition, de la prolongation de la durée du droit d'auteur de 50 à 70 ans après la mort de l'auteur.

2.2 Mettre fin aux pratiques illégales concernant l'utilisation équitable à des fins éducatives et circonscrire l'exception

Dans les semaines qui ont suivi l'introduction, en 2012, de l' « éducation » en tant que nouvelle finalité admissible au titre de l'utilisation équitable , plusieurs institutions d'enseignement à l'extérieur du Québec ont défini seules, puis adopté de politiques pour la copie des œuvres qui encouragent la copie gratuite généralisée et systématique des œuvres publiéesNote de bas de page 27. Depuis, les causes se multiplient pour les sociétés de gestion collective, surtout dans le domaine de l'édition de livres. Des frais judiciaires sont donc engloutis dans la défense des droits des auteurs et des éditeurs. À titre d'exemple, la Cour fédérale, tout comme la Cour d'appel fédérale, ont reconnu que la politique développée par l'Université York (qui est pratiquement identique aux politiques adoptées par de nombreux autres établissements d'enseignement) ne correspond pas à une utilisation équitableNote de bas de page 28. Ces jugements n'ont entraîné aucun changement de la part des utilisateurs et l'affaire pourrait encore traîner si elle devait être entendue par la Cour Suprême.

Plusieurs des membres de la CDEC ont démontré que les pertes liées à cette exception ont entraîné des pertes de revenus annuels provenant des licences estimées à 30 millions $ pour les créateurs et les éditeursNote de bas de page 29. Pour Me Erika Bergeron-Drolet, « Les amendements de 2012 au régime des exceptions de la Loi sur le droit d'auteur sont significatifs, non seulement en regard de leur nombre, mais en ce qu'ils ignorent les mécanismes de gestion collective et le paiement de redevances comme outils pour contrebalancer les droits accrus accordés aux utilisateurs. »Note de bas de page 30

À l'extérieur du Québec, depuis la révision de 2012, la plupart des institutions publiques d'enseignement du primaire et du secondaire, ainsi que les institutions d'enseignement supérieur, ont cessé de payer leur licence pour la reproduction d'œuvres publiéesNote de bas de page 31.

Ainsi, les redevances en provenance du secteur de l'éducation à l'extérieur du Québec ont diminué de 89% entre 2012 et 2017, entraînant une diminution de près de 80% de redevance aux ayants droitNote de bas de page 32.

Au Québec, si la majorité des institutions ont continué à opérer selon les termes de leur licence, l'introduction des exceptions de 2012 a entraîné une baisse d'environ 23% des redevances aux ayants droit entre 2012 et 2017Note de bas de page 33, les universités ne versant qu'environ la moitié de ce qu'elle payait auparavant par étudiant et les ayants-droit ne reçoivent que des compensations négligeables pour la copie de leur travail par les institutions d'enseignement à l'extérieur du Québec.

Le salaire annuel moyen des écrivains au Canada en 2017 n'était que de 9384$ annuellement, une diminution de 27% par rapport à 2014 et de 78% par rapport à 1998Note de bas de page 34. Si d'autres facteurs peuvent contribuer à expliquer une partie de cette diminution, il est évident que les changements de 2012 ont eu un impact très négatif. Les redevances en droit d'auteur constituent une part non négligeable des revenus des créateurs pour leurs œuvres littéraires (20%), alors qu'elles fournissent 16% des revenus des éditeursNote de bas de page 35. L'impact économique de cette exception est certes difficile à quantifier, mais il ne fait aucun doute que les sommes en moins ont un impact important sur la viabilité d'une petite maison d'édition.

Et il y a plus. Les pratiques de copie mises en place dans le secteur de l'éducation en 2012 ont accéléré la diminution de ventes de livres destinés au secteur de l'éducation, les copies sans redevances se substituant aux ouvragesNote de bas de page 36. En conséquence, on a constaté une baisse de 41% (47% en tenant compte de l'inflation) des ventes de livre aux institutions d'enseignement entre 2010 et 2016Note de bas de page 37. Trois grands éditeurs se sont totalement retirés de la production de contenu canadien à destination de l'enseignement primaire et secondaire. Comme le souligne l'Association of Canadian Publishers, « les éditeurs ne peuvent plus continuer à produire gratuitement du matériel éducatif »Note de bas de page 38.

Cette exception a un impact à la fois sur la production de savoirs, la diversité des points de vue, la qualité de l'éducation, mais aussi des impacts pour l'ensemble de l'économie canadienne, avec des pertes de milliers d'emplois (3800 entre 2012 et 2016 pour l'industrie du livre au Canada)Note de bas de page 39.

Cela a également favorisé une plus grande judiciarisation des enjeux liés au droit d'auteur, alors qu'on laisse aux tribunaux plutôt qu'aux élus le soin d'adapter le droit d'auteur aux réalités contemporaines. Cette judiciarisation du droit affaiblie les sociétés de gestions de droit d'auteur, consolide et encourage les pratiques contrevenantes, et fini par générer un déséquilibre flagrant entre les utilisateurs et les auteurs.

La banalisation du droit d'auteur dans des institutions d'enseignement où l'on ne tolère pas le plagiat et où l'on prétend valoriser les savoirs est d'autant plus troublante. On ne s'imagine pas les universités installant illégalement des logiciels sous licences et se rendant en cour pour éviter de les payer, ou demandant aux entrepreneurs de construction de bâtir gratuitement leurs développements immobiliers.

Le Canada s'est attiré les critiques de la communauté internationaleNote de bas de page 40 en raison de cette exception. Comme le rappelait l'UNEQ, l'ancien directeur adjoint de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI), Mihály J. Ficsor, expliquait qu'avec cette exception, le Canada se trouve à violer quatre instruments internationaux auxquels il est lié : la Convention de Berne pour la protection des oeuvres littéraires et artistiques, l'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC), le Traité sur le droit d'auteur de l'OMPI ainsi que le Traité de l'OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammesNote de bas de page 41.

Afin de rétablir une rémunération équitable pour les créateurs, le Canada devrait adopter l'approche du Royaume-Uni, de l'Irlande et de la Nouvelle-Zélande et limiter l'utilisation équitable à des fins éducatives aux cas où une œuvre n'est pas disponible commercialement par le biais d'une licence, y compris une licence accordée par une société de gestion collective. Cela est également conforme à la recommandation 18 du rapport « Paradigmes changeants » du CHPCNote de bas de page 42.

Recommandation 5 : Modifier les dispositions relatives à l'utilisation équitable à des fins éducatives afin qu'elles ne s'appliquent seulement si l'œuvre n'est pas disponible commercialement sous licence par le détenteur de droit ou une société de gestion.

2.3 Bonifier le régime de copie privée

Le principe de la copie privée permet un compromis entre les droits des utilisateurs et le droit des créateurs à la rémunération. Cela permet aux utilisateurs de multiplier les opportunités d'accès aux expressi0ns culturelles et de laisser aller leur créativité en agençant les pistes à leur guise tout en s'assurant que les créateurs sont indemnisés pour les copies créées.

Il y a deux problèmes avec le régime de copie privée canadien : il n'est pas neutre d'un point de vue technologique et il ne s'applique qu'au secteur de la musique.

La logique voudrait en effet que le système soit neutre d'un point de vue technologique afin de s'adapter aux pratiques nouvelles, et en constante évolution, des utilisateurs. Or la redevance pour copie privée n'est plus prélevée aujourd'hui que sur les CD enregistrables, un produit qui ne se vend pratiquement plus. C'est pourquoi les redevances sont en déclin : d'un sommet de 38 millions$ en 2004, elles n'atteignaient plus que 1,1 millions$ en 2019Note de bas de page 43. Pendant ce temps, les redevances issues des divers régimes de copie privée à travers le monde ont augmenté de 6% entre 2007 et 2015Note de bas de page 44.

Des raisons techniques et des différences entre les versions françaises et anglaises de la LDA auraient empêché l'application d'une redevance dans le cas des lecteurs MP3Note de bas de page 45. Plutôt que de corriger le problème, de nouvelles exceptions ont été introduites en 2012 pour la reproduction à des fins privées (article 29.22) et pour l'écoute ou le visionnement en différé (29.23).

En se référant particulièrement à la première exception, selon la Société des auteurs et compositeurs dramatiques et la Société civile des auteurs multimédia (SACD et SCAM), « […] le Canada n'aurait pas respecté ses engagements internationaux puisque cette nouvelle exception ne rencontre pas les exigences du test en trois étapes de la Convention de Berne qui prévoit que les limitations ou restrictions aux droits exclusifs des auteurs doivent être assortis de conditions visant à circonscrire leur application à certains cas spéciaux où il n'est pas porté atteinte à l'exploitation normale de l'œuvre ni causé de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur »Note de bas de page 46.

Malgré la progression de l'écoute en continu, les utilisateurs utilisent toujours des copies privées au Canada. La Société canadienne de perception de la copie privée a réalisé un sondage en 2019 qui lui permet d'estimer que les téléphones et tablettes présentes au Canada contiennent 5,95 milliards de copies de chansons, dont la moitié n'était pas liées à une licence. Fait intéressant, la moitié de ces copies avait été faite au cours de la dernière annéeNote de bas de page 47.

Si le régime était technologiquement neutre, la redevance de copie privée pourrait être prélevée sur un large éventail de supports physiques et d'appareils (téléphones, clés USB, disques durs, ordinateurs, tablette, etc.), comme c'est le cas dans de nombreux pays à travers le monde, ou des services (espace infonuagique).

Dans la majorité des pays (80%) où un régime de copie privée est en place, il permet également de générer des redevances pour le secteur audiovisuel, alors que d'autres pays commencent aussi à remettre des redevances aux secteurs de la littérature et des arts visuelsNote de bas de page 48.

Il incomberait à la Commission sur le droit d'auteur de déterminer les redevances selon les supports et appareils. À titre indicatif, la redevance moyenne en Europe sur la vente d'un téléphone intelligent est de trois dollars canadiens (pour la copie privée de musique). Il est difficile d'évaluer les retombées financières de nos recommandations, mais elles devraient logiquement générer au minimum 40 millions de dollars en redevance annuellement.

Recommandation 6 : améliorer le régime de copie privée en

  • Clarifiant la LDA pour que le régime de copie privée soit réellement neutre d'un point de vue technologique ;
  • Permettant le versement de redevances pour les ayants droit des secteurs de l'audiovisuel, de la littérature et des arts visuels ;
  • Éliminant les exceptions introduites en 2012 aux articles 29.22 et 29.23 pour la reproduction à des fins privées et l'écoute et le visionnement en différé.

2.4 Modifier la définition d'enregistrement sonore

La définition d'enregistrement sonore dans la LDA exclut les enregistrements sonores qui accompagnent les œuvres cinématographiques, ce qui prive les artistes interprètes et producteurs d'enregistrements sonores de redevances de la rémunération équitable pour la communication au public des enregistrements qui a lieu lors de la diffusion des œuvres cinématographiques, et ce, contrairement aux auteurs et aux compositeurs qui récoltent des redevances équivalentes pour ces communications au public.

La Fédération canadienne des musiciens (CFM) nous rappelle que le Traité de l'OMPI sur les interprétations, exécutions et phonogrammes (WPPT) qui a été ratifié par le Canada le 13 mai 2014Note de bas de page 49 protège les phonogrammes ainsi que les interprétations et exécutions qui y sont incorporées même lorsqu'ils sont intégrés à des contenus audiovisuels après leur enregistrement et que les droits liés aux enregistrements sonores ne sont en aucune façon affectés par leur incorporation dans des supports audiovisuelsNote de bas de page 50.

Artisti évalue qu'une modification de cette définition aurait permis de retourner 58 millions de dollars en 2015 aux artistes interprètes et producteurs d'enregistrements sonoresNote de bas de page 51. Enfin, mentionnons que le CHPC avait recommandé de modifier la définition dans son rapport de 2019.

Recommandation 7 : modifier la définition d'enregistrement sonore pour inclure les enregistrements sonores qui accompagnent les œuvres audiovisuelles.

2.5 Reconnaître le droit des artistes interprètes sur les supports audiovisuels

Le traité de Beijing sur les interprétations et exécutions audiovisuelles est entré en vigueur le 28 avril 2020. Il a été ratifié par 33 États et signé par 58 autres. Il reconnaît « aux artistes-interprètes de nouveaux droits patrimoniaux et moraux sur leurs interprétations ou exécutions fixées sur des supports audiovisuels »Note de bas de page 52.

Rappelons qu'à l'heure actuelle les artistes interprètes qui participent à des enregistrements sonores disposent de droits patrimoniaux et moraux alors que les artistes interprètes dont les prestations sont incorporées à des œuvres cinématographiques n'en ont pas d'équivalents. Cela mène parfois à des situations aberrantes comme dans le cas des vidéos musicales où un artiste se trouvera à bénéficier de la protection du droit d'auteur sur sa prestation incorporée à l'enregistrement sonore mais ne pourra en bénéficier sur la captation vidéo de cette même prestation. De plus cela créé une discrimination entre les artistes interprètes, selon qu'ils sont filmés ou nonNote de bas de page 53.

Le traité de Beijing permettrait donc de conférer aux artistes-interprètes qui participent à des enregistrements audiovisuels, et ce peu importe la nature de leur performance (jeu, musique, danse), les mêmes droits que ceux dont disposent les artistes interprètes qui participent à des enregistrements sonores. Le CHPC avait appuyé cette recommandation en 2019.

La Fédération canadienne des musiciens fait valoir que l'octroi de ces nouveaux droits devrait aller de pair avec la modification de la définition d'un enregistrement sonore (point précédent) afin de s'assurer que toutes les contributions des musiciens à un contenu audiovisuel soient dotées de droits équivalentsNote de bas de page 54.

De son côté, l'Alliance of Canadian Cinema, Television and Radio Artists (ACTRA) explique que « la nécessité d'un cadre législatif bien conçu est de plus en plus importante au Canada et à l'étranger, où la distribution et la consommation numériques de contenu audiovisuel ont augmenté de façon spectaculaire, mais où les revenus moyens des artistes professionnels sont demeurés faibles » Note de bas de page 55. En effet, selon l'ACTRA, le revenu annuel moyen des artistes-interprètes n'atteignait pas 11 000$ en 2017.

Recommandation 8 : Que le Canada ratifie le traité de Beijing et octroie des droits aux artistes interprètes sur les supports audiovisuels dans la LDA.

2.6 Établir le droit de suite pour la revente d'œuvres artistiques

Actuellement, les artistes en art visuel disposent de deux sources principales de revenus: les fruits des ventes de leurs œuvres, ainsi que les redevances pour l'exposition et la reproduction de leurs œuvres.

Le droit de suite permet à l'artiste de récupérer une partie des fruits de la revente de ses œuvres à chaque fois qu'elles sont revendues publiquement, soit lors d'une vente aux enchères ou par une galerie commerciale. Si ce droit est en place dans 93 pays à travers le monde, il n'est toujours pas reconnu dans la LDANote de bas de page 56. En 2019, le CHPC recommandait l'ajout du droit de suite dans la LDA.

Il n'est pas rare que le travail des artistes s'apprécie avec les années, alors que leur réputation s'établit. L'établissement d'un droit de suite, que le Front des artistes canadiens (CARFAC) suggère de fixer à 5% permettrait aux artistes et à leurs successeurs de bénéficier de la reconnaissance croissante dont ils jouissent au cours de leur carrière.

CARFAC explique que « […] différentes études de l'Union européenne, de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et d'autres organismes ont montré que le [droit de suite] n'a aucun effet négatif sur le marché de l'art à l'étranger. Au contraire, il n'est pas rare que ce marché continue de croître »Note de bas de page 57. De plus, contrairement à ce que craignent d'autres intervenants, rien ne prouve que la mise en place du droit de suite entraînerait une délocalisation des ventes. Selon CARFAC, « les coûts associés à l'exportation d'une œuvre sont invariablement plus élevés que les redevances »Note de bas de page 58.

Enfin, en Australie, un pays que l'on peut considérer comme comparable au Canada, la mise en place du droit de suite a permis de remettre près d'un million $ par an à des artistes ou à leurs successeurs (dans la moitié des cas environ). La majorité des bénéficiaires sont des autochtonesNote de bas de page 59.

Recommandation 9 : Que le droit de suite soit intégré à la LDA.

2.7 Introduire le droit voisin pour les éditeurs de presse

Le secteur culturel est affecté et préoccupé par la crise qui secoue le secteur de l'information. Une grande partie des médias d'information produit des contenus culturels et tous produisent des informations sur la culture. D'un point du vue plus fondamental, la diversité des voix et la qualité de l'information, notamment de l'information locale, sont vitales pour la démocratie.

Une enquête du CEFRIO réalisée en 2018 a permis de mesurer que 79% des adultes utilisaient les réseaux sociaux pour suivre l'actualité ou les nouvellesNote de bas de page 60. Cela explique que les annonceurs choisissent dans une proportion beaucoup plus importante d'acheter de la publicité auprès de ces entreprises :

Il est estimé que Google et Facebook reçoivent près de 75 % des revenus de publicité en ligne au Canada. Par comparaison, les sites Web des stations de télévision traditionnelles et des journaux ne représentent que 8,5 % de toute la publicité sur Internet.Note de bas de page 61

C'est la raison pour laquelle l'Union européenne a intégré un droit voisin pour les éditeurs de presse dans la dernière révision de sa directive sur le droit d'auteur et les droits voisinsNote de bas de page 62. Il est en effet logique que les géants du Web et autres entreprises qui tirent profits des contenus d'information contribuent à leur financement. Ce nouveau droit permet aux éditeurs de presse d'obtenir une redevance des services en ligne quand leurs publications sont utilisées sur les services en ligne (réseaux sociaux, moteurs de recherche, agrégateurs de nouvelles, etc.).

Nous convenons que l'instauration d'un droit voisin représente des défis, et qu'il ne pourrait, à lui seul, offrir une solution complète aux médias pour la production d'information diversifiée et de qualité. Il fait plutôt partie d'un éventail de solutions nécessaires pour pouvoir continuer à financer la production de contenus d'information de qualité.

Recommandation 10 : Introduire un droit voisin pour les éditeurs de presse.

3. Renforcer le système de gestion collective

Me Ysolde Gendreau affirmait lors de sa parution devant le comité INDU que « la direction qu'a empruntée notre Loi sur le droit d'auteur en 2012 va à l'encontre de l'objet même qu'elle était censée exploiter. La réponse à l'utilisation de masse ne peut être que la gestion de masse — c'est-à-dire la gestion collective — d'une façon qui doit correspondre à l'ampleur du phénomène »Note de bas de page 63.

La gestion collective est un pilier incontournable pour favoriser l'accès aux œuvres sans sacrifier les droits et les revenus des artistes, créateurs, producteurs et autres ayants droit. Artisti rappelait d'ailleurs qu'avec les bonifications à la LDA en 1988 et 1997, « […] le Canada avait fait le choix moderne de privilégier la gestion collective. Cette gestion collective avait été facilitée afin d'assurer aux ayants droit un droit à rémunération lorsque les exploitations rendues possibles par les technologies modernes s'accommodaient mal du contrôle absolu des ayants droit sur ces exploitations par l'exercice de leurs traditionnels droits exclusifs d'autoriser ou d'interdire »Note de bas de page 64.

Ce système est maintenant remis en question et le gouvernement doit confirmer son désir de le sauvegarder et de le renforcer.

3.1 le caractère obligatoire des tarifs approuvés par la Commission du droit d'auteur

La conclusion de la Cour d'appel fédérale dans le litige entre Access Copyright et l'Université de York, selon laquelle les tarifs approuvés par la Commission du droit d'auteur n'ont pas d'effet obligatoire à l'égard des utilisateurs, en a ébranlé plus d'un. Si cette conclusion de la Cour d'appel fédérale devait être confirmée par la Cour suprême du Canada, elle porterait gravement atteinte à la capacité des créateurs à faire valoir leurs droits et à recevoir une juste compensation pour l'utilisation de leurs œuvres.

Tout recours accordé aux sociétés de gestion au fil du temps pour renforcer leur capacité à percevoir les sommes dues aux titulaires de droits pour l'accès à leurs œuvres serait gravement compromis, y compris l'intention du Parlement en 1988 et 1997 de doter les sociétés de gestion de mécanismes d'application efficaces contre les utilisateurs qui utilisent les œuvres des titulaires de droits sans leur autorisation. De tels mécanismes ne fonctionnent que si les tarifs sont obligatoires.

Que la Cour suprême décide ou non d'entendre l'affaire, le gouvernement devrait agir immédiatement pour remédier à l'incertitude créée par la décision de la Cour d'appel fédérale.

Recommandation 11 : modifier la LDA pour confirmer le caractère obligatoire des tarifs décrétés par la Commission du droit d'auteur.

3.2 Harmoniser les recours des sociétés de gestion collective

Les comportements qui contreviennent à la LDA doivent faire l'objet de sanctions. Les auteurs, les artistes visuels et les éditeurs devraient avoir la même possibilité de faire valoir leurs droits que les musiciens et les compositeurs de chansons l'ont fait par le passé. Seules les sociétés de gestion collective des droits d'exécution, comme SOCAN et Ré:sonne, peuvent réclamer des dommages statutaires de trois à dix fois supérieurs à la valeur du tarif qui n'a pas été payé. Mais d'autres sociétés de gestion, comme Access Copyright ou l'Agence canadienne des droits de reproduction musicaux (CMRRA), ne peuvent réclamer des dommages supérieurs à la valeur du tarif qui n'a pas été payé.

Le refus de payer se trouve ainsi à n'avoir aucune conséquence réelle. Ceci fait en sorte que les créateurs et ayants droit dans certains secteurs disposent d'outils pour inciter les utilisateurs à payer pour l'utilisation de leurs œuvres, tandis que d'autres n'ont pas de pénalités à leur disposition. Le CHPC avait recommandé en 2019 l'harmonisation des recours des sociétés de gestion collective.

Recommandation 12 : s'assurer que les ayants droit des divers secteurs disposent des mêmes outils en faisant en sorte que toutes les sociétés de gestion collective puissent réclamer des dommages statutaires de trois à dix fois supérieurs à la valeur du tarif qui n'a pas été payé.

3.3 Prévoir des sanctions dissuasives en cas d'utilisation inadéquate

La révision de 2012 a fait baisser la limite supérieure des dommages-intérêts statutaires qu'un tribunal peut accorder à un titulaire de droits à seulement 5000$ dans le cas d'une utilisation à des fins non commerciales. Plusieurs organisations comme l'ACP ont fait valoir que ce plafond est de loin inférieur aux frais juridiques liés à une poursuite en cas d'atteinte aux droits d'auteur, ce qui bien sûr décourage le recours à ces sanctions pour les ayants droit, autant qu'il diminue le risque que sont prêts à courir les utilisateurs pour contrevenir à la Loi.

En conséquence, cela n'incite pas les organisations, par exemple, les institutions d'enseignement, à négocier des licences ou à honorer les tarifs de la Commission.

Rappelons que INDU et CHPC avaient tous deux recommandé la révision des dommages-intérêts en 2019. Toutefois, il ne semble pas suffisant de relever les limites supérieures et inférieures des dommages-intérêts statutaires en cas de violation commise à des fins non commerciales. Ces limites devraient bien sûr être relevées mais un juge devrait pouvoir décréter des dommages et intérêts supérieurs dans le cas d'utilisation systématique et massive.

Recommandation 13 :

  • Relever les limites supérieures et inférieures des dommages-intérêts statutaires en cas de violation commise à des fins non commerciales ;
  • Permettre l'établissement de dommages-intérêts supérieurs en cas d'utilisation systématique et massive.

4. Tenir compte des besoins et réalités des artistes, créateurs et organisations autochtones

Plusieurs artistes et organisations des peuples autochtones ont participé aux consultations menées par INDU et CHPC en 2018. La CDEC ne compte pas pour le moment de membres autochtones dans ses rangs. Elle ne détient ni l'expertise ni la légitimité pour formuler une recommandation précise, mais tient à appuyer des éléments qui ont été soulevés à l'occasion des témoignages et contributions de personnes ou d'organisations autochtones.

Tout d'abord, il semble en effet manifeste que la LDA n'est pas adaptée à la protection des expressions culturelles traditionnelles, et qu'en conséquence, la Loi peut même favoriser l'appropriation culturelle d'expressions traditionnelles. Comme on peut le lire le rapport d'INDU,

En vertu de la Loi, une expression ne sera pas reconnue, ni donc protégée, à titre d'oeuvre à moins qu'elle soit fixée de façon plus ou moins permanente. Cependant, de nombreuses expressions culturelles traditionnelles ne sont pas fixées de cette façon. Or, un non-Autochtone peut fixer de telles expressions culturelles de façon permanente et alors revendiquer un droit d'auteur pour l'oeuvre ou le sujet.Note de bas de page 65

Les dérives peuvent être nombreuses et dramatiques. Par exemple, associer les expressions culturelles autochtones à des produits ou services commerciaux sans consentement ou d'empêcher des autochtones d'interpréter ou de créer en s'inspirant des expressions traditionnelles.

Cette situation nous semble contrevenir à l'article sept de la Convention de l'UNESCO de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, dont le Canada est le premier signataire :

1. Les Parties s'efforcent de créer sur leur territoire un environnement encourageant les individus et les groupes sociaux :

  1. à créer, produire, diffuser et distribuer leurs propres expressions culturelles et à y avoir accès, en tenant dûment compte des conditions et besoins particuliers des femmes, ainsi que de divers groupes sociaux, y compris les personnes appartenant aux minorités et les peuples autochtones ;
  2. à avoir accès aux diverses expressions culturelles provenant de leur territoire ainsi que des autres pays du mondeNote de bas de page 66.

Lors de son témoignage, Tony Belcourt a demandé à ce que la LDA soit modifiée pour tenir compte des droits culturels reconnus dans la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (article 11):

  1. Les peuples autochtones ont le droit d'observer et de revivifier leurs traditions culturelles et leurs coutumes. Ils ont notamment le droit de conserver, de protéger et de développer les manifestations passées, présentes et futures de leur culture, telles que les sites archéologiques et historiques, l'artisanat, les dessins et modèles, les rites, les techniques, les arts visuels et du spectacle et la littérature.
  2. Les États doivent accorder réparation par le biais de mécanismes efficaces — qui peuvent comprendre la restitution — mis au point en concertation avec les peuples autochtones, en ce qui concerne les biens culturels, intellectuels, religieux et spirituels qui leur ont été pris sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause [...].Note de bas de page 67

Enfin, plusieurs intervenants ont demandé à ce que le gouvernement entreprenne des consultations pour « explorer les façons de protéger les œuvres d'art et les expressions culturelles traditionnelles contre l'appropriation illicite et la violation du droit d'auteur et à inclure les notions autochtones liées à la propriété dans la Loi »Note de bas de page 68.

Annexe A : Bénéfices nets et chiffre d'affaires de quelques géants du Web en 2020

- Q1 (janvier-mars) Q2 (avril-juin) Q3 (juillet-septembre) Q4 (octobre-décembre)
Bénéfices nets (millions $USD) Chiffre affaire (millions $USD) Variation Q1 2019 vs 2020 Bénéfices nets (millions $USD) Chiffre affaire (millions $USD) Variation Q2 2019 vs 2020 Bénéfices nets (millions $USD) Chiffre affaire (millions $USD) Variation Q2 2019 vs 2020 Bénéfices nets (millions $USD) Chiffre affaire (millions $USD) Variation Q2 2019 vs 2020

Amazon

2 500

75 500

+26%

5 200

88 900

+40%

6 300

96 150

+37%

7 200

125 600

+44%

Apple

11 200

58 300

+1%

11 253

59 700

+11%

12 670

64 700

+1%

28 800

111 400

+21%

Alphabet

6 800

41 200

+13%

6 959

38 300

-2%

11 247

46 173

+15%

15 200

56 900

+23%

Microsoft

10 750

35 020

+15%

11 200

38 000

+13%

13 900

37 200

+12%

15 500

43 100

+17%

Facebook

4 900

17 740

+18%

5 178

18 687

+11%

7 846

21 470

+22%

11 200

28 100

+33%

Total GAFAM

36 150

227 760

-

39 790

243 587

-

51 963

265 693

-

77 900

365 100

-

Netflix

709

5 700

+27%

720

6 150

+25%

790

6 440

+23%

542

6 640

+22%

Spotify *

1

1 848

+22%

-167

1 889

+13%

-40

1 975

+14%

-125

2 170

+17%

* en euros

36 860

235 308

-

40 343

251 626

-

52 713

274 108

-

78 317

373 910

-

Sources nombreuses, disponibles sur demande.