Jacques Roy — 16 février 2004

Décision sur la conduite professionnelle

Qu'est-ce qu'une décision sur la conduite professionnelle?

Le BSF ouvre une enquête sur la conduite professionnelle d'un syndic autorisé en insolvabilité (SAI) lorsqu'il dispose d'information laissant croire que le SAI n'a pas rempli adéquatement ses fonctions, n'a pas administré un dossier comme il se doit ou n'a pas respecté la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (LFI).

Dans certains cas, les conclusions de l'enquête sont suffisamment graves pour donner lieu à une recommandation de sanction visant la licence d'un SAI [annulation ou suspension de la licence en vertu du paragraphe 13.2(5)] ou imposition de conditions ou de restrictions en vertu du paragraphe 14.01(1) de la LFI.

La décision sur la conduite professionnelle est assimilée à celle d'un office fédéral et peut faire l'objet d'un examen judiciaire par la Cour fédérale.

Canada
District de faillite
de la province de Québec

Dans l'affaire du dossier disciplinaire du syndic Jacques Roy

Requérant : Jacques Roy, syndic

Intimé : Marc Mayrand, surintendant des faillites


Décision sur une requête par voie d'exception préliminaire pour faire déclarer inopérants les articles 14.01, 14.02, et 14.03 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité et pour arrêt du processus disciplinaire


Le 11 novembre 2003, le syndic s'adressait au soussigné par voie d'exception préliminaire afin de faire déclarer inopérants les articles 14.01, 14.02 et 14.03 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (L.F.I.) à son égard.

Par voie de requête en irrecevabilité présentée verbalement au nom de l'analyste principal, ce dernier plaidait que le délégué, le soussigné, n'avait pas compétence pour apprécier la compatibilité des articles 14.01 et 14.02 L.F.I. avec la Charte canadienne des droits et libertés et la Déclaration canadienne des droits. Par décision prononcée le 10 décembre 2003, le soussigné rejetait l'exception en irrecevabilité formulée par le procureur de l'analyste principal et déclarait disposer de la compétence nécessaire pour entendre la requête du requérant pour faire déclarer inopérants les articles 14.01, 14.02 et 14.03 L.F.I. et pour arrêt du processus disciplinaire du requérant Jacques Roy, syndic.

Nous concluions alors que le délégué du surintendant était appelé à siéger comme tribunal administratif et, à ce titre, était implicitement autorisé à disposer des questions de droit qui lui étaient soumises, ayant compétence pour ce faire. Ainsi, le délégué avait compétence pour se saisir de la requête par voie d'exception préliminaire du requérant dans la mesure où la requête visait les droits du requérant dans la cause dont était saisi le délégué.

Nous nous déclarions disponibles pour entendre l'exception préliminaire du requérant dans les meilleurs délais.

Exception préliminaire et motifs

La requête par voie d'exception préliminaire du syndic requérant fut débattue devant le soussigné les 2 et 3 février et prise en délibéré immédiatement après l'audition.

Une déclaration d'inopposabilité des articles 14.01 et 14.02 L.F.I. et d'arrêt de procédures est recherchée par le requérant en vertu des alinéas 1(a) et 2(e) de la Déclaration canadienne des droits, l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et l'article 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982. Le requérant s'appuie sur plusieurs motifs telles l'inamovibilité et la sécurité financière, la constitution du tribunal disciplinaire, la composition du tribunal disciplinaire, la nature des décisions pouvant être rendues, les garanties procédurales lors de l'audition, les mesures provisoires ex parte et une argumentation juridique en faveur d'une déclaration générale d'inopposabilité ainsi qu'une déclaration d'inopposabilité fondée sur l'inexistence de garanties procédurales adéquates au niveau du déroulement de l'audition.

Le requérant demande également une déclaration d'inopposabilité et d'arrêt de procédures au motif d'un excès de juridiction particularisé en l'instance ainsi qu'une déclaration d'inopposabilité et d'arrêt de procédures en vertu des articles 1(a) de la Déclaration canadienne des droits et l'article 41(8) L.F.I.

Plus précisément, de prétendre le requérant, les articles en question ne contiennent aucune garantie structurelle lui assurant une audition devant un tribunal indépendant et impartial et conforme aux principes de justice fondamentale garantis par les alinéas 1(a) et 2(e) de la Déclaration canadienne des droits ainsi que par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Leur mise en application n'en assurerait pas d'avantage.

Dans la mesure où le délégué du surintendant des faillites, en vertu des articles 14.01 et 14.02 L.F.I., ne dispose d'aucune sécurité financière, ces articles contreviendraient « aux plus élémentaires exigences en matière d'impartialité et d'indépendance des tribunaux. »

Il y aurait contravention aux articles 1(a) et 2(e) de la Déclaration canadienne des droits et à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés dans la mesure où le surintendant des faillites entend lui-même une cause disciplinaire ou ne mandate un délégué pour ce faire qu'après avoir étudié le résultat d'une enquête et décidé que les reproches au syndic étaient fondés ou semblaient l'être.

Dans la mesure où, en vertu de l'article 14.01(2) L.F.I., le surintendant conserverait un certain contrôle sur le comportement de son délégué alors que le surintendant demeurerait l'une des parties à l'instance disciplinaire, il y aurait violation flagrante des droits du justiciable concerné.

En tant que mandataire du surintendant, le délégué aurait le pouvoir de condamner le syndic à rembourser au dossier de la faillite, indemnisant ainsi le surintendant, un montant correspondant aux frais encourus en raison des mesures prises par le surintendant lui-même.

Dans la mesure où l'article 14.02(2) L.F.I. prévoit que le surintendant « n'est lié par aucune règle juridique ou procédurale en matière de preuve », la loi serait déficiente et inopérante en vertu des articles 1(a) et 2(c) de la Déclaration canadienne des droits et de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés.

Dans la mesure où l'article 14.03 L.F.I. permettrait au surintendant de créer lui-même les conditions requises pour tenir une enquête, de décider lui-même de la mesure à prendre sans aucune autorisation judiciaire ou administrative et de maintenir cette mesure en vigueur sans contrainte de temps, il contreviendrait aux mêmes dispositions constitutionnelles.

Stipulations du requérant

D'entrée de jeux, le procureur du requérant stipulait pour les fins du dossier que : a) « l'attaque » contre l'article 14.03 L.F.I. était retirée; et b) dans la mesure où l'article 2(e) de la Déclaration canadienne des droits ne serait pas violé, il en serait également quant à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés; par voie de corollaire, si l'article 2(e) de la Déclaration canadienne des droits était violé, l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés le serait également.

Les articles 14.01 et 14.02 L.F.I.

Nous nous permettons de reproduire les articles en question :

14.01 (1) Après avoir tenu ou fait tenir une enquête sur la conduite du syndic, le surintendant peut prendre l'une ou plusieurs des mesures énumérées ci-après, soit lorsque le syndic ne remplit pas adéquatement ses fonctions ou a été reconnu coupable de mauvaise administration de l'actif, soit lorsqu'il n'a pas observé la présente loi, les Règles générales, les instructions du surintendant ou toute autre règle de droit relative à la bonne administration de l'actif, soit lorsqu'il est dans l'intérêt public de le faire :

  1. annuler ou suspendre la licence du syndic;
  2. soumettre sa licence aux conditions ou restrictions qu'il estime indiquées, et notamment l'obligation de se soumettre à des examens et de les réussir ou de suivre des cours de formation;
  3. ordonner au syndic de rembourser à l'actif toute somme qui y a été soustraite en raison de sa conduite.

(1.1) Dans la mesure où ils sont applicables, le présent article et l'article 14.02 s'appliquent aux anciens syndics avec les adaptations nécessaires.

(2) Le surintendant peut, par écrit et aux conditions qu'il précise dans cet écrit, déléguer tout ou partie des attributions que lui confèrent respectivement le paragraphe (1), les paragraphes 13.2(5), (6) et (7) et les articles 14.02 et 14.03.

(3) En cas de délégation aux termes du paragraphe (2), le surintendant ou le délégué doit :

  1. dans la mesure où la délégation vise les syndics en général, en aviser tous les syndics par écrit;
  2. en tout état de cause, aviser par écrit, avant l'exercice du pouvoir qui fait l'objet de la délégation ou lors de son exercice, tout syndic qui pourrait être touché par l'exercice de ce pouvoir.

14.02 (1) Lorsqu'il se propose de prendre l'une des mesures visées au paragraphe 14.01(1), le surintendant envoie au syndic un avis écrit et motivé de la mesure qu'il entend prendre et lui donne la possibilité de se faire entendre.

(2) Lors de l'audition, le surintendant :

  1. peut faire prêter serment;
  2. n'est lié par aucune règle juridique ou procédurale en matière de preuve;
  3. règle les questions exposées dans l'avis d'audition avec célérité et sans formalisme, eu égard aux circonstances et à l'équité;
  4. fait établir un résumé écrit de toute preuve orale.

(3) L'audition et le dossier de l'audition sont publics à moins que le surintendant ne juge que la nature des révélations possibles sur des questions personnelles ou autres est telle que, en l'espèce, l'intérêt d'un tiers ou l'intérêt public l'emporte sur le droit du public à l'information. Le dossier de l'audition comprend l'avis prévu au paragraphe (1), le résumé de la preuve orale visé à l'alinéa (2)d) et la preuve documentaire reçue par le surintendant.

(4) La décision du surintendant est rendue par écrit, motivée et remise au syndic dans les trois mois suivant la clôture de l'audition, et elle est publique.

(5) La décision du surintendant, rendue et remise conformément au paragraphe (4), est assimilée à celle d'un office fédéral et comme telle est soumise au pouvoir d'examen et d'annulation prévu à la Loi sur les Cours fédérales.

Éléments clés

Avant d'aborder les moyens soulevés par et pour le requérant, nous sommes d'avis qu'il y aurait avantage à faire ressortir certains éléments clés découlant de l'arrêt de la Cour d'appel du Québec prononcé le 30 octobre 2003 dans l'affaire Métivier c. Mayrand, 200-09-004077-027 (C.A.) et J.E. 2003-2128 (résumé) et de l'arrêt Martin de la Cour suprême du Canada (Nouvelle-Écosse (Workers' Compensation Board) c. Martin, 2003 C.S.C. 54 et 231 D.L.R. (4th) 385).

Dans l'affaire Métivier, on demandait au tribunal de déclarer nuls et inopérants les articles 14.01 et 14.02 L.F.I. parce que contraires à l'alinéa 2(e) de la Déclaration canadienne des droits.

Opérant dans un cadre juridictionnel très étroit parce que limitée au seul examen de la validité du régime législatif, la Cour, bien qu'habilitée à statuer sur la validité intrinsèque des articles 14.01 et 14.02, ne pouvait aucunement tenir compte de la pratique établie par le surintendant pour les appliquer.

Bien que mis en garde qu'il ne pouvait se servir de la pratique établie par le surintendant pour décider si les articles en question sont compatibles avec l'alinéa 2(e) de la Déclaration canadienne des droits, le juge de la Cour supérieure s'en était tout de même remis à la pratique mise en place par le surintendant afin de déterminer la validité des articles en question, usurpant ainsi la compétence exclusive de la Cour fédérale.

Limitée au seul régime législatif conférant le rôle disciplinaire au surintendant, la Cour ne pouvait étendre son application à la manière dont le surintendant, en pratique, exerçait les pouvoirs découlant des articles en question.

La Cour d'appel reconnaissait que les articles 14.01 et 14.02 L.F.I. prévoient les mesures que le surintendant peut prendre à l'endroit du syndic, les motifs pour lesquels il peut les prendre et la procédure qu'il doit suivre avant de les imposer, y compris le besoin que le syndic ait la possibilité de se faire entendre. D'autre part le paragraphe 14.01(2) permet au surintendant de déléguer en tout ou en partie les attributions que lui confèrent les articles 14.01 et 14.02, tout en lui laissant une grande flexibilité dans l'exercice de son rôle de maître d'œuvre du régime disciplinaire. La Cour était d'avis qu'il paraissait clair que le législateur avait délibérément attribué au surintendant les fonctions d'enquête, de poursuite et de décision pour tout ce qui touchait la conduite des syndics de faillite.

La question restait à savoir si ce régime législatif est incompatible avec l'alinéa 2(e) de la Déclaration canadienne des droits.

La Cour d'appel, sous la plume de l'honorable René Dussault, était d'avis que :

« Dans la mesure où le paragraphe 14.01(2) permet au surintendant de déléguer les fonctions qui lui sont attribuées de façon à ce que ce soit différentes personnes qui exercent ces différentes fonctions à l'abri de l'influence des autres, le reproche de l'appelant quant au cumul de fonctions prévu par les articles 14.01 et 14.02 ne justifie pas de les déclarer inopérants parce qu'incompatibles avec l'alinéa 2(e) de la Déclaration protégeant son droit à une audition devant un tribunal impartial. »

« Il suffit, à cet égard, de constater qu'en raison du pouvoir de délégation prévu au paragraphe 14.01(2), ces articles sont neutres et de rappeler le principe énoncé pour la première fois par le juge Lamer dans l'arrêt Slaight Communications c. Davidson, (1989) 1. R.C.S. 1038, à la page 1078, (motifs majoritaires sur ce point), repris par celui-ci dans l'arrêt Eaton c. Conseil scolaire du comité de Brant, (1997) 1. R.C.S. 241, au paragraphe 3, et appliqué dans l'arrêt Régie (2747-3174 Québec Inc. c. Régie des permis d'alcools du Québec, (1996) 3 R.C.S. 919, aux paragraphes 46–48) suivant lequel une loi neutre doit s'interpréter comme ne permettant pas de violer les droits constitutionnels ou quasi-conditionnels d'une personne. »

(…)

« Dans la mesure où le pouvoir de délégation prévu au paragraphe 14.01(2) permet au surintendant de déléguer les attributions que lui confèrent les articles 14.01 et 14.02 de manière à ce qu'il puisse, comme en l'espèce, n'avoir personnellement aucun rôle à jouer dans leur application, ces articles comportent un mécanisme d'application qui, dans un tel cas, rend théorique la question de l'indépendance du surintendant lui-même. Puisque rien dans la L.F.I. ne lie l'indépendance du délégué à celle du surintendant, ce n'est plus, alors, l'indépendance du surintendant qui compte, mais celle de la personne à qui il a délégué la fonction de décision. Tels que rédigés, les articles 14.01 et 14.02 ne portent donc pas atteinte au droit de l'appelant à une audition devant un tribunal indépendant protégé par l'article 2(e) de la Déclaration (canadienne des droits) du seul fait que le paragraphe 5(1) prévoit que le surintendant est nommé à titre amovible et voit son traitement fixé par le gouverneur en conseil. »

La Cour était d'avis que le seul examen de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité ne permettait pas de conclure que, peu importe la pratique établie, le surintendant ne pouvait jouer le rôle de maître d'œuvre du régime disciplinaire des syndics de faillite que lui conféraient les articles 14.01 et 14.02 sans porter atteinte au droit de ceux-ci à une audition impartiale protégée par l'alinéa 2(e) de la Déclaration (canadienne des droits).

De conclure le juge Dussault :

« J'estime néanmoins, dans le cadre du débat actuel limité au seul examen du régime législatif à l'exclusion de la pratique établie, qu'il suffit pour que les articles 14.01 et 14.02 attaqués soient déclarés compatibles avec l'alinéa 2(e) de la Déclaration (canadienne des droits) qu'ils soient neutres et laissent au surintendant la possibilité d'organiser un processus conforme au droit de l'appelant à une audition impartiale. »

En d'autres mots, la Cour supérieure et par extension la Cour d'appel ne pouvaient s'exprimer sur la façon dont en pratique les articles en question étaient appliqués et le texte des articles 14.01 et 14.02 tel que rédigé était compatible avec la Déclaration canadienne des droits.

Dans l'arrêt Martin (précité), l'honorable Charles D. Gonthier posait comme prémisse au paragraphe 48 :

«La première question est de savoir si le tribunal administratif a expressément ou implicitement compétence pour trancher les questions de droit découlant de l'application de la disposition contestée. »

(…)

« S'il est jugé que le tribunal a le pouvoir de trancher les questions de droit découlant de l'application d'une disposition législative, ce pouvoir sera présumé inclure celui de se prononcer sur la constitutionalité de cette disposition au regard de la Charte. »

Il écrivait au paragraphe 33 :

« Lorsqu'il est saisi d'une affaire où l'on conteste la constitutionnalité d'une disposition de sa loi habilitante, le tribunal administratif est appelé à interpréter le droit pertinent garanti par la Charte, à l'appliquer à la disposition contestée et, s'il conclut qu'il y a atteinte et que la disposition n'est pas sauvegardée au regard de l'article premier, à ne pas en tenir compte pour des motifs constitutionnels et à trancher la demande du requérant comme si la disposition n'était pas en vigueur. »

En règle générale ajoutait-t-il au paragraphe 34 :

« …, en règle générale, le tribunal administratif à qui l'on a conféré le pouvoir d'interpréter la loi a aussi le pouvoir concomitant de déterminer si la loi est constitutionnelle. »

Le juge Gonthier faisait remarquer au paragraphe 31 :

« La décision d'un tribunal administratif qu'une disposition de sa loi habilitante est invalide au regard de la Charte ne lie pas les décideurs qui se prononceront ultérieurement dans le cadre ou en dehors du régime administratif de ce tribunal. Ce n'est qu'en obtenant d'une cour de justice une déclaration formelle d'invalidité qu'une partie peut établir, pour l'avenir, l'invalidité générale d'une disposition législative. En conséquence, permettre aux tribunaux administratifs de trancher des questions relatives à la Charte ne mine pas le rôle d'arbitre ultime que les cours de justice jouent en matière de constitutionalité au Canada. »

Par décision rendue le 10 décembre 2003, le soussigné en tant que désigné à un tribunal administratif, rejetait l'exception en irrecevabilité formulée par l'analyste et déclarait disposer de la compétence nécessaire afin d'entendre au fond la requête du requérant Jacques Roy pour faire déclarer inopérants les article 14.01, 14.02 et 14.03 L.F.I.

Il s'ensuit des arrêts Martin et Métivier (supra) ainsi que des conclusions de la décision du soussigné en date du 10 décembre 2003 que le délégué dans l'exercice des fonctions qu'il exerce conformément à l'arrêt Martin (supra), ne saurait écarter, ignorer ou distinguer la jurisprudence déjà existante en la matière et en particulier l'arrêt Métivier déclarant valides les articles 14.01 et 14.02 L.F.I.

Toute attaque dirigée contre les articles neutres en question dont le texte a été déclaré compatible avec la Déclaration canadienne des droits dans l'arrêt Métivier (supra) ne saurait être maintenue par le soussigné en tant que délégué et dans les limites de sa compétence en la matière telle qu'affirmée dans l'arrêt Martin (supra).

Cinq motifs d'ordre pratique

Il ne reste donc que cinq motifs d'ordre « pratique » sur lesquels s'appuie le requérant dans sa requête par voie d'exception préliminaire. D'abord le requérant prétend qu'en pratique le délégué ne jouit pas de l'indépendance requise car le contrat qui le régit ne lui conférerait pas l'inamovibilité et/ou la sécurité financière suffisante, le mandat du délégué pouvant être révoqué sans motif valable.

Par voie de deuxième motif, le requérant prétend qu'en pratique l'impartialité du délégué aurait été compromise en raison d'une décision prise par feu Me François Rioux, ancien délégué dans la présente affaire, qui aurait « de sa propre initiative, sans en aviser le syndic en cause ni son procureur, (…) décidé de reconsidérer une décision antérieure, pour accorder le statut d'intervenant au plaignant Marcel Paris ».

En troisième lieu, le requérant ayant en l'occurrence été libéré de ses fonctions de syndic à l'égard des actifs de la compagnie débitrice Distribution Sunliner (1985) Inc. le 23 juillet 1997, le soussigné ne saurait, vu l'entrée en vigueur le 30 septembre 1997 d'une nouvelle disposition de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité voulant que la libération d'un syndic « n'a pas pour effet d'empêcher la tenue de l'enquête ou la prise des mesures visées au paragraphe 14.01(1) », permettre quand même la tenue de l'enquête.

En quatrième lieu, le tribunal ne disposerait pas de pouvoir de contrainte.

Cinquièmement, le surintendant ne saurait faire condamner le syndic à rembourser au dossier de la faillite, « indemnisant ainsi le surintendant », quelque montant que ce soit.

Quant à l'inamovibilité et la sécurité financière du délégué.

Le requérant allègue que le contrat de service signé entre sa Majesté la Reine et le soussigné le 15 octobre 2003, bien que conforme aux articles 14.01 et 14.02 L.F.I., prévoit que le délégué exerce les attributions qui lui ont été déléguées par le surintendant et qui figurent dans l'instrument de délégation que ce dernier lui a transmis. Le délégué disposerait d'aucune sécurité financière ni pour l'exécution intégrale du contrat qui lui est confié ni pour l'obtention de contrats ultérieurs dont l'adjudication dépend entièrement de la discrétion du surintendant des faillites lui-même nommé à titre amovible par le conseil privé.

Rappelant qu'un contrat désignant Me Robert Archambault comme délégué le 20 septembre 1993 dans une autre cause avait par la suite été résilié et qu'une action intentée par Me Archambault pour se faire rembourser le plein montant du contrat avait été rejetée par la Cour supérieure le 2 août 1996 aux motifs que le contrat pouvait être révoqué à n'importe quel moment en cours d'exécution et que Me Archambault n'avait de réclamations que pour le travail effectué jusqu'à la date de sa révocation, le requérant prétend que le soussigné ne dispose d'aucune sécurité financière ni pour l'exécution intégrale du contrat confié ni pour l'obtention de contrats ultérieurs dont l'adjudication dépendrait entièrement de la discrétion du surintendant des faillites.

Nous sommes d'avis que, contrairement au contrat régissant Me Archambault voulant que « Le Ministre peut, en donnant un avis écrit à l'entrepreneur, arrêter ou suspendre l'exécution de la totalité ou de n'importe quelle partie ou parties des travaux », le contrat désignant le soussigné prévoit à l'article 5.1 de l'Annexe « A » :

« Sa Majesté peut aviser l'entrepreneur par écrit qu'elle a résilié le marché. La délégation de pouvoirs et d'attributions concernant la surveillance des syndics de faillite effectuée envers l'entrepreneur peut être révoquée par écrit par Sa Majesté ou le Surintendant s'ils concluent que l'entrepreneur :

(…)

c) n'a pas exécuté convenablement ses obligations en vertu du marché;

d) se trouve, en raison de son comportement ou autrement, dans une position qui est incompatible avec l'exécution convenable de ses obligations en vertu du marché. »

Nous ne voyons rien dans cette phraséologie qui favoriserait l'insécurité ou jouerait contre l'inamovibilité du délégué de sorte qu'une personne raisonnable serait portée à conclure qu'un syndic serait nécessairement privé de ses droits à une audition juste et impartiale. Il importe surtout que la destitution du juge administratif ou du délégué ne soit pas laissée au bon plaisir de l'exécutif.Note de bas de page 1

Quant à l'impartialité du délégué

Le requérant s'interroge également sur la décision prise à son insu par feu Me François Rioux, en tant que délégué, de permettre à monsieur Marcel Paris de se faire entendre comme témoin lors de l'audition « afin que je puisse procéder à l'évaluation complète de l'intérêt publique en jeu quant à cette affaire ».

La lettre du 2 juillet 2003 de Maître Rioux fait foi de son contenu. Si l'une ou l'autre des parties a à s'opposer en tout ou en partie au témoignage de monsieur Paris ou à faire des représentations à la suite de ce témoignage, elles conservent le privilège de le faire séance tenante. Nous sommes d'avis qu'ainsi les règles de l'équité procédurale demeureront intactes et seront respectées. L'on ne saurait demander à ce chapitre l'arrêt complet et définitif d'un processus disciplinaire tenu en vertu d'articles neutres avant même que la cause ne soit entendue. L'argument est prématuré et hypothétique.

Quant à la libération du syndic

Le requérant rappelle que celui-ci fut libéré de ses fonctions à titre de syndic à l'égard des actifs de la compagnie débitrice Distribution Sunliner (1985) Inc. et qu'en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité alors en vigueur, la libération du syndic par le tribunal emportait immunité contre tout reproche ou recours subséquent concernant son administration. Ainsi, selon l'article 41(8) :

« La libération d'un syndic le relève de toute responsabilité :

  1. à l'égard de tout acte ou manquement de sa part dans l'administration des biens du failli;
  2. en ce qui concerne sa conduite à titre de syndic.

Toutefois une libération peut être révoquée par le tribunal sur preuve qu'elle a été obtenue par fraude ou en supprimant ou cachant un fait important. »

Une nouvelle disposition de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité a été insérée le 30 septembre 1997 à l'article 41 pour se lire comme suit :

« (8.1) [Application] Le paragraphe (8) n'a pas pour effet d'empêcher la tenue de l'enquête ou la prise des mesures visées au paragraphe 14.01(1). »

Le requérant plaide que l'article 41(8.1) est inapplicable en l'instance puisque la libération du requérant dans le dossier Distribution Sunliner (1985) Inc. avait été prononcée avant son entrée en vigueur.

D'après le requérant, le surintendant des faillites ne serait nullement autorisé à contourner les dispositions impératives de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité afin de rouvrir un dossier qui fut examiné, traité puis commenté par le séquestre officiel en temps utile, à savoir avant la date de libération du syndic. Ainsi, la seule exception pouvant s'appliquer afin de révoquer sa libération fut que la libération ait été obtenue par fraude. L'ajout du paragraphe 41(8.1) en 1997 créait une seconde exception à compter du 30 septembre 1997 qui devait s'ajouter à celle en cas de fraude visée par le paragraphe 41(8). Ainsi, selon le requérant, l'immunité du syndic fondée sur le jugement de libération prononcé par la Cour supérieure du Québec siégeant en matière de faillite le 23 juillet 1997 constituait une fin de non-recevoir à la tenue d'une procédure disciplinaire à l'égard du syndic Jacques Roy dans le dossier Distribution Sunliner (1985) Inc.

Les autorités sont claires quant à la non-rétroactivité en matière pénale. Elle ne fait pas de doute.Note de bas de page 2 Par contre il est également claire que si une loi particularise une infraction qui autrefois n'était prévue qu'en termes généraux, le prévenu ne saurait plaider la non-rétroactivité de la nouvelle loi.Note de bas de page 3

Dans une décision rendue le 25 janvier 2001 dans l'affaire Friedman & Friedman, Harry Bick et al., (CFPIT-1600-99), l'honorable J.E. Dubé de la division de première instance de la Cour fédérale du Canada écrivait comme suit :

« Bien que le paragraphe 48(1) de la Loi libère le syndic de tout acte ou manquement dans l'administration des biens du failli et en ce qui concerne sa conduite à titre de syndic, ce paragraphe ne doit pas viser la totalité des pouvoirs de surveillance du surintendant en vertu des articles 14.01 et suivants de la Loi. C'est en effet le surintendant qui détient le pouvoir exclusif d'émettre des licences de syndic et s'assujettir l'obtention de ces licences à certaines conditions. En considération du privilège d'exercer la profession de syndic, ce dernier doit faire preuve d'un haut degré de professionnalisme et d'intégrité. »

« Tel que l'indique le défendeur Leduc, l'ordonnance de libération rendue par la Cour supérieure ne touche la conduite du syndic qu'à l'égard des tiers et de toute personne qui a un intérêt dans la faillite. Conclure autrement équivaudrait, en définitive, à reconnaître à la Cour supérieure le pouvoir de mettre les syndics de faillite à l'abri de toute sanction disciplinaire, ce qui serait une usurpation de la compétence du surintendant. Il serait contraire à l'intérêt public de permettre à un syndic fautif d'échapper aux sanctions disciplinaires dès le moment où la Cour supérieure prononce sa libération à l'égard des tiers et de toute personne ayant un intérêt dans la faillite. »

« À mon avis, le nouveau paragraphe 41(8.1) de la Loi, bien qu'inapplicable en l'espèce, reflète bien cette réalité. »

Dans cette cause, la Cour supérieure du Québec avait accueilli la demande de libération des syndics le 19 mars 1997. Le 12 novembre 1997, donc après l'entrée en vigueur de la nouvelle disposition soit le sous-paragraphe 8.1 de l'article 41, le surintendant annonçait son intention de tenir une enquête aux termes des articles 10 et suivants de la Loi relativement à l'administration de la faillite. Les syndics soulevèrent que l'article 41(8.1) de la Loi ne s'appliquait pas au litige puisqu'il n'était pas en vigueur au moment de la libération des syndics et qu'il n'était pas d'application rétroactive. Le juge de la Cour fédérale était d'avis que le paragraphe 41(8.1) n'avait pas d'effet rétroactif et ne pouvait s'appliquer. Cependant, le juge partageait l'opinion du surintendant que le paragraphe 41(8.1) de la Loi n'était venu qu'éclaircir le principe selon lequel le surintendant avait une compétence disciplinaire sur la conduite des syndics et que la libération de l'administration de l'actif d'un faillite (même avant le 30 septembre 1997) n'avait pas pour effet d'empêcher le déroulement du processus visé au paragraphe 41(8.1) de la Loi.

En tant que délégué à un tribunal administratif, je ne saurais ignorer ce qui semble la seule décision rendue par une cour d'archives sur le sujet. Ma décision interlocutoire est de permettre la preuve apportée relativement à la gestion par le syndic des biens de la débitrice Distribution Sunliner (1985) Inc.

Quant à l'impossibilité du délégué de contraindre des témoins

Encore une fois le requérant soulève ce qui, à ses yeux, pourrait poser problème alors même que la question en pratique ne s'est pas posée dans cette cause. Au surplus, le procureur général du Canada nous a référé à Re First Investors Corp. Ltd. (No. 2), 46 D.L.R. (4th) 687, où le juge Berger écrivait :

« One of the powers exercised by a superior court as part of its inherent jurisdiction is the right to order production of documents by way of a subpoena duces tecum. This power has been used to assist inferior tribunals to order production of documents. As Lord Denman C.J. said in The Queen v. Greenaway (1845), 7 Q.B. 126 at p. 134, 115 E.R. 436 at p. 439 :

"This Court has in all times lent its aid to inferior tribunals, where they have wanted the means of enforcing the attendance of witnesses. If viva voce evidence is alone required, the ordinary subpoena ad testificandum will attain the object: if documents are wanted, recourse must be had to the equally well known writ of subpoena duces tecum." »

En vertu de l'article 3 de la Loi concernant la Cour Fédérale du Canada, Vol. VI, chap. F-7, la Cour fédérale confirme « être une cour supérieure d'archives ayant compétence en matières civile et pénale ».

À ce titre la Cour fédérale du Canada a le pouvoir de venir en aide aux offices fédéraux et de délivrer, au besoin, un subpoena ordonnant la comparution d'une personne devant le délégué du surintendant.

Dans l'entre-temps, le syndic ne fait que soulever un problème hypothétique qui ne se présentera vraisemblablement pas à l'audition au fond de la cause.

Remboursement à l'actif

Bien que l'arrêt Métivier (supra) ait réglé la compatibilité avec la Déclaration canadienne des droits et, par ce fait, la Charte canadienne des droits et libertés, des articles 14.01 et 14.02 L.F.I., nous ne saurions laisser inaperçue l'allégation du syndic à l'effet que le délégué aurait le pouvoir en vertu de l'article 14.01 L.F.I. de le condamner à rembourser « au dossier de faillite, indemnisant ainsi le surintendant » un montant correspondant aux frais encourus en raison des mesures prises par le surintendant lui-même.

Si un doute persiste quant à la signification du sous-paragraphe c), il est rapidement dissipé à la lecture de la version anglaise de l'article voulant que le syndic peut être appelé à rembourser à l'actif toute somme soustraite à l'actif en raison de la conduite du syndic. Quant au soussigné, la version française est tout aussi claire : le remboursement n'est pas effectué même indirectement au surintendant.

Quant à déterminer si le surintendant est en droit de demander au syndic de faire le remboursement, nous n'aurons à nous pencher sur cette question qu'au moment où et si le surintendant en fait la demande.

Par tous ces motifs, la requête par voie d'exception préliminaire du requérant pour faire déclarer inopérants les articles 14.01, 14.02 et 14.03 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité est rejetée. La cause sera donc entendue au fond dans les meilleurs délais.

Montréal, le 16 février 2004

L'honorable Lawrence A. Poitras, c.r.
Délégué du surintendant


Le présent document a été reproduit dans sa version originale, telle que fournie par le délégué du surintendant des faillites.