Épisode 10 : La propriété intellectuelle dans l’industrie du cannabis

Maya Urbanowicz (MU) Vous écoutez « Voix de la PI canadienne », un balado où nous discutons de propriété intellectuelle avec des professionnels et des intervenants du Canada et d’ailleurs. Vous êtes entrepreneur, artiste, inventeur ou simplement curieux? Vous allez découvrir des problèmes concrets – et des solutions concrètes – ayant trait au fonctionnement des marques de commerce, des brevets, du droit d’auteur, des dessins industriels et des secrets commerciaux dans la vie de tous les jours. Je m’appelle Maya Urbanowicz et je suis votre animatrice d’aujourd’hui.

Les points de vue et les opinions exprimés dans les balados sur ce site Web sont ceux des baladodiffuseurs et ne reflètent pas nécessairement la politique ou la position officielle de l’OPIC.

Dans cet épisode, nous allons jeter un coup d’œil sur le rôle que la propriété intellectuelle peut jouer lorsqu’une nouvelle industrie est née. Il y a presque 3 ans, le Canada a légalisé l’achat et l’utilisation du cannabis récréatif à travers tout le pays, par l’entremise de la Loi sur le cannabis, qui est entrée en vigueur en octobre 2018. Du jour au lendemain, une nouvelle industrie est née. Au Canada, le marché pour le cannabis à usage récréatif est estimé à plus de 6 milliards de dollars; presque comparable au marché canadien du vin. Maintenant, vous vous dites peut-être que le cannabis est une plante. Alors, quel est le lien avec la propriété intellectuelle? Eh bien avec nous aujourd’hui, nous avons Catherine Lemay, avocate générale adjointe de la PI au sein de la compagnie de cannabis canadienne, Hexo. Catherine, bienvenue à notre balado.

Catherine Lemay (CL) : Merci, bonjour à tout le monde.

MU: Catherine a un diplôme en chimie ainsi qu’un diplôme en droit, et elle a plus de 20 ans d’expérience pratique avec la propriété intellectuelle au sein d’une multitude d’organisations, incluant le gouvernement fédéral, les cabinets juridiques, et elle a aussi travaillé avec une importante compagnie pharmaceutique à l’étranger. Catherine, qu’est-ce qu’une avocate générale adjointe de la PI fait à Hexo?

CL: En gros, tout ce qui est lié à la propriété intellectuelle, donc la PI, est un aspect très important pour notre organisation chez Hexo, et on met beaucoup, beaucoup d’accent sur l’innovation et la PI. Donc, quand je suis arrivée chez Hexo en 2019, j’étais vraiment la première professionnelle spécialisée en PI, qui a été embauchée dans l’équipe juridique. J’ai donc dû établir notre stratégie de propriété intellectuelle, mettre en place tous les processus et les politiques internes, établir des liens avec différentes parties de l’entreprise. Au fil des années, Hexo a vraiment grandi, donc c’est de continuer à établir ces liens-là avec les différents groupes.

Pour m’assurer qu’on identifie bien et qu’on protège correctement notre propriété intellectuelle, une partie importante de notre stratégie, c’est l’éducation et la sensibilisation à la PI chez Hexo. Mon équipe et moi, on passe quand même un temps important de rencontrer les gens, de faire des présentations, d’essayer d’instaurer une culture de propriété intellectuelle au sein de l’organisation.

Aussi, comme j’ai mentionné, d’aider les gens à identifier la propriété intellectuelle afin qu’ils comprennent mieux qu’est-ce qui pourrait être protégé. Je suis également, dû à mon background juridique, impliquée dans la négociation de contrats avec des partenaires... des litiges, le contrôle de la diligence, tout ce qui concerne notre liberté d’opérer face à des droits des tiers.

Je passe beaucoup de temps dans différentes réunions à travers l’organisation, je m’assure qu’on est informé et à l’affût des projets importants. Je gère également mon équipe évidemment, puis tout ce qui concerne le budget, puis la gestion de nos agents de brevets et de marques externes.

J’aide également mon patron et l’équipe de direction à rendre compte à notre conseil d’administration de nos différentes activités au niveau de la propriété intellectuelle. Tout récemment, par exemple, on a fait l’annonce de l’acquisition de 3 nouvelles sociétés, donc je suis également impliquée au niveau des fusions, des acquisitions et au niveau de la diligence qui est requise à ce niveau là.

MU : C’est très impressionnant d’entendre l’étendue des gens avec qui vous travaillez, et comment la PI semble faire partie de nombreuses pièces du casse tête. Je crois que plusieurs de nos auditeurs sont surpris d’entendre que même les produits naturels peuvent tirer profit et utiliser les droits de propriété intellectuelle. Pouvez-vous nous donner quelques exemples de droits de PI que Hexo, et peut-être même d’autres entreprises dans l’industrie du cannabis, utilise pour protéger leurs inventions et créations?

CL : Oui, bien sûr. Hexo et d’autres sociétés dans le domaine également utilisent évidemment des marques, des marques de commerce pour protéger nos marques et notre branding, nos noms de produits.

Ç’a été une grande partie de notre stratégie, et c’est également un aspect très important dans le domaine. On dépose également des demandes de brevets, des demandes de dessins industriels, et on s’appuie aussi beaucoup sur des secrets de commerce, comme vous le savez, qui est une façon de protéger le savoir-faire important et l’information confidentielle d’une entreprise.

En ce qui concerne les brevets, un des grands défis dans le domaine du cannabis est de trouver différentes façons de délivrer des cannabinoïdes et des façons non traditionnelles de produits de formulation, afin de délivrer et de s’assurer qu’il y a une absorption rapide des cannabinoïdes dans le corps.

Donc on veut s’éloigner, créer des produits qui sont peut-être pour des consommateurs qui ne veulent pas fumer ou vaporiser le cannabis. L’un des défis également des cannabinoïdes et du CBD, par exemple, est le fait que le CBD a un goût très amer, donc on a développé des technologies, par exemple, pour masquer le goût amer des cannabinoïdes. On a également développé différentes méthodes de formulation, différentes méthodes de fabrication, des dispositifs et différents systèmes associés à la production des différents produits, et évidemment, les techniques de culture des plantes, etc. Il y a aussi l’emballage, donc il y a de la recherche et développement qui se fait au niveau des emballages innovants. Hexo a développé différentes façons, par exemple, de rendre des emballages à l’épreuve des enfants.

Et évidemment, il y a aussi les droits de protection des obtentions végétales afin de protéger différentes nouvelles variétés de plantes, mais je dois dire que c’est une forme de protection qui est rarement utilisée. On en a vu des entreprises en déposer, mais nous, ça fait moins partie de notre stratégie. On se concentre principalement sur les brevets, les marques et les dessins industriels ainsi que les secrets de commerce.

MU : Wow, vous avez touché à à peu près tous les droits de PI dont l’OPIC traite quotidiennement. C’est incroyable d’entendre comment même quelque chose qui vous met sur un pied d’égalité avec vos compétiteurs – l’usage d’un produit naturel – que les droits de PI vous donnent une identité… qui vous êtes. D’après vous, de quoi aurait l’air Hexo sans aucun droit de PI?

CL : Pas facile comme question! C’est d’essayer de prévoir de quoi on aurait l’air aujourd’hui sans propriété intellectuelle. Premièrement, je dirais que Hexo a toujours été une entreprise innovante et, depuis ses débuts, accorde une grande importance à la mise en marché de produits innovants.

Donc on a toujours essayé de pousser l’industrie, d’introduire des produits qui sont très différents. Définitivement, on n’aurait pas les marques, le branding fort qu’on connaît aujourd’hui.

On aurait beaucoup plus de difficultés à se défendre contre nos concurrents qui utilisent ou adoptent des marques similaires, donc j’ai mentionné qu’on avait déjà eu des litiges… des litiges dans le domaine des marques de commerce. C’est un aspect important de notre exploitation de notre propriété intellectuelle dans les dernières années. En fait, c’est la partie intéressante des marques. C’est, dès qu’on commence à utiliser une marque, on obtient immédiatement une forme de protection, et on… c’est assez… on peut obtenir une marque déposée assez rapidement.

Les droits de propriété intellectuelle contribuent également à l’évaluation de notre entreprise et aux opportunités de financement; ça ajoute de la crédibilité à nos discussions avec des partenaires externes.

Alors, c’est difficile de mesurer de façon concrète, vous savez, quel impact la PI a eu, mais on a déjà vu, disons, un certain retour sur notre investissement de ce côté-là. C’est juste très difficile d’y mettre un chiffre. Du côté des brevets, notre portefeuille est jeune, il va falloir attendre un peu plus de temps pour que les brevets soient publiés puis délivrés, donc l’impact est à un peu plus long terme que les marques.

Cependant, on est une entreprise, comme j’ai mentionné, innovante… il y a aussi beaucoup de notre propriété intellectuelle qui n’est pas publiée ou officiellement protégée. Comme je l’ai déjà mentionné, ça nous donne certainement un avantage concurrentiel sur nos concurrents. Sans cette PI, je suis certaine qu’on ne serait pas l’un des meilleurs joueurs du cannabis au Canada, l’un des plus grands joueurs du cannabis au Canada. Ça nous a vraiment aidés à grandir comme on l’a fait jusqu’à présent, et je suis certaine que ça va aider à soutenir notre entreprise dans le futur.

MU : Incroyable. C’est incroyable… Vous avez mentionné plusieurs droits de PI, mais en particulier, vous parlez de marques de commerce et brevets, et je dois vous demander : avez-vous un type de PI préféré? Et si oui, pourquoi?

CL : Je dois vraiment dire les brevets parce que c’est vraiment mon domaine d’expertise et le domaine que je comprends le mieux et dans lequel j’ai baigné pour beaucoup plus longtemps que les autres types de PI. Mais j’avoue que j’apprécie de plus en plus les marques. C’était nouveau pour moi, les marques de commerce, quand je suis arrivée chez Hexo.

Je trouve les marques vraiment excitantes et intéressantes. J’aime la façon dont on peut les utiliser très rapidement pour protéger nos produits. C’est vraiment du concret tout de suite. Et aussi l’opposabilité des marques et le fait qu’on peut obtenir une protection immédiatement, ça les rend vraiment, vraiment utiles. Je trouve ça vraiment cool qu’on puisse les utiliser et voir l’impact de notre protection tout de suite.

On a eu également des litiges impliquant nos marques, ce qui rend les choses vraiment intéressantes. On n’a pas encore eu de litiges dans le domaine des brevets, comme je l’ai mentionné, il faut être un peu plus patient, mais on s’attend vraiment à ce que les brevets vont entrer en ligne de jeu plus tard, quand ils seront délivrés.

MU : Nous avons parlé de comment l’adoption de la Loi sur le cannabis a, en fait, créé l’industrie presque du jour au lendemain. Et aussi, c’est une loi où l’industrie est contrôlée de manière très stricte. Alors, je me demande, à part la propriété intellectuelle, est-ce qu’il y a d’autres éléments invisibles ou disons, des outils intangibles qui ont augmenté la valeur de vos affaires à Hexo?

CL : Définitivement. Hexo ne pourrait pas être en opération aujourd’hui sans les licences réglementaires qu’elle… qu’on a obtenu de Santé Canada. En fait, si on était vendu demain, je pense que beaucoup, beaucoup de valeur de l’entreprise serait attribuée à nos licences réglementaires.

Il y a beaucoup d’investissement en temps, en énergie, en coûts, qui est mis à obtenir les différentes licences dont on dispose pour produire, vendre du cannabis. Même pour faire de la recherche et développement, il faut avoir des licences.

Les normes réglementaires jouent également un rôle important, par exemple les normes… en anglais on les appelle les « GMP », en français je crois que ça se traduit en « règles de bonnes pratiques de fabrication ». C’est des normes de fabrication dans l’industrie qui, une fois qu’on les rencontre, ça apporte vraiment une bonne valeur et une crédibilité à nos produits.

En plus de ces normes, il y a des normes plus spécifiques qui sont intégrées à la Loi sur le cannabis et ses règlements, que les entreprises doivent respecter. Un exemple, j’ai déjà mentionné, c’est les normes relatives aux fonctionnalités de protection à l’épreuve des enfants, à tout ce qui, en anglais, on appelle « child resistance ». Donc il faut, en tant que producteur et vendeur de cannabis, qu’on les respecte. Oui, en gros, ce sont les quelques-uns de certains outils intangibles qui ont augmenté la valeur de notre entreprise certainement.

MU : Lorsque vous obtenez une licence de Santé Canada, quels sont les liens entre votre propriété intellectuelle et ces autres biens intangibles que vous venez de mentionner?

CL : Souvent, puis ça, ça se voit fréquemment dans le domaine de la haute technologie, par exemple, très souvent où est-ce qu’il y a certaines normes de performance que les entreprises doivent respecter, donc d’élaborer dans un… soit dans un standard ou dans un règlement quelconque.

Si en tant qu’entreprise… si on développe le seul moyen, ou le meilleur moyen, de répondre à la norme en particulier et qu’on réussit à obtenir un brevet couvrant les aspects qui nous permettent de rencontrer la norme, on peut alors, grâce à des accords de licences, être en mesure de mieux monnayer ou de valoriser notre portefeuille.

Donc c’est une stratégie qui est utilisée beaucoup dans le domaine de la haute technologie, et je pourrais voir qu’éventuellement… on va probablement voir ce même genre de stratégie qui va être utilisée ou qui va entrer en ligne de jeu dans le domaine du cannabis.

MU : C’est un monde bien complexe, mais je peux voir comment il y a bien des liens entre des éléments que les consommateurs ne sont pas au courant. Que diriez-vous à un entrepreneur qui a une idée, mais qui ne connaît rien au sujet de la PI?

CL : C’est une très bonne question, puis je suis heureuse que vous l’avez posée. Tout d’abord, un important principe de base est qu’on ne devrait pas divulguer nos idées sans entente, ou du moins une obligation de confidentialité. Plusieurs personnes ont de super bonnes idées, mais commettent l’erreur de divulguer de l’information importante à des tiers sans protection avant de protéger formellement leur innovation. Je dirais également qu’il est important d’obtenir de l’aide d’un expert en propriété intellectuelle le plus tôt possible, surtout si on a développé une technologie qui pourrait être brevetée. Demandez l’aide d’un expert en brevets expérimenté. Les toutes, toutes premières demandes de brevets déposées sont souvent les plus importantes et les plus fondamentales. C’est vraiment important de protéger les informations et de s’assurer que les concepts sont protégés formellement de la bonne façon.

La partie difficile, c’est de trouver un agent qui fera un très bon travail pour la rédaction… la rédaction de la demande, de bien capturer l’invention. Je suggérerais de rechercher des recommandations auprès d’autres entreprises ou d’autres entrepreneurs qui ont suivi le processus, et de vous assurer aussi d’être bien impliqué dans le processus, à chaque étape du processus, non seulement pour vous renseigner et vous éduquer, mais aussi pour passer en revue le travail de l’agent, pour vous assurer que les idées sont bien saisies.

D’après mon expérience depuis 20 ans, les demandes de brevets pour lesquelles les inventeurs sont étroitement impliqués dans le processus sont souvent les demandes de brevets qui sont de meilleure qualité, donc ce n’est vraiment pas à négliger.

Je dirais également qu’il est important de ne pas regarder votre idée de manière isolée, de déposer une demande, simplement une demande qui couvre un seul concept. Essayez de sortir des sentiers battus, de faire du brainstorming avec l’agent. Essayez de trouver, d’identifier, de prédire comment votre innovation évoluera au fil du temps et comment vous pourriez essayer de capturer plus tôt des variations de votre invention, puis d’essayer de bloquer la protection, d’élargir la protection.

Vous savez, quand vous voyez qu’une entreprise… quand… nous, on est souvent impliqué au niveau de l’évaluation d’entreprises dans le domaine, au niveau des acquisitions et tout ça… et quand on voit qu’une entreprise a fait l’effort de protéger non seulement l’innovation clé, mais qu’elle possède un groupe de brevets ou un portefeuille couvrant leur innovation, ça ajoute tellement plus de valeur à la propriété intellectuelle.

Donc je dirais mettre l’effort, de l’argent – c’est cher, c’est très dispendieux – mais sur le long terme, ça sera certainement payant, surtout si la stratégie de sortie de l’entreprise est d’être rachetée par une autre entreprise plus sophistiquée, ça va ajouter tellement plus de valeur à l’entreprise.

On dit aujourd’hui que 80 % de la valeur de la plupart des entreprises réside dans leur propriété intellectuelle, donc je dirais, investissez l’argent, l’effort plus tôt et, s’il y a une chose qui ne devrait pas être négligée, surtout dans des domaines de technologie, c’est la protection de la propriété intellectuelle plus tôt dans le processus.

MU : Wow! Alors, ne divulguez pas vos secrets, sortez votre boule de cristal, regardez ce que vous pouvez protéger, et prenez le temps qu’il faut et investissez dans le travail avec un professionnel afin de vous assurer que vous faites les bonnes choses, et tirez profit de vos efforts à long terme.

Catherine, ce fut un grand plaisir de vous parler aujourd’hui! Merci de nous avoir donné un aperçu de votre monde excitant à titre d’avocate en PI à Hexo. Merci!

CL : Merci, merci de m’avoir donné l’opportunité, je l’apprécie vraiment. C’était vraiment, vraiment plaisant. Merci beaucoup.

MU : Merci.

MU : Vous venez d’écouter « Voix de la PI canadienne », un balado sur la propriété intellectuelle. Dans cet épisode, vous avez rencontré Catherine Lemay, qui travaille comme avocate générale adjointe de la PI au sein de la compagnie de cannabis canadienne, Hexo. Catherine nous a aidés à comprendre quelques-uns des droits de PI dans l’industrie et l’importance d’entreprendre les démarches pour protéger votre propriété intellectuelle tôt dans le processus créatif. Si vous avez une idée, mais ne savez pas où commencer, visitez opic.gc.ca et défilez vers le bas de la page à « Éducation, outils et ressources » pour plus d’information.