Jean Lelièvre – le 30 janvier 2024

   No. de dossier du BSF : 1014326

DANS L’AFFAIRE DE LA CONDUITE PROFESSIONNELLE DE

JEAN LELIÈVRE, syndic autorisé en insolvabilité

 et

JEAN LELIÈVRE SYNDIC, syndic autorisé en insolvabilité

 

Devant Me Geneviève Chabot, déléguée de la surintendante des faillites.

Comparutions :

Me William Noonan
Me Frédéric Desgagné
Hickson Noonan
Procureurs du syndic autorisé en insolvabilité

Me Kloé Sévigny
Me Annie Laflamme
Ministère de la justice du Canada
Procureures de l’enquêteur


Motifs de décision et ordonnance


Introduction

  1. La présente affaire concerne la conduite professionnelle de Jean Lelièvre et de Jean Lelièvre Syndic (ensemble, le « Syndic »). Le 16 décembre 2022, M. Patrick Lebrun, un enquêteur du Bureau du surintendant des faillites (« BSF »), a présenté un rapport d’enquête sur la conduite professionnelle du Syndic (le « rapport ») faisant état de plusieurs infractions à la Loi sur la faillite et l’insolvabilité Footnote 1 (ci-après la LFI ) et au Code de déontologie des syndics, et recommandant la suspension des licences de Jean Lelièvre et Jean Lelièvre Syndic pour une période de neuf (9) mois.
  2. Tel que le lui permet l’article 14.02(1) de la LFI, le Syndic s’est prévalu de son droit de se faire entendre sur les conclusions et les recommandations du rapport. Une audition portant sur la question de la culpabilité du Syndic à l’égard des infractions reprochées dans le rapport a été tenue du 4 au 7 décembre 2023 devant la soussignée, agissant à titre de déléguée de la surintendante des faillites (la « déléguée »).
  3. Pour les motifs suivants, la déléguée conclut que les allégations quant à l’encaissement d’honoraires dans des dossiers de faillite d’administration ordinaire et d’administration sommaire, à la nomination d’inspecteurs à une assemblée de créanciers sans quorum, à la signature de documents irréguliers et aux lacunes dans la gestion de propositions concordataires ont été établies par la preuve selon la prépondérance des probabilités. La déléguée conclut en outre que les allégations quant au non-remboursement d’honoraires encaissés sans autorisation ne rencontrent pas le degré de gravité requis pour constituer des fautes déontologiques. L’affaire est référée pour une audition visant la détermination des sanctions appropriées.

Historique procédural

  1. Jean Lelièvre a obtenu une licence de syndic individuel en 2004, tandis que Jean Lelièvre Syndic s’est vu octroyer une licence de syndic corporatif en 2015. Le bureau principal du Syndic est situé dans la région de Québec. Le Syndic conduit ses activités dans les régions de la ville de Québec, Montréal et la Montérégie.
  2. Le 2 décembre 2019, des instructions de mesures conservatoires ont été émises par Mme Samra Rabie, directrice régionale au BSF, en vertu de l’article 14.03 de la LFI. L’imposition de ces mesures conservatoires faisaient suite à trois visites ciblées de représentants du BSF aux bureaux du Syndic dans le cadre desquelles des retraits pour avances d’honoraires sans l’autorisation préalable des créanciers, d’inspecteurs ou du tribunal avaient été constatés dans 17 dossiers d’administration ordinaire en contravention au paragraphe 25(1.3) de la LFI et à l’article 4 de l’Instruction no 27R – Avances de rémunération du syndic dans les faillites d’administration ordinaire. Ces visites ciblées avaient également révélé que des honoraires finaux avaient été prélevés avant le délai prévu à l’alinéa 65(1)(a) des Règles générales sur la faillite et l’insolvabilité Footnote 2 (ci-après les Règles) dans 17 dossiers d’administration sommaire. En vertu des instructions de mesures conservatoires émises par Mme Rabie, le Syndic s’est notamment vu imposer l’obligation de faire contresigner par une personne autorisée du BSF tout chèque émis sur le compte d’un actif par le Syndic.
  3. Le 1er avril 2020, les mesures conservatoires ont été levées par Mme Rabie pour être remplacées par des mesures administratives incluant la surveillance quotidienne du solde des comptes bancaires en fidéicommis et aux livres, et la surveillance mensuelle des conciliations de ces comptes par le BSF. De plus, tout chèque émis au bénéfice du Syndic ou des personnes ou sociétés qui y sont liées devait être contresigné par une personne autorisée du BSF. Le 9 décembre 2020, ces mesures administratives ont été modifiées, de sorte que la signature d’une personne autorisée du BSF n’était dorénavant nécessaire que dans le cas de chèques d’une valeur de plus de 1 000$.
  4. Les constats effectués par les représentants du BSF lors des visites ciblées de l’automne 2019 ont mené à la recommandation d’une enquête sur la conduite professionnelle du Syndic. Le 29 novembre 2019, Mme Rabie a mandaté M. Lebrun de « faire l’analyse de la preuve, de veiller à obtenir un complément d’enquête s’il y a lieu, de faire toutes investigations additionnelles que vous jugerez nécessaire quant à la conduite professionnelle » du Syndic en vertu du paragraphe 5(3)e) de la LFI. Le Syndic a été avisé de l’ouverture de l’enquête le 2 décembre 2019.
  5. Le 30 juin 2020, l’enquêteur a présenté un « Résumé préliminaire d’enquête sur la conduite professionnelle » du Syndic.Footnote 3 Le Syndic a eu l’opportunité de fournir ses commentaires à l’égard du résumé préliminaire d’enquête. À la suite de ces commentaires, certaines allégations, dont des allégations ayant trait à des frais de photocopie et à des retraits au comptoir, ont été retirées du rapport. Le 16 décembre 2022, l’enquêteur a rendu son rapport final.
  6. La présente instance a été introduite par Mme Kirti Manek, surintendante associée – Intégrité et enquêtes le 12 janvier 2023. Le 25 janvier 2023, le greffe du BSF a avisé le Syndic de l’introduction de l’instance et de son droit à une audition. Le 23 février 2023, les procureurs du Syndic ont informé le greffe que leurs clients demandaient une audition dans cette affaire.
  7. À la demande des parties lors de la conférence préparatoire, la présente instance a été scindée. L’audition tenue du 4 au 7 décembre 2023 et la présente décision ne portent que sur la question de la culpabilité du Syndic à l’égard des infractions reprochées dans le rapport d’enquête.

Le droit

  1. Le rapport fait état de deux types d’infractions, soit des infractions à la LFI, aux Règles, et aux Instructions émises par le BSF relativement à la gestion par le Syndic de certains dossiers de faillite et de proposition, et des infractions au Code de déontologie des syndics, lequel est contenu aux articles 34 à 53 des Règles. Comme il en sera discuté plus loin, dans certains cas ces deux types d’infractions font l’objet d’un chevauchement.
  2. Les infractions aux dispositions de la LFI, et, par implication, aux Règles et aux Instructions émises en vertu de la LFI sont de nature réglementaire. Elles sont ainsi sujettes à la présomption qu’elles sont de la catégorie des infractions de responsabilité stricte.Footnote 4 Dans l’arrêt Bureau du surintendant des faillites c. MacLeod,Footnote 5 la Cour d’appel fédérale du Canada s’est penchée sur l’interprétation et l’application de la défense de diligence raisonnable par le délégué du surintendant des faillites dans le cadre d’une affaire mettant en cause certaines infractions à la LFI. En accueillant l’appel au motif que le syndic n’avait pas établi une défense de diligence raisonnable à l’égard de certaines infractions et en renvoyant le dossier au délégué pour la détermination des mesures disciplinaires appropriées, la Cour d’appel fédérale a implicitement reconnu que les infractions à la LFI sont de la catégorie des infractions de responsabilité stricte.
  3. Une infraction de responsabilité stricte « entraîne condamnation sur la simple preuve que le défendeur a commis l’acte prohibé qui constitue l’actus reus de l’infraction. Aucun élément moral n’est nécessaire ».Footnote 6 Ainsi, contrairement aux infractions criminelles, la culpabilité en matière d’infractions réglementaires ne requiert pas l’établissement d’une mens rea La simple commission de l’infraction entraîne la culpabilité.
  4. Une personne accusée d’avoir commis une infraction de responsabilité stricte peut se disculper par l’entremise d’une défense de diligence raisonnable. Cette défense est recevable « si l’accusé croyait pour des motifs raisonnables à un état de faits inexistant qui, s’il avait existé, aurait rendu l’acte ou l’omission innocent, ou si l’accusé a pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’événement en question ».Footnote 7 Le fardeau incombe à la personne accusée d’une infraction de responsabilité stricte de démontrer selon la prépondérance des probabilités l’existence des éléments propres à soutenir une défense de diligence raisonnable.
  5. L’article 13.5 de la LFI assujetti les syndics au Code de déontologie des syndics, lequel fait partie intégrante des Règles. L’article 34 des Règles impose aux syndics des « normes élevées de déontologie ». Selon l’article 36 des Règles, ces normes élevées comprennent notamment les obligations suivantes:

36. Le syndic s’acquitte de ses obligations dans les meilleurs délais et exerce ses fonctions avec compétence, honnêteté, intégrité, prudence et diligence.

  1. Le Code de déontologie des syndics contenu aux Règles n’a, pour l’instant, jamais fait l’objet de discussions approfondies au niveau judiciaire. Les parties ont soumis à l’attention de la déléguée plusieurs décisions disciplinaires émises par divers ordres professionnels au Québec. Ces décisions suggèrent qu’une faute déontologique n’est établie qu’à l’atteinte d’un certain niveau de gravité. Dans Opticiens d'ordonnances (Ordre professionnel des) c. Salemi,Footnote 8 le Conseil de discipline de l’Ordre des opticiens d’ordonnances du Québec a accepté la définition de la faute déontologique comme étant « un manquement à une norme et qui comporte une certaine gravité tenant compte des circonstances de l’espèce », et a indiqué que le cadre d’analyse « s’effectue sur deux axes, à savoir « l’écart suffisant et la faute suffisamment grave » ».Footnote 9 Le Tribunal des professions du Québec, dans l’arrêt Médecins (Ordre professionnel des) c. Bissonnette,Footnote 10 décrit la notion de gravité en matière disciplinaire comme suit :

[41] La jurisprudence reconnaît le principe selon lequel tout manquement d'ordre professionnel ne constitue pas nécessairement une faute déontologique.  L'idée est généralement exprimée en termes de gravité.  Ainsi on dira, comme l'énonce le Conseil en l'espèce, que la faute professionnelle doit atteindre un niveau de gravité suffisant pour être qualifiée de faute déontologique.

[42] Le présent débat soulève la question de l'évaluation de la gravité.  Sur quelle échelle la faute professionnelle doit-elle être mesurée pour atteindre le degré de gravité suffisant pour être qualifiée de faute déontologique?

[43] Pour éviter un exercice de pondération arbitraire basé sur des facteurs variables au gré des circonstances de chaque cas, la jurisprudence et la doctrine préconisent de s'en remettre aux fondements mêmes de la déontologie professionnelle, c'est-à-dire aux valeurs inspirées par l'éthique, la moralité, la probité, l'honneur et la dignité nécessaires pour assurer la protection du public.

[44] Une faute qui ne porte pas atteinte à ces valeurs sera généralement qualifiée de faute technique, c'est-à-dire une faute relevant de l'erreur, de la maladresse, de l'incompétence, de l'imprudence, voire de la négligence, mais qui n'enfreint pas pour autant un devoir d'ordre déontologique.Footnote 11

  1. Il est ainsi bien établi que toute erreur commise par un professionnel, incluant une erreur d’interprétation de la loi,Footnote 12 ne constitue pas nécessairement une faute déontologique.Footnote 13
  2. Certaines décisions citées par le Syndic suggèrent par ailleurs que pour constituer une faute déontologique, une violation d’obligations telles que la prudence, la diligence, l’habileté et la compétence, comme on les retrouve à l’article 36 des Règles, doit être suffisamment grave pour entacher la moralité ou la probité professionnelle de la personne visée. Comme l’indique le Tribunal des professions dans Ingénieurs (Ordre des) c. Bilodeau:Footnote 14

[48] Le Comité devait plutôt, et c'est ce qu'il a fait, déterminer si l'intimé a commis une faute déontologique, dans les circonstances révélées par la preuve. Bien que le concept de faute déontologique soit encore largement indéfini dans la jurisprudence, on peut tout de même référer à la décision Comité - dentistes – 1 qui tente de résumer l'état du droit sur cette question:

« […] le non-respect des normes implique une violation de l'obligation de prudence, de diligence, d'habileté et de compétence, alors que l'erreur technique découle d'une défaillance accidentelle dans l'exécution d'un acte pourtant planifié et entrepris avec prudence, diligence, habileté et compétence. De plus, pour que ce non-respect des normes constitue une faute déontologique, encore faut-il que la violation par un professionnel de son obligation de prudence, de diligence, d'habileté et de compétence soit, d'autre part, suffisamment grave pour entacher sa moralité ou sa probité professionnelle. » Footnote 15

  1. Dans Bianchi, la Cour du Québec, citant le Tribunal des professions dans Ayotte c. Gingras,Footnote 16 réfère à une conduite qui « répugne par rapport au respect des standards requis ».
  2. La norme de preuve applicable en matière disciplinaire est celle de la prépondérance des probabilités.Footnote 17

Preuve documentaire et testimoniale

  1. La preuve documentaire dans ce dossier se compose du rapport et de ses 21 annexes, des pièces JL-1 à JL-43 communiquées par le Syndic, et des pièces ENQ-1 à ENQ-4 communiquées par l’enquêteur avant l’ouverture de l’audition. Au cours de l’audition, les procureurs du Syndic ont divulgué certains documents au sujet desquels ils ont contre-interrogé Mme Johanne Picard. Ces documents ont été admis en preuve et libellés JL-44 à JL-46.Footnote 18
  2. La preuve testimoniale comprend un total de sept (7) témoins. M. Lebrun est le seul témoin ayant comparu du côté de l’enquêteur. Le Syndic a initialement indiqué vouloir appeler onze (11) témoins. Il a renoncé à faire témoigner trois (3) des témoins annoncés. La déléguée a, de plus, rendu certaines décisions refusant l’assignation de deux (2) témoins, soit Mme Lyne Laroque et Mme Dominique Laflamme.Footnote 19 Les témoins appelés à comparaître du côté du Syndic comprennent donc M. Jean Lelièvre, M. Louis Nolet, Mme Fatoumata Diallo, Mme Diane Lelièvre, Mme Johanne Picard et M. Bernard Duval. Le contenu de leurs témoignages sera résumé plus loin lorsqu’il sera question de chacune des infractions.
  3. Cependant, puisqu’une partie de l’argumentaire du Syndic repose sur la crédibilité, la compétence et la bonne foi de deux témoins, soit M. Lebrun et Mme Picard, il convient de s’y attarder dès maintenant.
  4. Le Syndic plaide que les reproches formulés à son encontre s’inscrivent « dans le cadre d’une « chasse aux sorcières » alimentée par un conflit de personnalité prévalant entre le Syndic, l’Inspecteur et certains membres du personnel du Bureau du surintendant des faillites, dont Johanne Picard ». Il plaide que le rapport de l’enquêteur « ratisse trop large » et s’attarde à des conduites qui se sont révélées bénéfiques pour les créanciers. Le Syndic plaide que l’attitude de M. Lebrun lors de son contre-interrogatoire constitue une « démonstration éloquente de son désir d’avoir raison et de « régler le cas » du Syndic », puisque M. Lebrun refusait de répondre aux questions, qu’il était hostile et qu’il a utilisé « divers faux-fuyants » et discuté de « sujets périphériques » aux questions qui lui étaient posées au lieu de répondre avec précision et sincérité à ces questions. Le Syndic insiste, en particulier, sur le fait que M. Lebrun a sous-entendu lors du contre-interrogatoire que certains relevés de transaction qui lui avaient été transmis pouvaient être faux, ce qui démontre, selon le Syndic, son biais défavorable envers le Syndic.
  5. Les critères applicables à l’appréciation de la crédibilité d’un témoin ont été résumés dans l’arrêt Boulin c. Axa Assurances inc. Footnote 20 comme suit :

[141] Les critères retenus par la jurisprudence pour jauger la crédibilité, sans prétendre qu'ils sont exhaustifs, peuvent s'énoncer comme suit :

  1. Les faits avancés par le témoin sont-ils en eux-mêmes improbables ou déraisonnables?
  2. Le témoin s'est-il contredit dans son propre témoignage ou est-il contredit par d'autres témoins ou par des éléments de preuve matériels?
  3. La crédibilité du témoin a-t-elle été attaquée par une preuve de réputation?
  4. Dans le cours de sa déposition devant le tribunal, le témoin a-t-il eu des comportements ou attitudes qui tendent à le discréditer?
  5. L'attitude et la conduite du témoin devant le tribunal et durant le procès révèlent-elles des indices permettant de conclure qu'il ne dit pas la vérité?

[142] Ces critères d'appréciation de la crédibilité peuvent prendre en compte non seulement ce qui s'est dit devant le tribunal, mais aussi d'autres déclarations, verbalisations ou gestes antérieurs du témoin.

[143] Ainsi, un témoin qui, en des moments différents relativement aux mêmes faits, donne des versions différentes porte atteinte à la crédibilité de ce qu'il avance.

[144]  Dans l'évaluation de la crédibilité d'un témoin, il est important de considérer sa faculté d'observation, sa mémoire et l'exactitude de ses déclarations.

[145]  Il est également important de déterminer s'il tente honnêtement de dire la vérité, s'il est sincère et franc ou au contraire s'il est partial, réticent ou évasif.

[146]  La crédibilité d'un témoin dépend aussi de sa connaissance des faits, de son intelligence, de son désintéressement, de son intégrité, de sa sincérité.

  1. M. Lebrun s’est révélé être un témoin crédible. Rien d’indique qu’il ait menti lors de son témoignage, ce que le Syndic ne conteste d’ailleurs pas puisqu’il n’a formulé aucune allégation en ce sens. Le témoignage de M. Lebrun était cohérent, dénué de contradictions et appuyé par la preuve documentaire. Si le Syndic conteste les conclusions et les recommandations du rapport, aucun élément de preuve n’a été avancé pour contredire les faits sur lesquels ces conclusions et recommandations sont basées.
  2. Quant à l’attitude et à la conduite de M. Lebrun en contre-interrogatoire, il est clair que M. Lebrun s’est montré prudent et nuancé dans ses réponses. Cependant, il n’était pas hostile et n’a jamais refusé de répondre aux questions des procureurs du Syndic. Ceux-ci se sont parfois montrés impatients et désireux d’obtenir des réponses simples à des questions complexes ou qui demandaient certaines nuances, ce à que M. Lebrun a résisté comme il en a le droit. L’échange suivant illustre ce fait:

Q. O.K. D'abord, vous avez mentionné dans votre rapport, le volume, le nombre de dossiers que monsieur Lelièvre avait au moment de faire votre portrait de la situation. Alors, vous le mentionnez à la page... vous le mentionnez à la page 3 de votre... page 4 de votre rapport, à la rubrique 6. Oui?

R. C'était le portrait... l'inventaire du...

Q. Sept (7) décembre deux mille vingt-deux (2022)?

R. C'est bien ça.

Q. C'est un inventaire, vous le qualifiez comment, là, dans votre expérience, là, c'est quand même costaud comme inventaire de dossiers pour la grosseur du bureau?

R. Bien, je ne pourrais pas le qualifier, maître Noonan.

Q. Alors, tantôt, vous étiez capable d'utiliser votre expérience, là, pour être capable de dire ce qui était normal, pas normal, bon, pas bon. Alors, je vous demande si le volume de monsieur Lelièvre à la page 4 est un volume costaud pour quelqu'un qui est à son compte ou pas, puis votre réponse, c'est : « Je ne suis pas capable d'évaluer ça. »?

R. Les inventaires de syndic varient énormément d'une personne à l'autre, d'un syndic à l'autre. Il y en a qui vont se contenter d'administrer cent (100) dossiers ouverts...

Q. Avez-vous compris ma question?

R. Il y a des syndics qui vont...
Me KLOÉ SÉVIGNY :
Maître Noonan, il vous répond.
Me WILLIAM NOONAN :

Non non, mais c'est parce que ça va être long, là, je n'aurai pas fini, monsieur, il ne répond pas. Alors, c'est facile, il dit : « Je ne le sais pas. Je ne veux pas le dire ou pas », c'est ça les réponses, là.

Me KLOÉ SÉVIGNY :

Bien, à ce moment-là, maître Noonan, qualifiez c'est quoi « costaud ». Parce que moi, avoir cent cinquante (150) dossiers, ce n'est pas costaud, vous, peut-être que ça l'est, qualifiez « costaud ».

Me WILLIAM NOONAN :

Cent cinquante (150), il y a en mille (1 000).

Me KLOÉ SÉVIGNY :

Je donne des exemples, là.

Me GENEVIÈVE CHABOT, juge administrative :

Écoutez, n'argumentez pas...

Me WILLIAM NOONAN :

Oui.

Me GENEVIÈVE CHABOT, juge administrative :

Non, n'argumentez pas un contre l'autre, là.

Me WILLIAM NOONAN :

Oui.

Me GENEVIÈVE CHABOT, juge administrative :

Écoutez, le témoin est en train de répondre.

Q. Brièvement, votre réponse à la question de maître Noonan : est-ce que dans votre expérience, c'est costaud?

R. Je dirais que le volume de dossiers d'un syndic varie énormément d'un à l'autre et ça dépend aussi de l'équipe qu'il a en place pour l'administrer. Alors, ce qui... ce qui est un nombre pour un syndic, il peut... il peut être costaud, mais pour un autre syndic, peut être tout à fait facilement gérable. Donc...

Me WILLIAM NOONAN :

Q. Donc, vous ne le savez pas?

R. Je ne pourrais pas qualifier.

  1. Le fait que M. Lebrun ait cherché à être précis dans ses réponses ne met pas en doute son honnêteté ou sa sincérité, mais démontre, au contraire, un souci de fournir à la déléguée des informations justes basées sur les faits et non sur des spéculations.
  2. Par ailleurs, il ressort de la transcription du contre-interrogatoire de M. Lebrun que la prétention du Syndic selon laquelle M. Lebrun aurait sous-entendu que M. Lelièvre ou ses procureurs aient produit de faux documents est exagérée. L’extrait en question démontre en fait que M. Lebrun ait cherché, une fois de plus, à offrir une réponse prudente et non à accuser qui que ce soit d’avoir produit de faux documents:

Q. Vous convenez que c'était... tout ça, là, que c'était fait correctement, c'était vraiment un virement bancaire, vous convenez ça?

R. Sur la base du document qui a été fourni, s'il est valide, je conclus que c'était...

Q. Ah, il n'est peut-être pas valide?

R. Je n'en sais rien.

Q. Ah, vous n'en savez rien? Mais vous prenez pour acquis qu'il n'est pas valide?

  1. Les procureures de l’enquêteur s’étant ensuite objectées à la pertinence des questions des procureurs du Syndic, la conversation sur ce point ne s’est pas poursuivie au-delà de ces quelques phrases. La déléguée ne peut conclure, sur la base de ce court extrait, que M. Lebrun ait sous-entendu la production de faux documents par le Syndic ou ses procureurs.
  2. Les procureurs du Syndic s’en prennent également à la compétence et à la bonne foi de Mme Picard, une analyste principale au BSF. Mme Picard a été appelée par le Syndic afin de témoigner sur la conduite du Syndic dans certains dossiers. La déléguée note que Mme Picard ne s’est pas présentée en personne à la date et à l’heure stipulées dans l’assignation émise par la déléguée et qui lui avait été transmise par huissier le 29 novembre 2023. Elle s’est toutefois présentée virtuellement le lendemain, soit le 5 décembre 2023 et a été interrogée par les procureurs du Syndic. Les procureures de l’enquêteur n’ont pas contre-interrogé Mme Picard.
  3. Les procureurs du Syndic soumettent que Mme Picard a signé des lettres de commentaires négatifs dans certains dossiers afin de forcer le Syndic à faire taxer ses états de recettes et débours pour, par la suite, se désintéresser des dossiers et n’effectuer aucun suivi sur ce qui est advenu de la taxation des dossiers. Selon le Syndic, Mme Picard « met le feu », écrit « des bêtises » et des « lettres incendiaires », mais ne se présente jamais à la Cour supérieure pour s’expliquer. De plus, lors de son témoignage, Mme Picard a indiqué que les faits soutenant certaines lettres de commentaires négatifs, tels que ceux ayant trait aux frais de photocopie dans le dossier de la succession de Gaston Bouffard, lui avaient été communiqués par M. Lebrun. Le Syndic allègue donc que Mme Picard agit comme « ventriloque » de M. Lebrun, ce qui explique pourquoi elle ne s’est jamais présentée en cour pour s’expliquer.
  4. Il convient de noter que la question des frais de photocopie dans le dossier de la succession de Gaston Bouffard ne se retrouve pas dans le rapport de l’enquêteur. Aucune infraction n’est reprochée au Syndic à cet égard.
  5. Les reproches formulés par le Syndic à l’encontre de M. Lebrun et de Mme Picard servent à étayer sa théorie selon laquelle ces deux employés du BSF sont engagés dans une « chasse aux sorcières » contre le Syndic. Le Syndic semble reprocher à M. Lebrun et à Mme Picard de s’être intéressés à son dossier. La preuve ne permet pas de conclure que cet intérêt relève d’une « vendetta » ou d’un conflit de personnalités, tel que l’allègue le Syndic. Rien ne permet d’affirmer que M. Lebrun et Mme Picard aient agi hors de leur mandat au sein du BSF, qu’ils aient menti, ou aient commis quelque faute professionnelle que ce soit. Au contraire, et tel que nous le verrons à l’instant, les infractions reprochées au Syndic suite à l’activité de surveillance du BSF sont appuyées de façon objective par la preuve, et celles qu’ils ne l’étaient pas n’apparaissent pas au rapport final. Rien ne permet d’affirmer que M. Lebrun ou Mme Picard ait eu le pouvoir ou la discrétion d’ignorer ces infractions.
  6. Il convient également de noter que M. Lebrun et Mme Picard ne sont pas les seuls employés du BSF à avoir été impliqués dans les activités de surveillance à l’égard du Syndic. Pourtant, aucun reproche n’est formulé à l’encontre de Mme Rabie, qui a mis en place les instructions de mesures conservatoires en décembre 2019 et a donné à M. Lebrun le mandat d’enquêter sur la conduite professionnelle du Syndic, ou de M. Nolet, qui était alors le surintendant adjoint pour le district de Québec et qui, avec M. Lebrun, avait recommandé les mesures conservatoires et qui a subséquemment mis en place les mesures administratives. Les interventions de M. Lebrun et de Mme Picard, si elles déplaisent au Syndic, étaient sanctionnées par les hauts dirigeants du BSF, mettant ainsi en doute la théorie avancée par le Syndic qu’ils agissaient pour des motifs personnels.

Analyse

  1. Le rapport fait état de six catégories d’infractions à la LFI, aux Règles et aux Instructions émises par le BSF, soit des infractions au niveau de l’encaissement d’honoraires dans des dossiers de faillite d’administration ordinaire et d’administration sommaire, du non-remboursement d’honoraires encaissés sans autorisation, de la nomination d’inspecteurs à une assemblée de créanciers sans quorum, de la signature de documents irréguliers, et de lacunes dans la gestion de propositions concordataires. Ces infractions, et la défense offerte par le Syndic pour chacune d’entre elles, seront tour à tour analysées.

Encaissement d’honoraires

Administration ordinaire

  1. Dans le cadre d’une visite ciblée, un échantillon de 29 dossiers d’administration ordinaire a été constitué en vue de vérifier l’encaissement des honoraires du Syndic. Selon l’enquêteur, dans 17 de ces dossiers une approbation en bonne et due forme par les inspecteurs, les créanciers ou le tribunal pour des avances n’a pas été obtenue par le Syndic en contravention à l’article 25(1.3) de la LFI et à l’Instruction no 27R. L’article 25(1.3) prévoit que « le syndic ne peut effectuer aucun retrait de fonds sur le compte en fiducie ou en fidéicommis d’un actif, sans la permission écrite des inspecteurs ou, sur demande, celle du tribunal, sauf en cas de paiement de dividendes ou de frais se rapportant à l’administration de l’actif ». En ce qui concerne les avances de rémunération en particulier, l’article 4 de l’Instruction no 27R spécifie qu’elles ne peuvent être prises par le Syndic que sur permission:

4. Afin de retirer une avance de rémunération, le syndic doit obtenir la permission requise, soit par résolution adoptée à l'assemblée des créanciers ou par résolution adoptée par la majorité des inspecteurs, ou obtenir du tribunal une ordonnance autorisant le paiement de l'avance.

  1. Le rapport allègue également qu’en encaissant ces avances d’honoraires sans les autorisations requises, le Syndic a agi en non-conformité à l’article 13.5 de la LFI et aux articles 34 et 36 des Règles en vertu desquels il devait s’acquitter de ses obligations avec compétence, honnêteté, intégrité et prudence.
  2. Bien qu’ils aient été traités tous ensemble dans le rapport, les 17 dossiers d’administration ordinaire seront ici divisés entre les dossiers où des dépôts de tiers ont été effectués (10 des 17 dossiers), les dossiers où aucun dépôt de tiers n’a été effectué (6 des 17 dossiers), et un dossier où l’Agence du revenu du Québec a autorisé la prise de certains honoraires.
  3. Le tableau ci-dessous résume les informations pertinentes quant aux 10 dossiers où des dépôts de tiers ont été effectués: 

Tableau 1 – Dossiers d’administration ordinaire où des dépôts de tiers ont été effectués

Dossier

Date de l’avance

Montant de l’avance

Date de l’autorisation

Montant de l’autorisation

9325-9265 Québec Inc. – SB Mega Réno Footnote 21

28 juin 2016

2 812,56$

13 septembre 2016

3 229,94$

Les Placements GND Inc.Footnote 22

8 août 2017

2 600,00$

23 mai 2019

3 741,21$

Centre Dentaire de la Bravoure Inc.Footnote 23

27 juin 2018

4 019,01$

26 avril 2021

30 649,01$

28 juin 2018

3 000,00$

11 septembre 2018

5 900,00$

Pizza Madez Inc.Footnote 24

6 décembre 2018

5 000,00$

5 septembre 2019

11 410,10$

14 décembre 2018

1 150,00$

21 juin 2019

1 400,00$

4 juillet 2019

1 500,00$

2950-7274 Québec Inc. – Eureka Media Concept Footnote 25

7 décembre 2018

3 200,00$

27 mai 2019

4 201,52$

8 avril 2019

1 150,00$

27 octobre 2019

90,43$

Transport Adam (2015) Inc.Footnote 26

14 janvier 2019

525,00$

7 février 2020

7 juin 2021

1 788,98$

144,77$

7 mars 2019

435,00$

8 mai 2019

235,00$

21 juin 2019

425,00$

Cristina Maria Domingues Footnote 27

17 janvier 2019

5 550,00$

   

Les Parquets Distinction J. Lorrain Inc.Footnote 28

8 mai 2019

2 600,00$

3 octobre 2019

7 500,00$

9180-5531 Québec Inc. – Jardins Select Inc.Footnote 29

21 mai 2019

4 300,00$

28 août 2019

3 654,08$

9209-0851 Québec Inc. – Paradis auto esthétique Footnote 30

11 juillet 2019

7 000,00$

4 octobre 2019

7 040,00$

  1. Le tableau 1 démontre que le Syndic s’est approprié des avances d’honoraires de quelques semaines à quelques mois avant l’autorisation dans les dossiers analysés. Dans le dossier 9180-5531 Québec Inc. – Jardins Select Inc., l’avance d’honoraires excédait le montant éventuellement autorisé. Il est à noter que les dates et les montants apparaissant au tableau 1 sont appuyés par la preuve documentaire et ne sont pas contestés par le Syndic. D’ailleurs, dans une lettre datée du 17 janvier 2020 adressée à l’enquêteur, les procureurs du Syndic confirment que leurs « clients n’ont pas obtenu d’approbation des inspecteurs, des créanciers ou du tribunal préalablement aux paiements des avances d’honoraires dont votre lettre fait état pour les dix-sept (17) dossiers auxquels vous référez ».Footnote 31
  2. Le Syndic allègue avoir eu une croyance sincère en son droit de percevoir ses honoraires pour justifier sa conduite dans les dossiers d’administration ordinaire où des dépôts de tiers ont été effectués. En interrogatoire, M. Lelièvre a indiqué qu’il s’était fié sur le jugement de M. le Juge Yves Alain dans l’affaire Riviera Security Services Inc. (Syndic de),Footnote 32 qu’il avait interprété comme lui donnant le droit de percevoir ses honoraires lorsque ceux-ci provenaient de dépôts de tiers. Or, cette croyance s’est révélée être erronée en droit puisque le jugement de M. le Juge Gaétan Dumas rendu l’année suivante dans l’affaire ADB Gravures Inc. c. François Huot Syndic Inc.Footnote 33 est venu préciser que les principes de Riviera ne s’appliquent que lorsqu’il y a entente d’honoraires pour services professionnels rendus par le syndic à des créanciers garantis. Hormis ces instances, les dépôts de tiers ne peuvent servir à payer les honoraires du Syndic qu’une fois ces honoraires dûment taxés.
  3. Comme l’a indiqué la Cour suprême du Canada dans La Souveraine, la défense de diligence raisonnable n’est pas recevable dans les cas où la commission d’une infraction découle d’une erreur de droit:

[57] Cette défense ne sera cependant pas recevable si le défendeur n’invoque qu’une erreur de droit pour expliquer la commission de l’infraction.  En droit canadien, l’erreur de droit ne peut servir à fonder une défense valable que si elle a été provoquée par une personne en autorité et si les conditions limitant l’application de cette défense énoncée dans l’arrêt R. c. Jorgensen, 1995 CanLII 85 (CSC), [1995] 4 R.C.S. 55, sont respectées. Ainsi, il est inutile pour un défendeur de démontrer qu’il a déployé des efforts raisonnables pour connaître la loi ou que, par méconnaissance de celle-ci, il a agi de bonne foi.  Une telle preuve ne saurait écarter sa responsabilité.

  1. Dans R c. Jorgensen,Footnote 34 la Cour a précisé que dans le cas d’une erreur de droit, la défense de diligence raisonnable n’est disponible que si l’accusé s’est fié sur un avis raisonnable émis par une personne en autorité :

Pour qu'un accusé puisse se fonder sur cette excuse, il doit prouver, après avoir établi qu'il a commis une erreur de droit, qu'il a examiné sa position à l'égard de la loi, a consulté une personne en autorité compétente en la matière, a obtenu un avis raisonnable et s'est fondé sur cet avis pour accomplir ses actes.

  1. Dans le cas qui nous occupe, le Syndic n’a fait aucune démarche pour consulter une personne en autorité au sein du BSF afin de vérifier sa compréhension des principes applicables à la prise d’avances d’honoraires dans le cas où des dépôts de tiers avaient été effectués. La preuve révèle que le Syndic a éventuellement consulté ses avocats en novembre 2019 Footnote 35 pour faire les vérifications appropriées. Aucune infraction n’est reprochée au Syndic après l’émission de l’avis juridique du 18 novembre 2019. Bien que les démarches entreprises par le Syndic pour confirmer les principes applicables témoignent de sa bonne foi, ces démarches ne sauraient fonder une défense de diligence raisonnable contre les infractions à l’article 25(1.3) de la LFI et à l’Instruction no 27R constatées dans ces dix dossiers entre 2016 et novembre 2019.
  2. Quant à l’argument du Syndic selon lequel le droit en cette matière est complexe, la déléguée note que dans La Souveraine, la Cour suprême du Canada a expressément remis à plus tard la question de savoir si une nouvelle exception permettant l’établissement de la défense de diligence raisonnable lorsque la méconnaissance de la loi est justifiée, par exemple lorsque la loi en question est particulièrement complexe, devrait être créée. Puisque la Cour suprême du Canada ne s’est pas penchée sur la question depuis, la règle générale en vertu de laquelle l’erreur de droit ne peut fonder une défense de diligence raisonnable demeure.
  3. Dans le dossier Rémi Boivin, le Syndic allègue qu’il avait été autorisé à prélever des honoraires pour la vente d’un véhicule au compte de l’Agence du revenu du Québec, laquelle avait une hypothèque légale sur le véhicule. En vertu de son mandat, le Syndic était en droit de prélever 15% de la somme obtenue en honoraires pour la vente du véhicule. En contre-interrogatoire, M. Lelièvre a admis que le mandat ne lui permettait pas de prendre ses honoraires en avance de la taxation. Ainsi, le Syndic a remboursé les sommes à la demande du BSF et les a récupérées une fois ses honoraires taxés.
  4. En ce qui concerne les six dossiers d’administration ordinaire dans lesquels aucun dépôt de tiers n’a été effectué, soit les dossiers 9026-6313 Québec Inc. – École de formation MKO,Footnote 36 9229-8223 Québec Inc. – Les installations Charles Therrien,Footnote 37 Les Jardins S.M.,Footnote 38 Julie Marchand,Footnote 39 Serge Lestage Footnote 40 et Succession Gaston Bouffard,Footnote 41 M. Lelièvre a reconnu lors de son interrogatoire que la prise d’avances d’honoraires sans autorisation préalable relevait d’une erreur. M. Lelièvre a noté qu’il avait remboursé ces avances d’honoraires à la demande du BSF et qu’il a éventuellement été taxé pour un montant égal ou supérieur au montant qu’il avait prélevé pour ses honoraires. Le tableau ci-dessous résume les informations pertinentes quant à ces dossiers:

Tableau 2 – Dossiers d’administration ordinaire sans dépôts de tiers

Dossier

Date de l’avance

Montant de l’avance

Date de l’autorisation

Montant de l’autorisation

9026-6313 Québec Inc. – École de formation MKO

20 juin 2017

1 400,00$

5 janvier 2021

1 829,20$

9229-8223 Québec Inc. – Les installations Charles Therrien

19 janvier 2019

2 050,00$

24 avril 2019

17 février 2020

2 282,86$

198,06$

Les Jardins S.M.

23 avril 2019

6 000,00$

3 mars 2020

7 572,69$

Julie Marchand

3 mai 2019

22 100,74$

3 octobre 2019

24 143,25$

Serge Lestage

3 juin 2019

10 000,00$

25 octobre 2021

20 000,00$

6 juin 2019

5 000,00$

12 juin 2019

4 000,00$

Succession Gaston Bouffard

5 juin 2019

5 000,00$

30 juin 2021

14 000,00$

23 juillet 2019

2 000,00$

23 juillet 2019

2 000,00$

6 septembre 2019

5 000,00$

  1. M. Lelièvre a admis avoir encaissé des avances d’honoraires dans ces dossiers sans approbation des créanciers, des inspecteurs ou du tribunal. Il n’a offert aucune explication pour sa conduite lorsque la chance lui en a été donnée à l’audition. Dans leurs plaidoiries écrites, les procureurs du Syndic indiquent qu’il s’agissait sans doute d’erreurs. Pourtant, dans leur lettre du 17 janvier 2020, ces mêmes procureurs avaient indiqué que ces « avances d’honoraires ont été prélevées alors que les dossiers étaient en voie de finalisation et alors que nos clients n’anticipaient aucune objection aux états des recettes et déboursés qui étaient sujets ou non à une taxation par la cour », soulevant ainsi un doute quant à la thèse de l’erreur.
  2. Dans son rapport, l’enquêteur remarque que la plupart des avances encaissées sans l’approbation des créanciers, des inspecteurs ou du tribunal ont été prises après janvier 2018, malgré un rappel fait au Syndic quant à la non-conformité de l’encaissement avant la taxation de ses comptes et malgré sa réponse qu’il avait corrigé la situation. L’annexe 4 au rapport démontre en effet que le 18 janvier 2018, M. Lebrun avait attiré l’attention de M. Lelièvre sur le fait qu’il avait encaissé ses honoraires avant la date de taxation dans trois dossiers (qui ne se retrouvent pas au rapport). M. Lebrun avait alors demandé à M. Lelièvre de « corriger cette non-conformité afin d’encaisser vos honoraires, sauf pour les avances dument autorisées, seulement après la taxation ». Le jour même, M. Lelièvre a répondu à M. Lebrun qu’il « avai[t] vérifié et corrigé cette situation ». Force est de constater que cette correction n’a pas été effectuée puisque plusieurs des infractions notées au tableau 2 ont été commises après le 18 janvier 2018.
  3. Aucun des arguments avancés par le Syndic pour justifier les avances d’honoraires prises dans les six (6) dossiers de faillite d’administration ordinaire sans dépôt de tiers et dans le dossier de Rémi Boivin ne saurait fonder une défense de diligence raisonnable. Dans l’arrêt MacLeod, la Cour d’appel fédérale a clairement rejeté l’absence de faute intentionnelle ou de préjudice aux créanciers comme éléments pertinents à l’établissement d’une telle défense:

[31] Il appert d’une simple lecture de la décision du délégué que l’on a considéré que les facteurs suivants étayaient la défense de diligence raisonnable des intimés : (i) l’absence d’une faute intentionnelle de la part des intimés, (ii) l’absence d’un préjudice consécutif pour les créanciers ou d’un avantage pour les intimés et (iii) le fait que les infractions portaient sur une petite fraction du total des affaires des intimés. À mon avis, ces facteurs n’étaient pas pertinents pour établir les éléments d’une défense de diligence raisonnable telle qu’elle a été formulée dans Sault Ste. Marie et qu’elle a été développée ultérieurement dans la jurisprudence.

[…]

[36] Enfin, bien que le délégué ait accepté les observations écrites des intimés selon lesquelles les infractions n’avaient entraîné aucun préjudice pour les créanciers concernés, la pertinence de telles considérations dans une analyse de la diligence raisonnable n’a pas été établie dans la jurisprudence. L’appelante renvoie la Cour aux commentaires de la Cour du Québec (chambre civile) dans Millette c. Le Comité de surveillance de l'Association des courtiers, [2004] J.Q. no 8844, paragraphe 44 (chambre civile), conf. 2006 QCCA 711, selon lesquels la responsabilité déontologique ne dépend pas de la question de savoir si un préjudice a été causé à des tiers. Sur cette question, on a cité à la Cour le passage suivant de S. Poirier, La discipline professionnelle au Québec (Cowansville : Yvon Blais, 1998) à la page 39 :

Contrairement à la faute civile, la faute disciplinaire est sans égard aux conséquences de l'acte posé. La conclusion recherchée en matière disciplinaire sera la sanction de l'infraction et non la réparation du préjudice causé.Footnote 42

  1. Le Syndic ne peut donc se rabattre sur la défense de diligence raisonnable en invoquant une erreur de sa part, le fait qu’il ait remboursé de bonne foi les avances d’honoraires prises sans autorisation ou le fait qu’il ait été éventuellement taxé pour des montants égaux ou supérieurs aux avances. Il s’en suit que les infractions à l’article 25(1.3) de la LFI et à l’Instruction no 27R quant aux 17 dossiers d’administration ordinaire ont été établies.
  2. Le rapport allègue que le Syndic ne s’est pas acquitté de ses obligations avec compétence, honnêteté, intégrité et prudence quant à l’administration de ces 17 dossiers, agissant ainsi en non-conformité à l’article 13.5 de la LFI et aux articles 34 et 36 des Règles faisant partie du Code de déontologie des syndics. En vertu du principe établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kienapple c. R. Footnote 43 selon lequel nul ne doit être puni deux fois pour la même infraction, et à la demande des procureures de l’enquêteur, une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 13.5 de la LFI et aux articles 34 et 36 des Règles à l’égard des infractions relatives à l’encaissement d’avances d’honoraires sans autorisation est prononcée.

Administration sommaire

  1. La seconde sous-catégorie d’infractions en lien avec l’encaissement d’honoraires concerne la prise hâtive d’honoraires finaux dans 16 des 20 dossiers de faillite d’administration sommaire analysés par l’enquêteur dans le cadre d’une visite ciblée. En vertu du paragraphe 65(1)a) des Règles, le syndic ne peut prélever ses honoraires qu’à l’expiration du délai prévu au paragraphe 64(2) de ces mêmes Règles, soit 30 jours suivant la date de l’avis de la taxation de ses comptes et de sa libération si le surintendant ne demande pas la taxation des comptes du syndic et qu’aucun créancier ne s’oppose à la taxation des comptes et à la libération du syndic.
  2. Les informations reliées aux infractions notées au rapport sont résumées dans le tableau ci-dessous :

Tableau 3 – Encaissement prématuré d’honoraires dans des dossiers d’administration sommaireFootnote [44]

Dossier

Date de l’avis

Date de l’encaissement permis

Date de l’encaissement effectué

Nombre de jours de l’encaissement avant permission

Montant

R. Mahoney

6 février 2018

8 mars 2018

29 janvier 2018

38

1 720,57$

S. Bouchard

6 mars 2019

5 avril 2019

13 mars 2019

23

2 265,27$

S. Bérubé

6 mars 2019

5 avril 2019

13 mars 2019

23

621,33$

M. Morency

13 mars 2019

12 avril 2019

13 mars 2019

30

1 886,20$

D. Bolduc

8 avril 2019

8 mai 2019

3 avril 2019

35

1 245,12$

É. Thibaudeau

8 avril 2019

8 mai 2019

26 avril 2019

12

1 389,76$

M.-J. Barquin

18 avril 2019

18 mai 2019

26 avril 2019

22

1 293,15$

D. Morissette

15 août 2019

14 septembre 2019

12 août 2019

33

1 617,27$

D. Barrette

15 août 2019

14 septembre 2019

12 août 2019

33

8 144,54$

R. Laflamme

15 août 2019

14 septembre 2019

12 août 2019

33

1 741,78$

M. Beaulieu

15 août 2019

14 septembre 2019

19 août 2019

26

1 206,23$

J.-M. Couture

28 août 2019

27 septembre 2019

6 septembre 2019

21

671,17$

G. Bouchard

3 septembre 2019

3 octobre 2019

6 septembre 2019

27

1 261,01$

J.-R. Anctil

3 septembre 2019

3 octobre 2019

6 septembre 2019

27

1 004,69$

É. Couturier

16 septembre 2019

16 octobre 2019

17 septembre 2019

29

1 092,42$

D. Bertrand

30 septembre 2019

30 octobre 2019

17 septembre 2019

43

7 448, 95$

  1. Les informations contenues au tableau 3 sont appuyées par la preuve documentaire et ne sont pas contestées par le Syndic. Selon M. Lelièvre, dans tous ces dossiers la taxation s’est éventuellement faite à échéance sans opposition des créanciers et sans lettre de commentaires négatifs de la part du BSF.
  2. Le Syndic reconnaît que les situations dénoncées par l’enquêteur au niveau de l’encaissement prématuré d’honoraires dans certains dossiers d’administration sommaire découlent d’erreurs survenues lors de la manipulation des chèques. Les témoignages de M. Lelièvre et de Mme Diallo ont révélé qu’en 2019, les chèques destinés au Syndic n’étaient pas postdatés pour refléter leur date d’encaissement. Les chèques étaient conservés dans le tiroir d’une employée, Mme Susie La Boissonnière, pendant 30 jours et encaissés une fois ce délai échu. Selon M. Lelièvre, Mme La Boissonnière lui aurait remis par erreur des chèques à encaisser avant l’expiration de ce délai de 30 jours et il a encaissé ces chèques.
  3. Comme dans le cas des allégations en lien avec l’encaissement des honoraires dans les dossiers d’administration ordinaire, l’enquêteur note le rappel fait au Syndic en janvier 2018 quant à la non-conformité de l’encaissement avant la taxation de ses comptes et la réponse du Syndic à l’effet qu’il avait corrigé la situation. L’enquêteur remarque également que « le syndic ne pouvait ignorer le délai applicable avant d’avoir le droit d’encaisser les honoraires parce que l’avis qu’il envoie mentionne à l’expiration du délai, je pourrai prélever mes honoraires». De plus, l’enquêteur rapporte qu’en juillet 2020, alors que les mesures administratives étaient en place, le Syndic n’avait toujours pas mis de l’avant un mécanisme de contrôle suffisant puisqu’il avait demandé l’approbation de l’émission d’un chèque dans le dossier de Katia Dutil St-Pierre avant l’expiration du délai de 30 jours pour la taxation présumée.Footnote 45 Nolet a également témoigné du fait que le Syndic avait continué de soumettre certains chèques pour la prise d’honoraires dans les dossiers d’administration sommaire avant l’écoulement du délai de 30 jours alors que les mesures administratives étaient en place.
  4. Mme Diallo a témoigné de changements drastiques dans l’organisation du bureau du Syndic depuis 2020. Dans son témoignage, elle a fait état d’une séparation et d’une définition des tâches plus claires au sein des employés du bureau, de vérifications accrues, et d’une amélioration de la continuité des processus. Ces changements touchent notamment l’encaissement des chèques d’honoraires du Syndic, qui se fait maintenant en utilisant une fonction spécifique du logiciel UBERbase permettant l’impression de chèques postdatés. Mme Diane Lelièvre est également venue témoigner d’améliorations générales dans le contrôle de la qualité au bureau du Syndic.
  5. Tel que l’a confirmé l’arrêt MacLeod, une erreur, même si elle est commise de bonne foi, n’est pas suffisante pour étayer une défense de diligence raisonnable dans le contexte d’infractions de responsabilité stricte:

[34] Cependant, l’absence d’une faute intentionnelle n’est d’aucun secours pour étayer une défense de diligence raisonnable dans le contexte des infractions de responsabilité stricte, lesquelles, comme il est dit dans Sault Ste. Marie, ont pour caractéristique essentielle de ne pas nécessiter de la poursuite qu’elle prouve l’existence d’une intention coupable. Dans Pillar Oilfield Projects Ltd. c. Canada, [1993] A.C.I. no 764, paragraphe 27, la Cour de l’impôt a indiqué « la bonne foi dans le contexte d'erreurs commises involontairement n'équivaut pas à la diligence raisonnable ». Plus récemment dans Samson, précité, paragraphe 35, la Cour fédérale a statué qu’« [i]l ne suffit pas d’invoquer un oubli ou une erreur de bonne foi ».Footnote 46

  1. De plus, et comme il en a été question précédemment, le fait que les créanciers n’aient subi aucun préjudice par la taxation hâtive de certains dossiers d’administration sommaire n’est pas un élément pertinent dans l’établissement d’une défense de diligence raisonnable. Le Syndic n’a pas réussi à démontrer qu’avant 2020, il avait « pris toutes les précautions raisonnables pour éviter l’événement en question ». La preuve démontre au contraire qu’au moment des faits reprochés, la gestion du bureau du Syndic souffrait de lacunes qui ont mené à la commission des erreurs dont fait état le rapport. Le fait que le Syndic ait tenté de rectifier ces lacunes par une meilleure organisation du personnel et des procédés ne suffit pas à disculper le Syndic des infractions commises entre 2018 et 2019. Les infractions au paragraphe 65(1)a) des Règles ont été établies.
  2. Le rapport allègue que le Syndic ne s’est pas acquitté de ses obligations avec compétence, honnêteté, intégrité et prudence quant à l’administration de ces 16 dossiers d’administration sommaire, agissant ainsi en non-conformité à l’article 13.5 de la LFI et aux articles 34 et 36 des Règles faisant partie du Code de déontologie des syndics. Tout comme dans le cas de la prise d’avances d’honoraires dans les dossiers d’administration ordinaire, une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 13.5 de la LFI et aux articles 34 et 36 des Règles à l’égard des infractions relatives à l’encaissement hâtif d’honoraires dans les dossiers d’administration sommaire est prononcée en vertu des principes de l’arrêt Kienapple.

Non remboursement d’honoraires encaissés sans autorisation

  1. Le rapport allègue que le Syndic ne s’est pas acquitté de ses obligations avec diligence en vertu de l’article 13.5 de la LFI et des articles 34 et 36 des Règles faisant partie du Code de déontologie des syndics à l’égard de demandes de remboursement d’avances non autorisées d’honoraires dans trois dossiers. Comme nous le verrons plus loin, dans les trois dossiers en question, soit les dossiers Dépanneur Ste-Croix JG Inc., Dépanneur du Cap JG Inc., et Dépanneur Princeville JG Inc. (ensemble, les « dossiers de dépanneurs »), un inspecteur a été nommé à une assemblée de créanciers sans quorum en non-conformité aux articles 109 et 115 et au paragraphe 116(1) de la LFI, ainsi qu’à l’Instruction no 22R alors en vigueur. L’inspecteur nommé dans ces dossiers, M. Bernard Duval, a ainsi approuvé des avances d’honoraires au Syndic de 1 940,00$ dans chacun des dossiers sans en avoir l'autorité.
  2. Il est allégué que l’obligation du Syndic de rembourser ces avances d’honoraires reposait sur une lettre émise le 2 décembre 2019 par M. Nolet, alors surintendant adjoint pour le district de Québec, à la suite des visites ciblées de l’automne 2019.Footnote 47 Par cette lettre, le Syndic a été sommé de « rembourser intégralement les avances d’honoraires que vous avez prélevés sans avoir obtenu l’approbation que requiert la LFI et les instructions et ce, dans tous vos dossiers non encore taxés, que nous les ayons ou non examinés et identifiés dans la présente » dans les 24 heures suivant la réception de cette lettre (un délai qui a par la suite été prolongé à 72 heures). Contrairement à d’autres dossiers, les dossiers de dépanneurs ne sont pas spécifiquement identifiés dans la lettre.
  3. Les procureures de l’enquêteur notent que les lettres de commentaires du surintendant émises le 10 février 2020 dans chacun des dossiers de dépanneurs Footnote 48 mentionnent que ces dossiers se trouvent « dans une situation comparable à ceux qui ont été examinés lors d’une visite ciblée de votre bureau suivant laquelle des instructions de mesures conservatoires ont été émises le 2 décembre 2019 ». La déléguée observe que cette mention plutôt ambiguë ne réfère pas spécifiquement à la demande de remboursement du 2 décembre 2019, qui ne se retrouve pas dans les instructions de mesures conservatoires auxquelles il est fait référence.
  4. Le témoignage de M. Lelièvre ne laisse planer aucun doute sur la croyance sincère du Syndic selon laquelle M. Duval avait été dument nommé lors d’une assemblée de créanciers, qu’il avait validement signer des résolutions d’inspecteurs et que les demandes de remboursement ne concernaient donc pas les dossiers de dépanneurs :

R. J'ai toujours pensé que Bernard était inspecteur, que c'était fait normalement.

Q. O.K. Et c'est pour ça qu'il a signé des documents ultérieurement?

R. C'est ça, si on y aurait pensé, on l'aurait peut-être mis sur la ligne, ça aurait pris trente (30) secondes.

Q. O.K. Donc, monsieur Duval n'était pas inspecteur, mais vous, vous croyiez quoi?

R. Je croyais qu'il était inspecteur.

Q. Vous croyiez qu'il était inspecteur. Puis comme il était créancier, vous... une assemblée ultérieure aurait pu avoir lieu?

R. On aurait pu faire une assemblée dix (10) jours après puis le nommer...

Q. Puis pourquoi vous n'en avez pas fait une assemblée dix (10) jours?

R. Ça m'a sorti de la tête, là, c'est une erreur.

Q. O.K. Et pourquoi qu'il a signé des résolutions d'inspecteur?

R. On était sûrs... dans ma tête, là, et dans sa tête à lui, on était sûrs qu'il était inspecteur.

  1. Le témoignage de M. Duval confirme qu’il croyait également avoir été dument nommé inspecteur dans ces dossiers.
  2. Cette allégation n’atteint pas le degré de gravité requis pour constituer une faute déontologique. Puisque l’allégation ne concerne pas une infraction de responsabilité stricte mais plutôt une faute au niveau déontologique, une appréciation des circonstances, de la moralité et de la probité professionnelle du Syndic à la lumière des valeurs sous-tendant la déontologie est requise. La conduite reprochée au Syndic relève de l’erreur de bonne foi. La nomination de M. Duval en tant qu’inspecteur dans les dossiers de dépanneurs n’était certes pas régulière, mais le Syndic a démontré qu’il détenait une croyance sincère qu’elle l’était. L’absence de toute mention spécifique aux dossiers de dépanneurs dans la lettre du 2 décembre 2019, ou à la demande de remboursement dans les lettres de commentaires du surintendant du 10 février 2020, tend à soutenir la prétention du Syndic selon laquelle il croyait sincèrement en la régularité des avances d’honoraires autorisées par M. Duval. L’existence de cette croyance sincère est également appuyée par le fait, non-contredit, que le Syndic a remboursé plus de 102 000,00$ dans divers dossiers pour des avances d’honoraires pris sans autorisation. Le fait qu’il n’ait pas remboursé la somme totale de 5 820.00$ pour les avances d’honoraires prises dans les trois dossiers de dépanneur, alors qu’il a remboursé des sommes beaucoup plus considérables dans d’autres dossiers, appuie également sa croyance sincère que ces avances d’honoraires avaient été dûment autorisées.
  3. L’erreur du Syndic entre dans la définition de « faute technique » établie dans l’arrêt Bissonnette, c'est-à-dire « une faute relevant de l'erreur, de la maladresse, de l'incompétence, de l'imprudence, voire de la négligence, mais qui n'enfreint pas pour autant un devoir d'ordre déontologique ». L’enquêteur ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver cette allégation selon la prépondérance des probabilités. 

Nomination d’inspecteurs à une assemblée de créanciers sans quorum

  1. Le rapport allègue que dans les dossiers Dépanneur Ste-Croix JG Inc.,Footnote 49 Dépanneur du Cap JG Inc.Footnote 50 et Dépanneur Princeville JG Inc.,Footnote 51 ainsi que dans le dossier de Serge Lestage,Footnote 52 un inspecteur a été nommé à une assemblée de créanciers sans quorum en non-conformité aux articles 109 et 115 et au paragraphe 116(1) de la LFI, ainsi qu’à l’Instruction no 22R alors en vigueur. L’article 8 de l’Instruction no 22R émise le 7 mai 2010 prévoit que le quorum « est fixé en fonction du nombre de créanciers qui sont présents en personne ou représentés par un fondé de pouvoir (ou par formulaire de votation dans une proposition) et qui ont déposé et prouvé leur réclamation en règle auprès du syndic, avant le moment fixé pour l’assemblée ». Le paragraphe 109(1) de la LFI donne aux créanciers un droit de vote seulement dans les cas où ils présentent au syndic une preuve de réclamation prouvable en matière de faillite avant le moment fixé pour l’assemblée. L’article 115 prévoit que les décisions sont prises aux assemblées de créanciers par la majorité des voix, tandis que le paragraphe 116(1) indique qu’un inspecteur est nommé par résolution des créanciers.
  2. Les procès-verbaux d’assemblées des créanciers contenus à l’annexe 14 du rapport démontrent qu’il y avait absence de quorum aux assemblées des créanciers dans les quatre dossiers en question. Ces procès-verbaux, tous signés par M. Lelièvre, indiquent que « le syndic constate qu’il n’y a aucun quorum ». Dans le cas des dossiers de dépanneurs, les procès-verbaux indiquent en plus que M. Duval, qui n’était pas présent à ces assemblées mais avait présenté des preuves de réclamation au nom de JLMD CPA Inc., avait demandé à être nommé inspecteur. Bien que les procès-verbaux ne confirment pas la nomination de M. Duval, les trois dossiers contiennent des procès-verbaux d’assemblées d’inspecteurs dans le cadre desquelles M. Duval a autorisé la prise d’avances d’honoraires, démontrant ainsi la croyance de M. Lelièvre et celle de M. Duval que ce dernier avait dument été nommé et pouvait agir en tant qu’inspecteur dans ces dossiers.
  3. Dans son témoignage, M. Duval a fait état de sa croyance selon laquelle sa nomination en tant qu’inspecteur dans les trois dossiers de dépanneurs s’était faite automatiquement par l’envoi de lettres demandant à être nommé inspecteur. C’est sur le fondement de cette croyance qu’il a signé les documents apparaissant aux dossiers de dépanneurs.
  4. La preuve documentaire étaye la prétention de l’enquêteur selon laquelle le Syndic a fait fi des dispositions de la LFI et de l’Instruction no 22R alors en vigueur en nommant M. Duval inspecteur dans les dossiers de dépanneurs alors qu’il n’y avait aucun quorum aux assemblées des créanciers. Le rapport allègue qu’en agissant ainsi, le Syndic ne s’est pas acquitté adéquatement de ses obligations en non-conformité à l’article 13.5 de la LFI et aux articles 34 et 36 des Règles faisant partie du Code de déontologie des syndics, lesquelles comprennent d’exercer ses fonctions avec compétence, honnêteté, intégrité, prudence et diligence.
  5. Pour les raisons évoquées en lien avec l’allégation de non-remboursement d’honoraires encaissés sans autorisation, cette allégation n’atteint pas le degré de gravité requis pour constituer une faute déontologique. La conduite reprochée au Syndic, si elle trahit une non-conformité aux dispositions de la LFI, relève de l’erreur de bonne foi. Tel que mentionné précédemment, la nomination de M. Duval en tant qu’inspecteur dans les dossiers de dépanneurs n’était pas régulière, mais le Syndic a démontré qu’il détenait une croyance sincère qu’elle l’était. Le Syndic a également démontré qu’il était au fait des règles entourant la nomination d’inspecteurs, mais qu’il n’avait pas réalisé que ces règles avaient été enfreintes dans le cas de la nomination de M. Duval. Cette erreur d’inattention de la part du Syndic entre dans la définition de « faute technique » établie dans l’arrêt Bissonnette, c'est-à-dire « une faute relevant de l'erreur, de la maladresse, de l'incompétence, de l'imprudence, voire de la négligence, mais qui n'enfreint pas pour autant un devoir d'ordre déontologique ». L’enquêteur ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver cette allégation selon la prépondérance des probabilités.
  6. Quant au dossier de Serge Lestage, tant le procès-verbal que le procès-verbal amendé de l’assemblée des créanciers démontrent qu’il n’y avait aucun quorum. Le procès-verbal amendé, signé par M. Lelièvre, indique que M. Harold Ste-Marie demandait à être nommé inspecteur. Le dossier de Serge Lestage contient également des procès-verbaux d’assemblées d’inspecteurs signés par M. Ste-Marie autorisant la prise d’avances d’honoraires. Comme nous le verrons plus loin, le Syndic allègue que le procès-verbal amendé de l’assemblée des créanciers et les procès-verbaux d’assemblées d’inspecteurs constituent des brouillons sans valeur qui n’ont jamais servi et n’ont jamais été transmis au BSF. Le Syndic allègue que ces documents avaient été préparés en prévision de la réception d’une éventuelle procuration en faveur du Syndic à la faillite de Serge Lestage et d’une lettre de M. Ste-Marie signifiant son désir d’être nommé inspecteur, des documents qui n’ont finalement jamais été transmis. Or, la preuve démontre que des avances d’honoraires ont été encaissées par le Syndic les 3 juin, 6 juin et 12 juin 2019,Footnote 53 soit quelques jours après la date inscrite aux procès-verbaux d’assemblées d’inspecteurs (22 mai et 3 juin 2019). La concomitance des procès-verbaux d’assemblées d’inspecteurs autorisant la prise d’avances d’honoraires et la prise de ces avances suggère que c’est sur la base de ces autorisations que le Syndic a pris les avances d’honoraires.
  7. Comme il en a été discuté plus tôt, la prise de ces avances d’honoraires constitue des infractions à l’article 25(1.3) de la LFI et à l’Instruction no Contrairement aux dossiers de dépanneurs, il ne peut être affirmé dans le dossier de Serge Lestage que le Syndic avait une croyance sincère que M. Harold Ste-Marie avait été régulièrement nommé inspecteur dans le dossier de Serge Lestage. M. Lelièvre et M. Ste-Marie ont en pleine connaissance de cause signé des procès-verbaux d’assemblées d’inspecteurs qui n’ont pas eu lieu, et sur la base desquels le Syndic s’est approprié des avances d’honoraires auxquelles il n’avait pas droit. Le caractère volontaire de la conduite du Syndic dans le dossier de Serge Lestage s’écarte des normes élevées de déontologie exigé des syndics, entachant ainsi sa moralité et sa probité professionnelle. L’enquêteur s’est déchargé de son fardeau de prouver que, dans le cas du dossier de Serge Lestage, le Syndic ne s’est pas acquitté adéquatement de ses obligations, agissant ainsi en non-conformité à l’article 13.5 de la LFI et aux articles 34 et 36 des Règles faisant partie du Code de déontologie des syndics.

Signature de documents irréguliers

  1. Le rapport allègue que le Syndic a agi en non-conformité à l’article 45 des Règles en signant des documents dans le dossier de Serge Lestage que le Syndic savait ou aurait raisonnablement dû savoir être faux ou trompeurs. Ces documents comprennent un procès-verbal amendé de l’assemblée des créanciers signé par M. Lelièvre et deux procès-verbaux d’assemblées d’inspecteurs datés des 22 mai et 3 juin 2019 et signés par M. Lelièvre et M. Ste-Marie.
  2. Le Syndic admet avoir signé ces documents, mais fait valoir qu’ils ne font office que de brouillons, n’ont jamais servi et n’ont jamais été transmis au BSF. Les raisons offertes par M. Lelièvre et ses procureurs quant à la présence de ces brouillons dans le dossier de Serge Lestage diffèrent quelque peu. Dans son témoignage, M. Lelièvre a expliqué que M. Ste-Marie lui avait initialement demandé d’être inspecteur dans ce dossier, mais que M. Lelièvre avait finalement jugé que « ça n’avait pas de bon sens ». Quant aux procès-verbaux d’assemblées des inspecteurs, M. Lelièvre a expliqué qu’il n’a jamais fait signer ces documents à M. Ste-Marie et a avancé que M. Ste-Marie se serait présenté au bureau du Syndic et aurait signé ces documents à l’invitation d’un(e) employé(e). M. Lelièvre admet que ces documents n’auraient pas dû se trouver dans le dossier et auraient plutôt dû être déchiquetés.
  3. De leur côté, les procureurs du Syndic allèguent que ces documents avaient été préparés en prévision de la réception d’une éventuelle procuration en faveur du Syndic à la faillite de Serge Lestage et d’une lettre de M. Ste-Marie signifiant son désir d’être nommé inspecteur, mais que ces documents n’ont finalement jamais été transmis au Syndic. Les procureurs du Syndic nient que ces documents puissent être qualifiés de faux ou trompeurs puisqu’ils n’ont jamais servi.
  4. L’article 45 des Règles, qui fait partie du Code de déontologie des syndics, prévoit ce qui suit :

45. Le syndic ne signe aucun document, notamment une lettre, un rapport, une déclaration, un exposé et un état financier, qu’il sait ou devrait raisonnablement savoir être faux ou trompeur, ni ne s’associe de quelque manière à un tel document, y compris en y joignant sous sa signature un déni de responsabilité.

  1. La Cour d’appel fédérale du Canada, dans l’arrêt Canada (Procureur général) c. Roy,Footnote 54 s’est penchée de manière exhaustive sur cette disposition. Selon la Cour, la preuve de l’infraction sous l’article 45 requiert l’établissement de trois éléments, soit la signature du syndic, le caractère faux ou trompeur du document, et la connaissance du syndic:

[16] Dans le cas qui nous occupe, les éléments matériels de l’interdiction prévue à l’article 45 sont simples, soit la signature d’un document que le signataire sait ou devrait raisonnablement savoir être faux ou trompeur. L’interdiction exige une mens rea de connaissance quant à la fausseté ou au caractère trompeur du document, sans plus. Elle se limite, en ce qui a trait à ses éléments matériels, au seul fait et geste de signer un tel document. Contrairement à ce qu’ont cru le juge et le délégué qui fut le premier à décider la question, l’article 45 ne crée pas une infraction de fabrication d’un faux document avec l’intention qu’il soit utilisé au préjudice de quelqu’un. Le faux document peut avoir été fabriqué par quelqu’un d’autre. Ce que cet article reproche au syndic comme faute disciplinaire et non criminelle, c’est de l’avoir signé.

[…]

[21] En somme, l’article 45 reconnaît deux tests, l’un subjectif (s’il sait), l’autre objectif (s’il devrait raisonnablement savoir), pour établir la connaissance que le signataire du document a du caractère faux ou trompeur de ce document. Il suffit de satisfaire l’un ou l’autre de ces deux tests. La preuve d’une violation de l’interdiction prévue à l’article 45 sera faite si le poursuivant établit :

a) que le syndic qui est poursuivi a signé le document en litige;

b) que ce document était faux, c’est-à-dire contraire à la vérité, ou trompeur, c’est-à-dire qui induit en erreur; et

c) que le syndic soit le savait, soit aurait dû raisonnablement le savoir.Footnote 55

  1. Ces trois éléments sont satisfaits en l’espèce. Le Syndic a signé le procès-verbal amendé et les deux procès-verbaux d’assemblées d’inspecteurs datés des 22 mai et 3 juin 2019. Ces documents sont faux ou trompeurs. En effet, le procès-verbal amendé est faux ou trompeur puisqu’à l’aveu même des procureurs du Syndic, au moment de sa signature par M. Lelièvre aucune lettre de M. Ste-Marie signifiant son désir d’être nommé inspecteur n’avait été transmise au Syndic. Il était donc faux d’inscrire au procès-verbal amendé que « Monsieur Harold Ste-Marie demande à être nommé inspecteur ». Le procès-verbal amendé est également trompeur puisqu’il pouvait induire en erreur. Le procès-verbal amendé coexistait dans le dossier avec le procès-verbal qui a été transmis au BSF et qui ne fait aucune mention de la demande de M. Ste-Marie d’être nommé inspecteur. De même, les deux procès-verbaux d’assemblées d’inspecteurs sont faux puisqu’aucune assemblée d’inspecteurs n’a été tenue le 22 mai ou le 3 juin 2019. Finalement, le Syndic savait que ces documents étaient faux ou trompeurs au moment où ils ont été signés puisque de l’aveu même de M. Lelièvre et de ses procureurs, aucune lettre n’avait alors été reçue de la part de M. Ste-Marie, et aucune assemblée d’inspecteurs n’avait été tenue. M. Lelièvre a admis avoir assisté à l’assemblée des créanciers et avoir signé les procès-verbaux. Il est donc clair qu’il avait connaissance de leur contenu.
  2. L’argument du Syndic selon lequel ces documents ne peuvent être qualifiés de faux ou trompeurs puisqu’ils n’ont pas été transmis au BSF n’est pas pertinent. L’analyse sous l’article 45 des Règles ne prend pas en compte l’usage que le Syndic fait du document faux ou trompeur. Tel que l’explique la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Roy, le seul fait de signer un document faux ou trompeur risque de causer un préjudice:

[26] Quant à l’exigence d’un risque de causer un préjudice, celle-ci est toujours satisfaite, indépendamment des notions de faute ou de mens rea, puisqu’un document faux ou trompeur, par définition, risque de causer un préjudice. Le risque nait du caractère faux ou trompeur du document, que son signataire l’ait signé intentionnellement, en connaissance de son caractère, sans s’en soucier ou sans le savoir.Footnote 56

  1. Comme nous l’avons vu, des avances d’honoraires ont été prélevées dans le dossier de Serge Lestage dans les jours suivant la date des procès-verbaux des assemblées d’inspecteurs, contredisant ainsi l’argument du Syndic selon lequel ces procès-verbaux n’ont pas été utilisés dans le cadre de l’administration du dossier de Serge Lestage.
  2. Pour ces raisons, l’enquêteur s’est déchargé de son fardeau de prouver la non-conformité à l’article 45 des Règles selon la prépondérance des probabilités.

Lacunes dans la gestion de propositions concordataires

  1. La dernière catégorie d’infractions alléguées dans le rapport se rapporte à la gestion par le Syndic de propositions concordataires. Le rapport allègue que ces lacunes démontrent que le Syndic ne s’est pas acquitté adéquatement de ses obligations, lesquelles comprennent d’exercer ses fonctions avec compétence, honnêteté, intégrité, prudence et diligence.

Propositions de Section I

  1. Le rapport allègue que dans deux dossiers de propositions de Section I, soit les dossiers de Carl Lapolice Footnote 57 et de Marc Simard,Footnote 58 le Syndic a émis un avis de défaut en vertu de l’article 62.1 de la LFI alors que les propositions dans ces deux dossiers n’avaient pas été homologuées et que le Syndic n’avait fait aucune démarche aux fins d’obtenir l’approbation du tribunal en vertu de l’article 58 de la LFI. Le rapport allègue également que dans le dossier de Fabrice Barré,Footnote 59 le Syndic a émis, le 11 janvier 2019, un état définitif des recettes et des débours comportant la note suivante :

Malgré le fait que le syndic ait transmis un avis de défaut au débiteur proposant le 16 août 2018, ce dernier n’a jamais remédié à la situation. Devant cette impasse, le syndic autorisé en insolvabilité demande sa libération.      

  1. Selon le rapport, ce n’est que le 21 janvier 2019 et après que le séquestre officiel lui ait demandé une preuve d’envoi du document que le Syndic a transmis aux créanciers et au séquestre officiel l’avis de défaut d’exécution.
  2. Le rapport allègue que le Syndic a agi en non-conformité à l’article 62.1 de la LFI et à l’article 93 des Règles en n’envoyant pas les avis de défaut dans les délais prescrits. L’article 62.1 de la LFI prévoit ce qui suit :

62.1 Le syndic doit, selon les modalités prescrites — notamment en ce qui a trait aux délais et à la forme —, informer tous les créanciers ainsi que le séquestre officiel de la survenance de la situation suivante :

a) il y a défaut d’exécution d’une des dispositions de la proposition;

b) les inspecteurs ou, en l’absence d’inspecteurs, les créanciers ne font pas abstraction du défaut;

c) la personne insolvable omet de remédier au défaut dans les délais prescrits.

  1. L’article 62.1 de la LFI doit être lu avec l’article 93 des Règles, selon lequel:

93. Pour l’application de l’article 62.1 de la Loi, le délai dont dispose :

a) la personne insolvable pour remédier au défaut d’exécution d’une disposition de la proposition est la période de 30 jours suivant le premier jour de défaut;

b) le syndic pour informer de la situation les créanciers et le séquestre officiel est la période de 30 jours suivant celle visée à l’alinéa a).

  1. Le Syndic ne nie pas avoir envoyé les avis de défaut hors des délais prescrits. Dans le cas des dossiers de Carl Lapolice et de Marc Simard, M. Lelièvre admet que les propositions n’avaient pas été homologuées lors de l’envoi de l’avis de défaut. La proposition de Carl Lapolice n’a jamais été homologuée. La proposition de Marc Simard, quant à elle, a été homologuée en avril 2021 pour ensuite être annulée le 16 décembre 2022 par la Cour d’appel du Québec.Footnote 60 L’avis de défaut avait été émis le 25 septembre 2019, soit 19 mois avant son homologation initiale. Le Syndic explique l’envoi des avis de défaut hors des délais prescrits par le fait qu’il avait perdu contact avec Carl Lapolice et Marc Simard après que leurs propositions respectives aient été approuvées par leurs créanciers et qu’il cherchait à « leur faire peur » afin qu’ils reprennent contact. Or, en vertu de l’article 58 de la LFI, toute proposition acceptée par les créanciers doit être homologuée par le tribunal. Un avis de défaut ne peut être émis avant l’homologation d’une proposition puisque les dispositions de celle-ci, à laquelle la personne insolvable est tenue de se conformer, ne sont pas encore en vigueur.
  2. Dans le dossier de Fabrice Barré, M. Lelièvre a expliqué en interrogatoire qu’il y avait au dossier des inspecteurs complaisants et que M. Barré se retrouvait continuellement en défaut de paiement de sa proposition. Pour faire cesser cette situation, le Syndic a tenté de se faire libérer. Ces explications ne justifient pas l’envoi tardif de l’avis de défaut au séquestre officiel. La preuve documentaire est à l’effet que l’état des recettes et des débours dans le dossier de Fabrice Barré est daté du 11 janvier 2019 et fait référence à un avis de défaut en date du 16 août 2018. Cet avis de défaut ne se trouve pas au dossier. À la suite du questionnement de Mme Maria Liliana Cozma, une analyste au BSF, Mme La Boissonnière a répondu dans un courriel daté du 23 janvier 2019 que « nous avons déposé le formulaire 43 et […] nous avons transmis le tout aux créanciers le 21 janvier ». Aucune preuve n’a été présentée par le Syndic pour démontrer que l’avis de défaut avait été transmis au séquestre officiel avant le 21 janvier 2019, soit approximativement 7 mois après son émission contrairement à l’article 62.1 de la LFI et à l’article 93 des Règles.
  3. Le rapport allègue également que le Syndic a démontré une lacune dans l’interprétation des paragraphes 63(1) et (4) de la LFI dans le contexte de la proposition d’Harold Ste-Marie. Cette allégation repose sur une déclaration faite par M. Lelièvre dans une lettre datée du 10 février 2020 à l’intention de Mme Cozma pour justifier l’omission de la production d’un avis de défaut dans le dossier de M. Ste-Marie. Dans cette lettre, M. Lelièvre explique son approche quant au dossier de proposition de M. Ste-Marie et écrit ce qui suit :

Nous avons tout fait pour faire en sorte de collecter les montants d’argents que monsieur Ste-Marie devait payer. Je crois qu’envoyer un avis de défaut aurait fait en sorte de mettre Monsieur Ste-Marie en faillite et de priver ses créanciers de leurs dividendes. En faillite, les créanciers n’auraient eu n’aucun (sic) montant d’argent.

  1. Le paragraphe 63(1) de la LFI prévoit qu’en cas de défaut d’exécution d’une disposition d’une proposition, le tribunal peut, sur demande, annuler la proposition. Le paragraphe 63(4) prévoit quant à lui que sur « annulation de la proposition, le débiteur est réputé avoir alors fait une cession et l’ordonnance annulant la proposition en fait mention ». Le rapport allègue que la lettre de M. Lelièvre démontre une méconnaissance de la loi puisque le passage cité ci-dessus suggère que le Syndic croyait que l’émission d’un avis de défaut dans une proposition de Section I signifiait qu’il y aurait faillite présumée.
  2. La déléguée note que le libellé du paragraphe 32 du rapport suggère que ce que l’enquêteur reproche au Syndic est une méconnaissance de la loi basée sur ses propos dans la lettre à Mme Cozma, et non le choix du Syndic d’avoir envoyé l’avis de défaut au moment où il l’a fait. En contre-interrogatoire, M. Lebrun a confirmé qu’il avait effectivement basé sa conclusion au paragraphe 32 sur les propos de M. Lelièvre dans la lettre à Mme Cozma. C’est dans cette optique que cette allégation a été analysée.
  3. Cette allégation n’a pas été prouvée selon la prépondérance des probabilités. En interrogatoire, M. Lelièvre a expliqué sa déclaration dans la lettre à Mme Cozma de la façon suivante :

Q. Oui. Mais là, on vous reproche, le surintendant vous reproche : il y a un processus dans lequel il faudrait envoyer un avis de défaut, il faudrait dire... envoyer un avis pour dire : « Eille, à tout le monde, là, le débiteur puis tout le monde, là, il y a un avis de défaut de ce nouveau contrat-là. » C'est quoi votre réaction, là, vous... à ces avis de défaut là?

R. La Loi de la faillite, en matière de proposition, c'est une loi de réhabilitation, tant qu'à moi.

Q. Oui.

R. Ça fait qu'avant de mettre le monsieur en faillite, je fais tout mon possible pour qu'il paie la proposition, c'est ce que j'ai fait dans le dossier de Harold Ste-Marie.

Q. O.K. Mais on vous... puis l'avis de défaut, pour vous, là, c'est quoi? Ça signifie quoi le jour que vous l'envoyez, l'avis de défaut?

R. Bien, si je... c'est comme si un créancier hypothécaire envoyait un avis de soixante (60) jours au créancier, pas « au créancier » mais à celui qui détient l'immeuble, à ce moment-là, essaie de lui trouver du financement, il ne sera jamais capable. C'est le même parallèle que je fais.

Q. O.K. Donc, vous, quand vous envoyez l'avis de défaut, le signal que ça fait, c'est quoi?

R. Bien, c'est que, ça fait que... il faut qu'il remédie au défaut rapidement, puis s'il ne remédie pas, bien, il y a des conséquences qui peuvent être assez... assez fatales.

Q. O.K. Puis cet avis de défaut là, votre compréhension de son effet juridique, parce qu'on vous reproche, là, vous savez qu'est-ce qu'on vous reproche, là, parce que vous auriez écrit, là, que... ce que vous auriez écrit, là, expliquez au Tribunal votre compréhension à vous des effets juridiques de votre avis de défaut?

R. Bien, l'avis de défaut, ça fait en sorte que si le monsieur ne remédie pas au défaut, il va se retrouver en faillite.

Q. O.K. Puis il a combien de temps pour remédier au défaut?

R. Trente (30) jours.

Q. Puis pourquoi avez-vous écrit au Bureau du... dans une lettre... Ça ne sera pas long. Pourquoi avez-vous écrit, dans votre lettre du dix (10) février deux mille vingt (2020), à madame Cozma, paragraphe 2 :

« Je crois qu'envoyer un avis de défaut aurait fait en sorte de mettre monsieur Ste-Marie en faillite et de priver ses créanciers de leur dividende. En faillite, les créanciers n'auraient eu aucun montant d'argent. »

On dit de vous que vous êtes ignorant de la loi, c'est une méconnaissance de la loi. Alors, qu'est-ce que vous en dites?

R. Ce que je veux dire, c'est que monsieur Ste-Marie aurait probablement arrêté de chercher de l'argent puis il aurait dit : « Mets-moi en faillite. »

Q. Pourquoi?

R. Parce que je connais monsieur Ste-Marie, son tempérament, c'est ça qu'il aurait fait.

Q. Oui. O.K. Puis vous, vous ne vouliez pas ça?

R. Je ne voulais pas ça, parce qu'on avait quand même travaillé fort dans le dossier. Monsieur Ste-Marie a quand même... je voyais qu'il faisait des efforts, j'ai eu des communications avec des gens qui l'ont aidé.

  1. Sur la base de ce qui précède, la déléguée ne peut conclure que M. Lelièvre a démontré une méconnaissance de la loi dans la lettre adressée à Mme Cozma.

Propositions de consommateurs Section II

  1. Le rapport allègue des lacunes dans la gestion de deux propositions de consommateurs de Section II, soit les propositions de François Leroux Footnote 61 et de Chantal Sévigny.Footnote 62
  2. Dans le cas de François Leroux, le rapport allègue qu’à titre de président de l’assemblée des créanciers, M. Lelièvre a conclu que la proposition avait été acceptée par les créanciers alors qu’aucun créancier n’avait voté en faveur de l’acceptation de la proposition et que cinq (5) créanciers ayant prouvé des réclamations totalisant 201 428,44$ avaient voté contre l’acceptation de la proposition. Une preuve de réclamation garantie au montant de 436 125,28$ avait été reçue dans ce dossier. Cependant, le créancier garanti en question n’avait pas exprimé de vote sur la proposition. Au cours de son témoignage, M. Lelièvre a expliqué qu’il s'était « toujours fait dire » que lorsqu’un créancier garanti produisait une preuve de réclamation mais ne votait pas, son vote était présumé. Puisque le créancier garanti dans le dossier de François Leroux n’avait pas voté, le Syndic avait ainsi considéré son vote comme étant un vote présumé en faveur de l’acceptation de la proposition.
  3. Il est ressorti du contre-interrogatoire de M. Lelièvre que sa perception quant aux exigences de la loi était basée sur les dires d’un syndic à la retraite qu’il n’a pu identifier et qui lui aurait dit, « à l’époque », que le vote était présumé. Questionné à savoir s’il avait cherché à confirmer l’information de lui-même, M. Lelièvre a répondu qu’il ne l’avait pas fait.
  4. Le Syndic a démontré une méconnaissance de la loi, et en particulier du paragraphe 66.19(1) et de l’article 115 de la LFI qui prévoient ce qui suit :

66.19 (1) Lors de l’assemblée des créanciers, ceux-ci peuvent par résolution ordinaire, tous étant, aux fins du vote, regroupés au sein de la même catégorie, accepter ou rejeter, sous réserve des droits des créanciers garantis, la proposition ainsi qu’elle a été déposée ou modifiée à l’assemblée ou à un ajournement de celle-ci.

[…]

115 Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, il est décidé des questions étudiées aux assemblées des créanciers, à la majorité des voix et, à cette fin, chaque créancier a droit à un nombre de voix égal au montant en dollars de chacune de ses créances non rejetées.

  1. Finalement, le rapport allègue que dans le dossier de Chantal Sévigny,Footnote 63 le Syndic n’a pas émis sans délai après l’annulation présumée de la proposition en décembre 2016 l’avis aux créanciers, ni fait un rapport au séquestre officiel tel que l’exigent les paragraphes 66.31(1) et (3) de la LFI. La preuve documentaire démontre que le formulaire 56 - Avis aux créanciers et rapport au séquestre officiel concernant l’annulation présumée de la proposition de consommateur n’a été produit que le 18 janvier 2018,Footnote 64 soit 13 mois plus tard. Le rapport allègue également que le Syndic a continué à percevoir des sommes de la débitrice, et ce même après avoir émis l’avis d’annulation présumée en janvier 2018, faisant ainsi fi des possibilités de rétablir la proposition comme le permettent les paragraphes 66.31(6), (7) et (9) de la LFI. Le Syndic n’a pas nié ces faits. En interrogatoire, il a admis qu’il aurait plutôt dû faire une requête pour remettre la proposition en vigueur.

Détermination quant aux lacunes alléguées dans la gestion de propositions concordataires

  1. Sur la base de l’ensemble des faits rapportés ci-haut, le rapport allègue que le Syndic ne s’est pas acquitté adéquatement de ses obligations, lesquelles comprennent d’exercer ses fonctions avec compétences, honnêteté, intégrité, prudence et diligence dans le cadre de la gestion de propositions concordataires.
  2. La preuve démontre que le Syndic a omis, volontairement ou en raison de sa négligence, de se conformer à certaines dispositions de la LFI applicables aux propositions de Section I et II dans les dossiers de Carl Lapolice, de Marc Simard et de Fabrice Barré. Le Syndic a admis avoir fait le choix d’envoyer certains avis de défaut hors des délais prescrits, s’arrogeant ainsi une discrétion que la LFI ne lui donne pas. Par ailleurs, les erreurs commises dans les dossiers de François Leroux et de Chantal Sévigny auraient pu être évitées par une simple vérification de la part du Syndic. La conduite volontaire ou négligente du Syndic quant à la gestion de ces propositions est d’une gravité telle à entacher sa probité professionnelle et mène à la conclusion que le Syndic ne s’est pas acquitté de ses obligations avec compétence, honnêteté, intégrité, prudence et diligence en non-conformité à l’article 13.5 de la LFI et aux articles 34 et 36 des Règles.

Conclusion

  1. L’enquêteur s’est déchargé de son fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le Syndic a commis des infractions à l’article 25(1.3) de la LFI, au paragraphe 65(1)(a) des Règles, et à l’Instruction no 27R en encaissant des avances d’honoraires sans autorisation ou en encaissant ses honoraires de manière hâtive dans certains dossiers de faillite d’administration ordinaire et d’administration sommaire. En vertu du principe établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Kienapple, une suspension conditionnelle des procédures quant au renvoi à l’article 13.5 de la LFI et aux articles 34 et 36 des Règles à l’égard de ces mêmes infractions est prononcée.
  2. L’enquêteur s’est en outre déchargé de son fardeau de prouver selon la prépondérance des probabilités que le Syndic a signé des documents faux ou trompeurs en non-conformité à l’article 45 des Règles. L’enquêteur a également prouvé selon la prépondérance des probabilités que le Syndic a nommé un inspecteur à une assemblée de créanciers sans quorum dans le dossier de Serge Lestage et que le Syndic a démontré des lacunes dans la gestion de propositions concordataires de Section I et de Section II en non-conformité à l’article 13.5 de la LFI et aux articles 34 et 36 des Règles.
  3. L’enquêteur ne s’est toutefois pas déchargé de son fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le Syndic a enfreint l’article 13.5 de la LFI et les articles 34 et 36 des Règles en ne remboursant pas ses honoraires encaissés sans autorisation dans les dossiers Dépanneur Ste-Croix JG Inc., Dépanneur du Cap JG Inc., et Dépanneur Princeville JG Inc. et en procédant à la nomination d’inspecteurs à une assemblée de créanciers sans quorum dans ces mêmes dossiers.

Dispositif

Pour tous ces motifs, la déléguée DÉCLARE et ORDONNE:

  1. Le Syndic a commis des infractions à l’article 25(1.3) de la LFI, au paragraphe 65(1)(a) des Règles, et à l’Instruction no 27R en encaissant des avances d’honoraires sans autorisation et en encaissant ses honoraires de manière hâtive dans certains dossiers de faillite d’administration ordinaire et d’administration sommaire;
  2. Le renvoi à l’article 13.5 de la LFI et aux articles 34 et 36 des Règles à l’égard des infractions relatives à l’encaissement d’avances d’honoraires sans autorisation et à l’encaissement prématuré d’honoraires est suspendu conditionnellement;
  3. Le Syndic a signé des documents faux ou trompeurs en non-conformité à l’article 45 des Règles;
  4. Le Syndic a agi en non-conformité à l’article 13.5 de la LFI et aux articles 34 et 36 des Règles en nommant un inspecteur à une assemblée de créanciers sans quorum dans le dossier de Serge Lestage;
  5. Le Syndic a démontré des lacunes dans la gestion de propositions concordataires de Section I et de Section II en non-conformité à l’article 13.5 de la LFI et aux articles 34 et 36 des Règles;
  6. Le Syndic n’a pas enfreint l’article 13.5 de la LFI et les articles 34 et 36 des Règles quant aux allégations concernant le non-remboursement d’honoraires encaissés sans autorisation et la nomination d’inspecteurs à une assemblée de créanciers sans quorum dans les dossiers Dépanneur Ste-Croix JG Inc., Dépanneur du Cap JG Inc. et Dépanneur Princeville JG Inc.;
  7. L’affaire est référée pour une audition sur la question des sanctions appropriées.

Fait à Gatineau (Québec) le 30 janvier 2024, conformément à l’article 14.02 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.         

 

_________________________

Me Geneviève Chabot
Déléguée de la surintendante des faillites


Annexe A

Transcription de la décision orale rendue par la déléguée le 5 décembre 2023 au sujet de l’assignation de Mme Dominique Laflamme

  1. À la demande des procureurs du syndic autorisé en insolvabilité, j’ai émis, le 7 novembre 2023, une assignation à Mme Dominique Laflamme, professionnelle en recouvrement des dossiers d’insolvabilité complexe à l’Agence du revenu du Québec. L’assignation a été transmise à Mme Laflamme par les procureurs du syndic le 10 novembre 2023. L’Agence du revenu du Québec s’oppose à l’assignation de Mme Laflamme sur la base de l’article 69.9 de la Loi sur l’administration fiscale.Footnote 65 Une audition a été tenue ce matin, le 5 décembre 2023, pour débattre de la question. Après avoir considéré les arguments écrits et oraux des procureurs du syndic et de celui de l’Agence du revenu du Québec, ma décision est d’annuler l’assignation de Mme Laflamme.
  2. L’article 69 de la Loi sur l’administration fiscale prévoit que le dossier fiscal d’une personne est confidentiel. Le terme « dossier fiscal » est défini comme étant constitué des renseignements que le ministre détient au sujet d’une personne pour l’application ou l’exécution d’une loi fiscale. Le terme « renseignement » n’est pas défini dans la Loi.
  3. L’article 69 indique également que « ne font pas partie du dossier fiscal une procédure judiciaire prise pour l’application ou l’exécution d’une loi fiscale, de même que la décision qui en découle ». Les documents en lien avec la requête en pétition de faillite dans le dossier de la proposition de M. Ste-Marie ne font pas partie de son dossier fiscal.
  4. Cependant, puisque la définition de « dossier fiscal » inclut « les renseignements » que détient le Ministre pour l’application ou l’exécution d’une loi fiscale, sans autre restriction, il s’en suit que tout renseignement qui n’est pas contenu dans la procédure judiciaire elle-même fait partie du dossier fiscal de M. Ste-Marie. L’article 69 réfère à la procédure judiciaire, et non pas aux renseignements en lien avec la procédure judiciaire. Les renseignements que cherchent à obtenir les procureurs du syndic ont été recueillis par Mme Laflamme dans le contexte de l’application ou de l’exécution de la Loi sur les impôts,Footnote 66 en vertu de laquelle l’Agence du revenu du Québec avait une créance à l’encontre de M. Ste-Marie et en vertu de laquelle l’Agence a soumis la requête en pétition de faillite. Cela inclut donc les décisions prises par Mme Laflamme dans le dossier de M. Ste-Marie et la justification pour ces décisions, les suivis qu’elle a effectués et leurs résultats, ainsi que tout autre renseignement que Mme Laflamme détient par rapport à l’administration du dossier de M. Ste-Marie à l’Agence du revenu du Québec.
  5. Je note par ailleurs qu’aucune des exceptions de l’article 69.9 de la Loi sur l’administration fiscale ne s’applique en l’espèce, ce qui n’a pas été contesté par les procureurs du syndic. L’article 69.9(b) prévoit qu’un employé de l’Agence du revenu peut être assigné dans le cadre d’une procédure ayant trait à l’application d’une loi du Parlement, mais seulement quand celle-ci prévoit l’imposition ou la perception d’un impôt, d’une taxe ou d’un droit de cette nature. Le législateur aurait pu inclure parmi les exceptions une procédure en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité mais ne l’a pas fait. L’article 69.9 est une disposition d’ordre public et elle l’emporte sur les pouvoirs d’assignation généraux de l’article 14.02(1.1) de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.
  6. L’assignation de Mme Laflamme est donc annulée.

Notes de bas de page

1 L.R.C. (1985), ch. B-3.

2 C.R.C., ch. 368.

3 Pièce ENQ-2.

4 La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c. Autorité des marchés financiers, [2013] 3 RCS 756 au para. 31 (« La Souveraine »).

5 2011 CAF 4 (« MacLeod »).

6 R. c. Sault Ste. Marie, [1978] 2 RCS 1299 à la page 1310 (« Sault Ste. Marie »).

7 Sault Ste. Marie, supra à la page 1326; La Souveraine, supra au para. 56.

8 2020 QCCDOOD 4 (« Salemi »).

9 Salemi, supra au para. 107.  Voir également M.P.C. c. Leroux, 2022 QCCDBQ 43 au para. 212 (« Leroux »).

10 2019 QCTP 51 (« Bissonnette »).

11 Ibid aux paras. 41 à 44.

12 Bianchi c. Racicot, AZ-00039013 à la page 8 (« Bianchi »); Théoret c. Larochelle, 2016 QCCQ 6402 au para. 39 (« Théoret »).

13 Leroux, supra au para. 209 (« Leroux »); Mallette c. Carrière, 2023 QCCDBQ 28 au para. 55; Chartrand c. Dion, 2019 CanLII 49178 aux paras. 130 et 131 (« Chartrand »).

14 [2005] QCTP 34 (« Bilodeau »).

15 Ibid au para. 48, citant Comité – dentistes -1, [1988] DDCP 77 à la page 80. Voir également Théoret, supra au para. 19; Chartrand, supra au para. 143.

16 95 D-42, T.P. 31 mars 1995, p. 11.

17 Leroux, supra au para. 203, citant Médecins (Ordre professionnel des) c. Soucy, 2017 CanLII 46697 (QC CDCM) au para. 52.

18 Les procureures de l’enquêteur se sont objectées à l’admission tardive de ces documents en preuve à l’audition. L’article 7 de l’Instruction no 31R indique que « le juge administratif n’est lié par aucune règle juridique ou procédurale en matière de preuve lors de l’audition ». La déléguée a donné aux deux parties l’opportunité de se faire entendre au sujet de l’admission de ces documents en preuve. Sur la base des plaidoiries des parties, et considérant les arrêts Innu-Science Canada Inc. c. Laboratoire Choisy Ltée, 1999 CanLII 13503, Boudreau c. Lévy, 2016 CanLII 64191 et CRI Environnement Inc. c. Ste-Croix Pétrolier et Plus Inc. cités par les procureurs du Syndic, la déléguée a décidé d’admettre ces documents en preuve.

19 Une transcription de la décision rendue oralement le 5 décembre 2023 au sujet de l’assignation de Mme Dominique Laflamme se trouve à l’Annexe A de la présente décision.

20 2009 QCCQ 7643.

21 Rapport, Annexe 8-1.

22 Rapport, Annexe 8-4.

23 Rapport, Annexe 8-5.

24 Rapport, Annexe 8-6.

25 Rapport, Annexe 8-7.

26 Rapport, Annexe 8-8.

27 Rapport, Annexe 8-9.

28 Rapport, Annexe 8-13.

29 Rapport, Annexe 8-14.

30 Rapport, Annexe 8-17.

31 Pièce ENQ-4.

32 2011 QCCS 7212 (« Riviera »).

33 2012 QCCS 6384.

34 [1995] 4 RCS 55 au para. 36.

35 Pièce ENQ-4.

36 Rapport, Annexe 8-3.

37 Rapport, Annexe 8-10.

38 Rapport, Annexe 8-11.

39 Rapport, Annexe 8-12.

40 Rapport, Annexe 8-15.

41 Rapport, Annexe 8-16.

42 MacLeod, supra aux paras. 31 et 36.

43 [1975] 1 RCS 729 (« Kienapple »).

44 Rapport, Annexe 10.

45 Rapport, Annexe 11.

46 MacLeod, supra au para. 34.

47 Rapport, Annexe 12.

48 Pièces JL-41, JL-42, et JL-43.

49 Rapport, Annexe 14-1.

50 Rapport, Annexe 14-2.

51 Rapport, Annexe 14-3.

52 Rapport, Annexe 14-4.

53 Rapport, Annexe 8-15.

54 2007 CAF 410 (« Roy »).

55 Roy, supra aux paras. 16 et 21.

56 Roy, supra au para. 26.

57 Rapport, Annexe 15-1 et 15-2.

58 Rapport, Annexe 15-3 et 15-4.

59 Rapport, Annexe 16.

60 Pièce JL-22.

61 Rapport, Annexe 18.

62 Rapport, Annexe 19.

63 Rapport, Annexe 19.

64 Rapport, Annexe 19-3.

65 Chapitre A-6.002.

66 I-3.