En tenant compte de la décision récente de la Cour fédérale dans Yves Choueifaty c. Procureur général du Canada, 2020 CF 837, le présent document sert à donner des conseils sur la compréhension actuelle du Bureau des brevets quant aux principes juridiques applicables dans la détermination à savoir si l'objet défini par une revendication est un objet brevetable, particulièrement en ce qui a trait aux inventions mises en œuvre par ordinateur, aux méthodes de diagnostic médical et aux utilisations médicales.
La présente directive se fonde sur les directives exposées dans le Recueil des pratiques du Bureau des brevets (RPBB). Toutefois, elle remplace certaines des directives actuellement présentes dans le RPBB.
Plus particulièrement, aux chapitres 12, 17, 18, 22 et 23Note de bas de page 1 du RPBB, les références à la « contribution » d'une revendication; à une « solution technique à un problème technologique »; et à l'approche « problème et solution » dans la détermination des éléments essentiels pendant l'interprétation téléologique ne devraient plus être employées.
Interprétation téléologique
La première étape pour déterminer si l'objet défini par une revendication est un objet brevetable est d'interpréter la revendication.
Le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets exige que le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l'objet de l'invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.
L'objet défini par une revendication est déterminé au titre d'une interprétation téléologique de la revendication réalisée conformément aux principes établis par la Cour suprême du Canada dans Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 et Whirlpool Corp. c. Camco Inc., 2000 CSC 67.
L'objectif de l'interprétation téléologique d'une revendication est de déterminer les clôtures du monopole revendiqué par le demandeur.Note de bas de page 2 Cet objectif est réalisé en déterminant de façon objective où la personne versée dans l'art aurait, en date de la publication de la demande de brevet et au titre des mots particuliers ou des phrases particulières employés dans la revendication, compris que le demandeur avait l'intention d'ériger des clôtures autour du monopole revendiqué.Note de bas de page 3
L'interprétation téléologique d'une revendication est réalisée à la lumière de l'ensemble du mémoire descriptif et tient compte de ce que la personne versée dans l'art comprendrait de l'ensemble du mémoire descriptif comme étant la nature de l'invention.Note de bas de page 4
Pendant l'interprétation téléologique d'une revendication, les éléments de l'invention revendiquée « sont qualifiés soit d'essentiels (la substitution d'un autre élément ou une omission fait en sorte que l'appareil échappe au monopole), soit de non essentiels (la substitution ou l'omission n'entraîne pas nécessairement le rejet d'une allégation de contrefaçon)Note de bas de page 5. » Dans l'exécution de cette détermination des éléments essentiels et non essentiels, tous les éléments établis dans une revendication sont présumés être un élément essentiel, à moins qu'il n'en soit établi autrement ou que ce soit contraire au libellé employé dans la revendication.Note de bas de page 6
Objet
Une fois que l'objet défini par une revendication a été déterminé au moyen de l'interprétation téléologique, il est alors nécessaire de déterminer si l'objet est conforme à toutes les exigences de la Loi sur les brevets.Note de bas de page 7 Ces exigences comprennent que l'objet défini par une revendication doit être un objet brevetable, ce qui signifie (en ce qui a trait à la définition d'« invention » à l'article 2 de la Loi sur les brevets) que ce soit toute réalisation, tout procédé, toute machine, fabrication ou composition de matières, ainsi que tout perfectionnement de l'un d'eux, et conformément au paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets, ne peut être de simples principes scientifiques ou conceptions théoriques.Note de bas de page 8
Afin d'être un objet brevetable et de ne pas être interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets, l'objet défini par une revendication doit être limité à ou moins vasteNote de bas de page 9 que l'invention en questionNote de bas de page 10 qui est dotée d'une existence physique ou est une manifestation d'un effet ou changement physique discernableNote de bas de page 11 et qui a trait à un domaine de réalisations manuelles ou industrielles, ce qui signifie des procédés comportant ou visant des sciences appliquées et industrielles, afin de distinguer, en particulier, des beaux-arts ou des œuvres d'art qui ne sont originales que dans un sens artistique ou esthétique.Note de bas de page 12
Pour chaque revendication, l'identification de l'invention réelle doit être fondée sur une interprétation téléologique de la revendicationNote de bas de page 13 et ne peut être déterminée uniquement sur la base d'une lecture littérale de la revendication ou d'une détermination, non ancrée dans le libellé de la revendication, ou l'« essentiel de l'invention » au sens de cette expression utilisée par la Cour suprême du Canada au paragraphe 46 de Free World Trust c. Électro Santé Inc., 2000 CSC 66.Note de bas de page 14
Une invention réelle peut consister soit en un seul élément qui fournit une solution à un problème, soit en une combinaisonNote de bas de page 15 d'éléments qui coopèrent pour apporter une solution à un problème. Lorsqu'une invention réelle consiste en une combinaison d'éléments coopérant ensemble, tous les éléments de la combinaison doivent être pris en considération dans leur ensemble lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a un objet brevetable et si l'interdiction en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets est applicable.Note de bas de page 16
Une invention réelle qui comprend une idée désincarnée, un principe scientifique ou un théorème abstrait n'est pas brevetable, à moins que l'idée désincarnée, le principe scientifique ou le théorème abstrait ne fasse partie d'une combinaison d'éléments qui coopèrent et que cette combinaison ait une existence physique ou manifeste un effet ou un changement physique discernable et qui se rapporte aux réalisations manuelles ou industrielles.Note de bas de page 17
Un élément d'une invention revendiquée qui est identifié comme essentiel pour ériger les clôtures du monopole dans l'interprétation téléologique ne fait pas nécessairement partie de l'invention réelle. Par exemple, un élément peut être un élément essentiel d'une revendication seulement parce que le demandeur avait l'intention de limiter la portée du monopole revendiqué à moins que ce que le demandeur a réellement inventé. Un élément peut donc être un élément essentiel de la revendication parce que le demandeur a voulu qu'il soit essentiel, même s'il n'a pas d'incidence matérielle sur le fonctionnement de l'invention.Note de bas de page 18 Un tel élément ne ferait pas partie de l'invention réelle parce que le fait qu'il n'ait pas d'incidence matérielle sur le fonctionnement de l'invention signifie qu'il ne coopère pas avec d'autres éléments de l'invention revendiquée.
L'application de ces principes généraux à des situations spécifiques est développée plus en détail dans les sections suivantes.
Inventions mises en œuvre par ordinateur
Le simple fait qu'un ordinateur soit identifié comme étant un élément essentiel d'une invention revendiquée aux fins de déterminer les clôtures du monopole dans l'interprétation téléologique ne signifie pas nécessairement que l'objet défini par la revendication est un objet brevetable et qu'il ne fait pas partie de l'interdiction prévue au paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets. Dans un tel cas, il est nécessaire de considérer si l'ordinateur coopère avec d'autres éléments de l'invention revendiquée et s'il fait donc partie d'une seule invention réelle et, s'il y a lieu, si cette invention réelle a une existence physique ou manifeste un effet ou un changement physique discernable et qui se rapporte aux réalisations manuelles ou industrielles.
De plus, le fait qu'un ordinateur soit nécessaire pour mettre en pratique une idée désincarnée, un principe scientifique ou une conception théorique ne signifie pas nécessairement qu'il existe un objet brevetable, même si l'ordinateur collabore avec d'autres éléments de l'invention revendiquée. Si un ordinateur est simplement utilisé d'une façon bien connue,Note de bas de page 19 l'emploi de l'ordinateur ne sera pas suffisant pour rendre l'idée désincarnée, le principe scientifique ou les conceptions théoriques en un objet brevetable et en dehors de l'interdiction prévue au paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.Note de bas de page 20
Dans le cas d'une revendication visant un ordinateur programmé pour exécuter un algorithme mathématique, si l'ordinateur traite simplement l'algorithme d'une manière bien connue et que le traitement de l'algorithme sur l'ordinateur ne résout aucun problème dans le fonctionnement de l'ordinateur, l'ordinateur et l'algorithme ne font pas partie d'une seule invention réelle qui résout un problème lié aux réalisations manuelles ou industrielles. Si l'algorithme en soi est considéré comme étant l'invention, l'objet défini par la revendication n'est pas un objet brevetable ou est interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.
D'autre part, si l'exécution de l'algorithme sur l'ordinateur améliore le fonctionnement de l'ordinateur, l'ordinateur et l'algorithme formeraient donc ensemble une seule invention réelle qui résout un problème lié aux réalisations manuelles ou industrielles et l'objet défini par la revendication serait un objet brevetable et ne serait pas interdit en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.
De façon similaire, une pratique commerciale qui ne constitue pas elle-même un objet brevetable ou est interdite en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets parce qu'elle est une idée abstraite ne devient pas un objet brevetable et en dehors de l'interdiction au paragraphe 27(8) du simple fait qu'elle est mise en œuvre au moyen d'un ordinateur. Afin de constituer un objet brevetable et d'être en dehors de l'interdiction en vertu du paragraphe 27(8), une pratique commerciale qui est une idée abstraite doit collaborer avec d'autres éléments de l'invention revendiquée en vue de faire partie d'une combinaison d'éléments qui composent l'invention réelle qui se rapporte aux réalisations manuelles ou industrielles, et qui a soit une existence physique, soit manifeste un effet ou un changement physique discernable.
Méthodes de diagnostic médical
Comme pour toute autre revendication, tous les éléments définis dans une revendication de méthode de diagnostic médical sont présumés essentiels, à moins qu'il n'en soit établi autrement ou qu'il n'en soit contraire au langage utilisé dans la revendication. Une revendication visant une méthode de diagnostic médical comprend souvent un élément qui établit la corrélation entre un analyte spécifique ou le résultat d'un test médical et une maladie. Une corrélation, à elle seule, serait généralement considérée comme une idée abstraite ou désincarnée. Dans de nombreux cas, une revendication visant une méthode de diagnostic médical inclut en outre une ou plusieurs étapes physiques comprenant la réalisation d'un test médical ou la détermination de la présence ou de la quantité de l'analyte dans un échantillon. De telles étapes peuvent inclure, par exemple, des moyens pour l'identification, la détection, la mesure, etc. de la présence ou de la quantité d'un analyte.
Une idée abstraite qui est un élément d'une revendication qui collabore avec d'autres éléments de la revendication fait partie d'une combinaison d'éléments qui composent une seule invention réelle. Dans de tels cas, tous les éléments de la combinaison sont considérés comme un tout et peuvent constituer un objet brevetable si l'invention réelle a soit une existence physique, soit manifeste un effet ou un changement physique discernable.
Ainsi, une revendication de méthode de diagnostic qui définit une combinaison d'éléments qui collaborent de façon à former une seule invention qui comprend des moyens physiques d'essai ou d'identification, de détection, de mesure, etc., la présence ou la quantité d'un analyte dans un échantillon serait considérée comme un objet brevetable et ne serait pas interdite en vertu du paragraphe 27(8) de la Loi sur les brevets.Note de bas de page 21
Lorsqu'un ordinateur est impliqué dans la méthode, veuillez également consulter la section sur les Inventions mises en œuvre par ordinateur ci-dessus.
Utilisations médicales
Il est bien établi que les méthodes de traitement médical et de chirurgie ne sont pas brevetables parce qu'elles ne relèvent pas des réalisations manuelles ou industrielles.Note de bas de page 22
Comme pour toute autre revendication, tous les éléments définis dans une revendication d'utilisation médicale sont présumés essentiels, à moins qu'il n'en soit établi autrement ou qu'il n'en soit contraire au langage utilisé dans la revendication. Une invention réelle d'une revendication d'utilisation médicale peut consister en une combinaison de tous les éléments essentiels de la revendication lorsque ces éléments coopèrent.
Une invention réelle qui a une existence physique ou manifeste un effet ou un changement physique discernable et qui ne tombe autrement pas dans une exclusion jurisprudentielle (p. ex., méthodes de traitement médical) serait un objet brevetable.
Lorsqu'une invention réelle comprend un ou plusieurs éléments essentiels qui comprennent une étape active de traitement médical ou une étape chirurgicale ou qui restreignent, empêchent, entravent ou exigent l'exercice des compétences professionnelles et du jugement d'un professionnel de la santé, l'invention réelle est une méthode de traitement médical exclue et n'est pas un objet brevetable.
Il est à noter que dans les cas où au moins un des éléments essentiels de l'invention limite l'utilisation revendiquée à une dose, à une gamme de doses potentielles qu'un patient peut recevoir et/ou à une posologie, qu'il s'agisse de doses fixes et/ou couvrant une gamme, ce fait en soi n'est pas déterminant quant à savoir si la revendication vise un objet brevetable. Il est également nécessaire de considérer si l'exercice des compétences professionnelles et du jugement d'un professionnel de la santé fait partie d'une invention réelle. Par exemple, une compétence et un jugement professionnels peuvent être en cause si un professionnel de la santé doit surveiller le traitement ou y apporter des ajustements, ou choisir une dose d'une gamme revendiquée (c.-à-d., dans les cas où toutes les doses de la gamme ne fonctionneront pas pour tous les sujets du groupe traité). Dans de tels cas, l'objet défini par la revendication engloberait une méthode de traitement médical et ne serait pas un objet brevetable.
Exemples